Performance et bien être font bon ménage grâce aux RH de Pepsico (et sans technologie)

Pepsico France

Résumé : quelle entreprise n’essaie pas aujourd’hui de remobiliser ses salariés, de créer ce fameux engagement indispensable à  la performance économique ? Alors on cherche des dispositifs innovants, on joue la carte de la technologie qui doit devenir un catalyseur du lien. On essaie tout sauf ce qui semble le plus évident : changer vraiment la vie des salariés avant de leur demander de s’engager. Miser sur le sens plutôt que sur des dispositifs qui n’ont aucun ancrage dans le quotidien tel que le collaborateur le vit. Heureusement certaines entreprises continuent de traiter l’humain par l’humain et cela fonctionne. Recontre avec Delphine Dupuis, DRH de Pepsico France, élue Great Place to Work en France pour la 3e année consécutive.

Le bien être est un des sujets qui semble rendre les entreprises schyzophrènes. Combien de fois entend on que c’est indispensable à  la performance individuelle et collective pour se faire dire par les mêmes personnes que « c’est compliqué, vous comprenez, il faut optimiser le résultat et la productivité donc on n’a pas les moyens pour ça ». Indispensable mais secondaire et finalement pas trop sérieux.

Le classement « Great Place to Work » vient de tomber, élisant pour la 3e année consécutive, pour la France, Pepsico dans la catégorie « entreprises de plus de 500 salariés ». J’ai eu la chance de pouvoir échanger avec Delphine Dupuis, DRH de la filiale française du groupe, afin de creuser le sujet et voir, concretement, comment enclencher une telle dynamique. Cela tombe bien, vu que je désirais aborder le sujet prochainement, cet article servira de base à  une série qui suivra dans les prochaines semaines.

Avant de commencer, un petit point sur les remarques que je sens déjà  arriver sur le phénomène « Great Place to Work ». Oui toutes les entreprises ne concourrent pas. Oui il faut rentrer dans un processus payant pour être évalué et participer. Ca ne pose absolument aucun problème au regard de ce qui suit puisque cela signifie qu’il se peut que des entreprises fassent éventuellement mieux en étant méconnues ce qui est plutôt un bon point. L’idée ici est plutôt par rapport à  celles qui ne font pas ou hésitent et sont en quête d’exemples.

Donc quelques éléments sur Pepsico France avant de débuter. C’est bien sur la filliale française du géant US du même nom, elle compte 556 collaborateurs, pour moitié dans la fonction commerciale, pour moitié répartis dans les autres fonctions de l’entreprise (marketing, logistique, administratif…). Pour ceux qui pensent que la démographie de l’organisation a un impact sur de telles approches, il y a xxx% d’hommes et xxx% de femmes et la moyenne d’ge est de 34 ans.

Bien être au travail et performance font ils bon ménage ?

Delphine Dupuis
Delphine Dupuis

Autant commencer là  avant d’aller plus loin. Il est toujours difficile d’établir des liens de causalité et on peut discuter des heures durant du syndrome de la poule et de l’œuf. Mais en 2011 la croissance a été, pour Pepsico France, de 10%. Surtout, elle a été 3 fois supérieure à  la moyenne des entreprises agro-alimentaires car il importe de remettre la performance dans le contexte de la concurrence si on ne veut pas faire dire aux chiffres ce qu’ils ne disent pas.

Pour Delphine Dupuis les choses sont claires et les convictions affichées :

« On a la conviction qu’il existe un cercle vertueux : motivation et enthousiasme entrainent la performance économique. Epanouir le capital humain entraine une performance économlque durable ».

Ce qui nous amène à  parler de l’ancrage d’une telle politique dans l’ADN de l’entreprise. Initiative locale brillante mais fragile, principe gravé dans le marbre et dictant les choix stratégiques et opérationnels ?

Un projet de longue haleine qui ne doit rien au hasard

On parle beaucoup de la difficulté de mener des initiatives localement, isolé dans son coin et de la fragilité de ces mêmes initiatives soumises au aléas de la conjoncture, des changements de responsables, et au final des revirements stratégiques et autres réévaluations des priorités. De la même manière l’évolution du rôle des RH vers un rôle de « business partner » et l’adoption d’une culture de service en lieu et place d’une culture administrative et de process fait également largement débat aujourd’hui. Situé au confluent des deux problématiques le projet RH Pepsico est d’une certaine manière exemplaire.

Pas de surprise ici. Tout part d’un projet stratégique au niveau du groupe, justement nomme « Performance with purpose » (en français on dirait « donner du sens à  la performance »). Un projet dont s’est, par contre, véritablement emparé la filiale française. Et pour que les mots ne servent pas qu’à  embellir les discours, il a été décliné en trois grands principes d’action :

– Améliorer la qualité managériale

– Considérer le salarié en tant qu’individu (avec les spécificités ce chacun) et non en tant qu’outil

– Encourager le lien social entre individus, qui favorise la transversalité ainsi que cohérence et efficacité sur les actions « multi-fonctions ».

