Résumé : Alors que le besoin de transfomer les organisations semble acquis pour tous il semble que les seuls à avoir quelques doutes sont les entreprises elles-même. Ou, pour être plus précis, ce sont les causes invoquées qui semblent ne pas trop les toucher. Assez convaincantes pour des initiatives tactiques et cosmétiques, pas assez pour une vraie évolution organisationnelle et managériale. Innovation, Génération Y, engagement des collaborateurs sont importants mais pas vitaux. La notion d’économie du savoir trop théorique. Reste un déplacement de la valeur vers les services, indépendamment du type de produit qu’ils accompagne. Cette « servicisation » de l’économie nécessite un fonctionnement adapté et une utilisation optimale des actifs intangibles de l’entreprise. Un point essentiel car si une entreprise ne comprends pas ce glissement de la valeur elle n’a aucune raison de faire les choses de manière profonde et cohérente.
Je disais dernièrement que plutôt que devenir une entreprise 2.0 ou un social business, il serait mieux que l’entreprise cherche à créer son propre futur. D’adopter un modèle qui lui est propre, en fonction de son contexte, de sa culture, de son secteur d’activité plutôt que d’adopter un modèle dont le caractère générique fait que tout le monde a l’impression qu’il a été créé pour tout le monde sauf pour soi.
J’ai donc distingué quelques axes sur lequel le changement devait s’effectuer (exécution, apprentissage, relations avec l’écosystème….), puis viendront d’autres choses sur la nécessité de les traiter de manière cohérente et les leviers nécessaires. Mais chaque chose en son temps. Car je voudrais revenir sur un point essentiel. Pourquoi se poser de telles question ? Pourquoi tout changer ? Pourquoi faire autant d’effort alors qu’on s’en est toujours sorti en appliquant les bonnes vieilles recettes ?
Ce point de la réflexion qui doit venir avant toute chose est à mon sens essentiel. Sans lui aucun moyen d’impliquer les personnes à un niveau de responsabilité suffisant. Aucune chance d’arrêter les initiatives non coordonnées, les plans d’actions parcellaires et cosmétiques. Aucun d’espoir de disposer des ressources nécessaires. S’il n’y a pas une vision partagée au plus au niveau sur le « pourquoi » il est inutile de réfléchir à quoi que ce soit, de commencer quoi que soit dans l’espoir que cela va vraiment changer les choses. Soit on ne fera rien soit on lancera des initiatives sans grande ambition, sans cohérence. Donc autant ne rien faire.
Alors pourquoi changer ? Les arguments on les connait depuis des années. En tout cas une partie d’entre eux qui sont répétés encore et encore depuis près de 5 ans. Force est de reconnaitre qu’ils portent peu.
Le web 2.0 est une réalité et il faut l’importer en importer les usages dans l’entreprise. Le fait que quelque chose existe hors de l’entreprise est il une condition suffisante pour l’importer en son sein ?
Ca va être simple, tout le monde utilise ces outils. Ah…le terrain montre que le niveau de maitrise est insuffisant pour un usage professionel…et que la professionnalisation des usages est loin d’être acquise. Et puis même si c’était si simple, rien ne prouve que c’est souhaitable.
La génération Y le demande. On se rend déjà bien compte que les Y, bien qu’ayant leurs spécificités ne sont pas la tornade annoncée. Et la remarque du point précédent vaut également pour eux. Et puis si on changeait tout à chaque fois qu’une tendance émerge pour faire plaisir à untel ou untel on ne s’en sortirait pas.
Le monde est devenu social. Heu…oui et vous m’expliquez ce que cela veut dire pour mon entreprise, mon compte de résultat, mon bilan ?
Il faut recréer de l’engagement dans l’entreprise. Oui mais cela n’est pas nouveau. Sujet RH vieux comme le monde. Et croire qu’un réseau social se substitue à une politique RH volontariste…
Nous travaillons d’une manière totalement inefficace. Cet argument est le plus rationnel. Mais pourquoi tout changer ? Plus de pression et plus de rigueur devraient faire l’affaire non ? Pourquoi tout changer au lieu de resserrer les vis ? Ah..parce que les échanges se passent mal, les conversations se perdent où n’arrivent pas ? Mais on ne paie pas les gens pour avoir des conversations et partager mais pour travailler. Aucune raison d’inclure ça dans le travail.
Le social customer impose une nouvelle approche de la part de l’entreprise. Et bien on va ouvrir une page facebook. Mais pourquoi changer tous les processus qui existent derrière l’interface entreprise/client. On fait comme avant en changeant la façade.
Il faut innover. Soit, on lance une plateforme dédiée, on recrée la boite à idée…et alors ?
Bon. On voit bien qu’il y a une part de vrai dans tous ces arguments mais, à moins d’avoir une sensibilité particulière, aucune raison suffisante de battre le branle bas de combat et repeindre son entreprise de la cave au grenier. On garde tout, on fait un peu de cosmétique çà et là et tout ira bien. Assez, donc, pour entamer quelques actions, pas assez vital pour prendre la mesure du changement nécessaire.
