Le système compte plus que les individus

Résumé : « avec, par et pour les individus », tel semble être le credo des projets de transformation à  la mode « sociale ». Pour des résultats, reconnaissons le, aléatoires, montrant parfois des choses au coup par coup mais sans tendance systématique et pérenne. Le syndrome web a encore frappé en oubliant que le salarié n’est pas un « individu » comme les autres, n’est même pas celui qu’il est chez lui : c’est un élément d’un système plus vaste et complexe, qui l’impacte plus qu’il n’est impacté par lui. Ajoutez à  cela que c’est le dit « système » qui permet de transformer le potentiel en valeur réelle et vous comprenez que le levier « individu », assez efficace pour amener quelques passionnés à  faire partie de communautés hors du flux de travail ne permet en rien d’affecter le quotidien des individus ni la dimension « productive » de l’entreprise. Rien ne se passera ni ne perdurera sans une remise à  plat profonde de la « systémique » de l’entreprise. Mais comme personne ne veut s’y risquer on tiendra les mêmes discours dans 10 ans pour parler de l’entreprise 5.0.

 

Nous avons déjà  évoqué l’intérêt de rendre les nouvelles formes d’organisation structurelles, c’est à  dire les ancrer dans le quotidien des salariés pour leur donner du sens, ne pas les rendre dépendants des personnes et des effets modes et, tout simplement, ne pas introduire de schyzophrenie comportementale dans le quotidien. On retrouve dans cette problématique deux piliers essentiels de la vie et des transformations de l’entreprise. Jusqu’à  présent il s’avère que les démarches dites « Social Business » ou « Entreprise 2.0 » se sont concentrées sur les individus : accompagnement, « aide à  l’adoption », exhortations en tout genre quitte à  verser davantage dans le passionnel et le religieux que dans la logique. Après tout, comme on dit « it’s about people ». Tout n’arrivera que par eux et pour eux (quoi ce que ce second point puisse être discuté comme on va le voir plus bas). Et le système ? Le monde des experts et autres gourous commence à  peine à  en parler du bout des lèvres tandis que l’entreprise, elle, voit clairement l’intérêt mais ne semble pas prête à  se mouiller trop ou trop vite.

Et si, pourtant, le levier « système » était beaucoup plus important que le levier humain ?

Qu’entends-je par « système ». C’est un tout composé d’éléments aussi divers que les processus, le modèle de prise de décision, les fiches de postes et modalités d’évaluation et de récompense, les objectifs, la culture d’entreprise…(liste non exhaustive…merci de mentionner les facteurs qui vous semblent également en faire partie). Quel est son impact ? D’aucuns diront qu’il bride l’initiative et l’agilité, qu’il est un facteur de lourdeur, qu’il empêche l’épanouissement, qu’il pèse négativement sur les salariés etc. Je n’irai pas jusque là . Un système peut être bon ou mauvais…suivant là  où le curseur est mis sur chaque facteur il peut provoquer tout ou son contraire.

Pour définir son impact et son intérêt en quelques mots, le système détermine la manière dont une personne réagira face à  une situation donnée. Prendra-t-elle une décision ou remontera-t-elle le problème à  quelqu’un d’autre ? Si oui la décision ira-t-telle plutôt dans un sens ou dans un autre. Pourra-t-elle être innovante ou uniquement piochée dans un catalogue d’actions prédéterminées ? Va-t-elle apporter de l’aide à  un collègue car elle à  les compétences requises voire a eu une expérience similaire ou le laisser se débrouiller parce que ça n’est pas son problème ? Va-t-elle partager quoi que ce soit avec les autres car cela peut les aider ou se dire que non seulement ça n’est pas son boulot mais, en plus, que ça lui donne une position de supériorité ?

Bien sur le système peut être plus ou moins rigide, ou flexible. Pratiquement parlant on a créé des systèmes extrêmement rigides lorsqu’on a voulu répêter la logique industrielle dans le tertiaire. Désormais on se rend compte que plus de flexibilité est indispensable…sans que le système évolue proportionnellement au besoin.

Alors, bien sur, on peut avoir des comportements à  la marge du système. Plus restrictifs ou, au contraire, moins respectueux. Mais de manière générale le comportement d’une personne dans l’entreprise sera largement déterminée par le système. Peu importe qu’elle ait envie de faire autrement ou non. Elle trainera un peu les pieds, le fera peut être moyennement et sans conviction mais au final elle le suivra.

En effet, comment peut on expliquer que :

alors qu’une très large majorité admet que « la manière dont on travaille n’est plus efficace », une très faible proportion profite des portes ouvertes pour faire autrement (mise en place d’n réseau social ou autre) si le système, lui, n’est pas changé.

des personnes hautement connectées et « réseauteuses » dans leur vie privée redeviennent, d’une manière qui leur semble évidente et logique, des personnes isolées, essayant de ne pas sortir du lot, dès lors qu’elles passent la porte du bureau.