Tout cela donne un ancrage for au projet et une légitimité qui permet d’inscrire l’action dans le temps en évitant les écueils d’approches tactiques et opportunistes court-termistes. Car si Pepsico France remporte le prix « Great Place to Work » pour la 3e année consécutive, cela fait 9 ans qu’ils participent au concours. 9 ans de progrès continu pour enfin décrocher la timbale. Chose impensable si on restait dans une approche purement opportuniste. Je n’ai d’ailleurs pas pensé à  poser la question mais je peux penser que l’intérêt pour une entreprise de participer à  un tel concours est surtout de rentrer dans une logique d’évaluation et de benchmark qui lui impose d’aller au bout de ses efforts sans faire machine arrière, sans se relacher.

Relations interpersonnelles : le contact « In Real Life » avant tout

J’ai délibérément choisi de prendre un angle précis lorsqu’il s’est agi de rentrer dans les détails du projet RH de Pepsico. A l’heure où tant d’entreprises initient des projets « social business » ou « entreprise 2.0 » pour adresser la question du lien, de l’engagement, de la performance,  je suis parti de la place des outils de communication (au sens large) dans le dispositif, curieux de voir comment Pepsico traite la nature duale de tels outils, entre leviers de performance et facteurs de risques psycho-sociaux.

Pepsico reconnait avoir besoin d’outils de communication modernes. L’entreprise a des intranets, réflechit à  des outils collaboratifs. Comme le dit Delphine Dupuis « on vit avec notre temps ». Et on ne s’étendra guère sur le sujet, ce qui paradoxalement est lourd d’enseignements. La technologie n’est, on le dit souvent, que la balle qui permet de jouer au jeu et il est clair que chez Pepsico on préfère s’occuper du jeu, des joueurs, du projet et du style de jeu de l’entreprise. Rien n’arrive en ligne qui n’arriverait « in real life » et c’est totalement la ligne de conduite ici. D’abord créer une organisation qui fonctionne « dans la vraie vie » avec ses collaborateurs plutôt que croire que la technologie va initier des dynamiques qui n’ont aucun sens ni fondement culturellement, organisationnellement, managéralement et humainement parlant. D’ailleurs, toujours sur les outils elle ajoute « On cherche surtout à  les rendre plus simples ». L’art de rappeler que dans la relation d’amour/haine entre l’Homme et la technologie on ne doit jamais oublier lequel doit servir l’autre.

« La convivialité entre individus compte plus que tout…surtout en temps de crise […] L’entreprise est un espace de lien social » confirme Delphine Dupuis. Comprenez : la convivialité démarre dans la vie réelle, avec des personnes qui se parlent, se découvrent. Quelque part j’y retrouve cette notion du « frottement » souvent évoquée chez Danone.

Alors, justement, la technologie on essaie de ne pas la laisser dénaturer les rapports. Pepsico a mis en place la « journée sans email ». Objectif premier : renforcer la communication orale. Au lieu d’envoyer un mail au siège le commercial prend son téléphone et parle à  un être humain. Entend sa voix. Quelque chose qu’aucune technologie ne peut rendre aujourd’hui. L’entreprise a organisé des ateliers pour apprendre aux salariés à  bien utiliser leur mail…et a même fait venir une écrivain pour leur apprendre à  rédiger des messages clairs, concis, et ne pas oublier que derrière l’écran le destinataire est un être humain avec sa personnalité, ses émotions également.

Et la « socialisation » des salariés ? Alors qu’aujourd’hui beaucoup vous diraient « réseau social et communautés », Pepsico fait là  encore dans le « réel ». Sport, ateliers culturel, tout est fait pour que salariés se rencontrent et développent des relations dans un contexte différent de celui du travail, sans barrières hiérarchiques.

Et puisqu’il faut fédérer, alors célébrons les succès. Bien que très américaine dans l’approche cette pratique semble très appréciée des salariés français qui se regrouppent au moins deux fois par ans (Summer Party et Christmas Party) pour fêter les réussites de l’entreprise. Là  encore…le frottement et la conviction que les plus belles rencontres se font dans la « vie réelle ».

Mais quid des relations de travail alors ? Là  encore la conviction est forte :  » [la relation de travail] n’est pas une relation mécanique derrière un outil ».  La question des outils est « Une question plus vaste qui porte sur la relation entre les individus. Qui j’ai dans mon équipe, quelles sont ses passions. A Pepsico c’est important de se parler. La personnalité d’un salarié est plus importante que les emails qu’il envoie ». Pepsico a donc mis en pratique un concept dont on parle beaucoup mais qu’on ne sait par quel bout prendre : « le travail devient relationnel ».

Pour terminer je parlais des dirigeants qui avaient choisi d’ouvrir leur propre canal média interne pour engager directement le dialogue avec les salariés (blogs etc…). La réponse coule de source : « chez nous on essaiera toujours de privilégier les rencontres de visu pour faire passer un message important ».

Et les relations entre les salariés et l’entreprise ?

« Les portes du Comité de Direction sont toujours ouvertes ». On encourage les salariés à  fournir des idées, donner du feedback sur l’entreprise, sur leur travail. Et « les idées qui vienent du terrain sont les plus pertinentes ». Et elles sont mises en œuvre : il existe même un Think tank de 8 personnes, sorte de « poil à  gratter » de l’entreprise qui est invité à  s’exprimer devant le Codir tous les mois, à  challenger les idées reçues. 90% de leurs suggestions sont mises en œuvre.

Pepsico France est une « startup dans un grand groupe ». « . Le management est là  pour donner du sens et libérer les énergies. Aux équipes les plus proches du terrain de remonter les idées car ce sont les plus pertinents ».

Et sur le partage de ces idées alors ? Chaque département fait son propre journal interne. Quelque chose de simple, qui remonte les initiatives, les « bons coups ». Par contre le journal est diffusé à  tous les autres départements. Une manière un peu rudimentaire de s’attaquer aux silos mais visiblement elle fonctionne car évite toute complication excessive.

Par contre le mécanismes de reconnaissance sont plus formalisés puisque des « Awards » sont donnés deux fois par an pour une idée exemplaire mise en pratique ou une initiative fructueuse dans un domaine qui n’est pas a priori du ressort du salarié. Mais attention : on ne récompense pas l’idée mais le résultat qu’elle a produit sur le terrain. Et les awards sont remis en public, devant toute l’entreprise.

Alors donc Pepsico arive à  faire « à  l’ancienne » ce que nombre d’entreprises essaient de mettre en place à  grand renfort d’outillage et de programmes ambitieux ? « Oui…cela fonctionne sans outils à  partir du moment ou le lien salarié/manager est bon ». C’est pour cela que Pepsico fait autant d’effort sur la qualité du contact humain et la qualité managériale. Un exemple ? La fixation des objectifs.

Chez Pepsico les objectifs sont liés à  50% au professionnel, 50% au personnel. Il y a donc égalité entre la valorisation du savoir faire et du savoir être. Chaque salarié peut définir avec son manager un objectif personnel qui fera que son année sera réussie. Cela peut être aussi varié que « se remettre au tennis », « aller chercher mon enfant à  l’école le jeudi ». Cela permet au manager de comprendre les attentes spécifiques et profondes de chacun, ses priorités, ce qui a du sens pour lui et de s’impliquer dans la réalisation du projet du salarié. Par exemple en ne programmant pas de réunion en fin d’après midi le jeudi pour celui qui veut aller chercher son enfant à  l’école. « Tout cela contribue à  construire une relation de confiance et de bien être ».

Et demain ?

Quels sont les projets futurs ? Qu’est ce qui fera que Pepsico France soit Great Place To Work l’an prochain, pour la 4e année consécutive ? Quelques exemples de projets sur les 3 axes du projet RH :

– qualité managériale : enrichir les formations et notamment la dimension intergénérationnelle. Beaucoup de managers doivent encadrer des seniors et des « Generation Y ». Et ce d’autant plus que le système de promotion rapide fait que des « Y » se retrouvent en position de manager des seniors !

– équilibre « vie pro-vie perso » : aller encore plus loin que ce qui est fait. Le rythme de travail est important, il est essentiel de pouvoir souffler. Programme « take a break » pour faire des pauses dans la journée (cohérence cardiaque, conseils nutrition, massages…)

– convivialité : les « summer & christmas parties » qui jusqu’à  présent ne concernaient que le siège vont, cette année réunir toute l’entreprise.

 

Eléments de conclusion

« Eléments seulement » puisque ce billet est bien assez long comme cela mais le cas était trop beau pour en sacrifier une partie sur l’autel de la volumétrie des contenus. Mais il donne matière à  de nombreux développements ultérieurs.

Pour mettre les choses en perspective des sujets que je traite habituellement ici il semble bien que Pepsico ait pris au pied de la lettre le « it’s about people » qu’on ne cesse de nous rbacher par rapport aux fameux projets « entreprise 2.0 ». Si tout tourne autour des individus alors autant commencer par eux et ne pas s’imaginer qu’on pourra construire un lien et un engagement « virtuel » qui ne reposerait sur rien de réel. On a travaillé sur le sens de l’engagement plutôt que sur l’exhortation à  s’engager, on a trouvé les leviers qui permettent d’instaurer de la confiance dans la relation managériale en amenant les gens à  se découvrir.

Alors bien sur on peut épiloguer avec des « et si… » à  la pelle. Et c’est bien sur ce que je vais aborder prochainement.

Soit dit en passant, à  l’heure où tout le monde parle de la frilosité des RH cet entretien m’a permis de terminer ma journée avec le sourire et plein d’espoir. Ce qui n’est pas si fréquent sur de tels sujets.

En attendant je vous laisse méditer sur trois citations :

– il ne se passe rien en ligne qui ne se passerait en « réel » si les personnes étaient mises en présence. (B. Duperrin).

– on ne résoud pas avec de la technologie des questions qui relèvent de l’humain avant tout. (Si ma mémoire est bonne elle vient de Rex Lee

allez faire du réseau social…non pas en ligne mais dans les bars. (Sam Palmisano, ex PDG IBM)

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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