Alors justement, venons en aux individus, piliers s’il en est des logiques social business. Rappelons en effet que la plupart des stratégies dites d’adoption reposent sur…l’adoption de logiques, usages, comportements et outils nouveaux par les individus, la plupart du temps sans toucher le moins du monde au système. A tel point que de tels programmes relèvent plus de l’exhortation ou du lavage de cerveau que de l’adoption. Mais on part du principe que le système « social » existe par et pour eux, donc qu’ils vont se jeter dessus et contribuer à  faire bouger le système par la base. Des esprits chagrins diront qu’on a ni l’envie ni le courage de remettre en cause le système donc qu’on envoie le salarié lambda au feu…au moins le chef de projet s’en lavera les mains si ça tourne mal.

Le levier « individus » montre en effet son efficacité pour servir de levier à  un certain type de transformation. Notamment lorsqu’une entreprise lance un réseau social qui se focalise uniquement sur la dimension communautaire, hors du flux de travail. Remarquez au final que c’est logique vu qu’il s’agit  le plus souvent d’activités « hors système ». Et que moins le système les tolère plus il y a de chances que le soufflé retombe avec le temps, et qu’on ne se retrouve qu’avec la poignée de convaincus qui veut y aller, système ou pas.

Par contre il ne suffit pas dès lors qu’on veut changer la manière dont le « travail » est fait. Ici par « travail » j’entends les activités de production, exécution, décision qui vont fournir un « outcome » que le client paiera directement ou indirectement. Tout ce qui demande une réflexion sur le mode de management, la prise de décision, la responsabilisation, la coordination. Pas question de choses optionnelles, quand on en a envie, entre volontaires : c’est l’essentiel de la journée de chacun, le goulot entre le savoir et sa valorisation concrète, le dernier « mile » jusqu’au client, ce qui fait que le savoir et le talent ne sont pas qu’une notion interne abstraite mais quelque chose que le client va recevoir, percevoir, reconnaitre et…payer.

Audiard disait « un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ». Le levier « individus » peut transformer le c… en intellectuel….mais si on ne fait rien pour qu’il marche on aura pas amélioré grand chose.

Et puis j’ajouterai une chose. Les gens feront changer le système car ce qu’on propose c’est « pour eux, pour leur bien, ils le demandent ». En est on si sur ? Les salariés  veulent ils tous plus de responsabilités, d’autonomie, d' »empowerment ». Pas sur du tout. Et en tout cas pas à  n’importe quelle condition. Et, pour résumer leur pensée, « pourquoi pas mais je veux savoir exactement ce que je veux faire ou non, je ne veux pas avoir de soucis avec mon n+1 ou qui que ce soit parce que je joue le jeu, je veux qu’on y aille tous sinon je n’y vais pas, et qu’on soit bien clair sur le système de responsabilité ». Là  encore, c’est tout un système à  reconstruire et pas seulement une exhortation bienveillante à  être « social » et oser.

On en revient bien à  la distinction que je faisais ici  : l’entreprise doit réapprendre à  apprendre et échanger de manière globale mais si elle ne travaille que cette dimension l’impact opérationnel sera faible. Il y a donc deux chantiers à  mener conjointement : l’apprentissage et la dimension « savoir » d’un coté, la partie « delivery », « execution » de l’autre.

Conclusion ? On ne fait rien sans les gens, c’est certain. Et ce d’autant plus qu’on parle d’activités supplémentaires, hors flux de travail. Maintenant cela ne suffit pas, et on fait face à  un goulot d’étranglement si on améliore pas le flux. Et ici le système compte pour au moins 75% de l’effort. Idéalement il sera accompagné par la majorité mais, et on le voit tous les jours, c’est ce qui conditionne le plus les comportements du plus grand nombre, qu’ils l’apprécient ou pas car il établit une règle, une normalité, un centre de gravité vers lequel la logique ramène toujours. Ce qui n’empêche pas qu’il y d’autres manière de le repenser qu’entre experts au sommet de l’entreprise mais en y associant ceux qui vont le vivre. Un peu comme Vineet Nayar.

Des Morning Star, Semco et autres Groupe Hervé ont réinventé leur système. Avec les individus souvent, mais ils sont partis de cette approche. Ils ont des choses à  montrer, qui fonctionnent, et des résultats humains et financiers derrière. D’autres usent du levier « people » mais à  part un pétard mouille à  l’occasion j’attends encore le grand feu d’artifice dans la plupart des cas.

En tout cas ça n’est pas l’absence de réseau social ou de « social » ou je ne sais quoi qui aidera les entreprises à  construire leur futur. Même si ça fera partie de la solution. C’est leur systèmique.

 

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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