Peut on voir et expliquer les choses différemment ?
Comme je le dis souvent on ne change pas pour une mode, on ne change pas parce qu’une nouvelle voie est possible, on change pas parce que ça à l’air sympa mais parce qu’il existe une impérieuse nécessité qui peut impacter la survie de l’organisation à moyen ou long terme. Alors bien sur il y a l’argument imparable, ressorti depuis plus de 30 ans, imparablement vrai mais qui n’a finalement jamais eu l’impact escompté, surement parce qu’on regarde les choses avec les mêmes yeux. Je parle bien sur de la bascule dans l’économie du savoir. En fait, l’économie du savoir n’existe pas : l’idée et le besoin oui, mais ils ne se sont pas encore réalisés. Pourquoi changer management et organisation simplement parce que la matière première change ? Et puis, savoir ou pas, on continue à vendre bien souvent un produit ou une prestation bel et bien tangible.
En fait prendre en compte le concept d’économie du savoir n’a guère de valeur si on ne regarde pas avec attention le glissement de la création de valeur. Bien sur on continue à vendre des biens tangibles, matériels, mais la valeur glisse vers les services associés. Dans certains cas, d’ailleurs, le bien est une partie d’un service. Les constructeurs automobiles vont peu à peu cesser de vendre des voitures pour vendre de la mobilité, les manufacturiers de pneus ne vendent déjà plus aux compagnies aériennes mais « x décollages et atterrissages », le téléphone mobile n’est qu’un élément d’une offre de communication (et c’est pour cela qu’on le subventionne souvent). Demandons nous également si les problèmes de l’industrie musicale sont un problème de produit ou un problème de modèle et au final, si l’avenir de la musique n’est pas non plus d’être consommée comme un service. Même dans les services, les banques se rendent comptent que la vente d’un produit n’est plus une fin mais le début d’une relation dont il faut améliorer la qualité. Ca n’est pas la tertiarisation de l’économie, déjà connue, mais sa « servicisation ». On va de moins en moins acheter de produits ou prestations mais des services les incluant. Ce qui change un grand nombre de choses.
Si on considère le produit ou la prestation comme des constantes, la différenciation de l’offre passe par le service, la capacité à les inclure dans un dispositif qui satisfait un besoin donné, parfois unique. Cela nécessite d’être en mesure de mobiliser rapidement en interne opérationnels et « sachants » afin de voir si quelque chose de semblable a été fait pour le répliquer, ou, le cas échéant, de concevoir quelque chose de spécifique. Cela veut également dire que cette capacité à initier le mouvement doit venir des personnes qui sont en face du client. Cela nécessite que l’information ou leurs détenteurs soient identifiables et mobilisables (et idéalement partagée pour ce qui est de la première). Cela veut également dire que, vu la brieveté des délais, on ne peut se contenter de faire escalader les demandes. Qu’il s’agisse d’une demande spécifique ou de l’exécution de quelque chose de connu, il faut être en mesure de réagir dans l’instant. D’où un certain besoin d’autonomie des acteurs et une évolution du rôle du manager qui devient un facilitateur au service de ses équipes. Et comme on invente moins qu’on apprend à recombiner sans cesse l’existant, l’innovation de service devient un enjeu central.
Ajoutons à cela une nouvelle variable : le client qui devient de plus en plus collaborateur, co-constructeur et qui participe même parfois à l’exécution du service. D’où le besoin de revoir interactions et collaboration avec ce dernier, l’inclure dans une chaine collaborative étendue. En B2B autant qu’en B2C.
De plus, dans l’économie des services, le client ne valorise pas ce qu’il a objectivement reçu mais ce qu’il a subjectivement ressenti. Certains parlent d’une économie de l’expérience mais, derrière les mots, la réalité est là . C’est la capacité de reconfiguration, facilitée par l’information, afin de délivrer un supplément de valeur perçue au client qui sera source d’avantage compétitif et de valeur. C’est également un enjeu en termes de mesure de la productivité : la valeur ne dépend plus du temps passé mais de l’impact du temps passé sur la perception qu’à le client du service fourni.
Il faut donc adapter la manière dont on pense, conçoit et exécute les choses. C’est là que se situe le lien entre savoirs et service.
L’information, son bon usage, la capacité à reconfigurer produits et process est un levier essentiel dans une économie qui se « servicise » car c’est de là que viendront la valeur et l’avantage compétitif.
Difficile de considérer l’économie de la connaissance comme un argument suffisant pour enclencher le changement si on ne prend pas en compte la « servicisation » de l’économie. Mais pour admettre ce point il faut remonter un cran plus haut et voir où se déplace la valeur dans les business models.
Conclusion : s’il n’y a pas au départ, dans l’entreprise, une prise de conscience sur cette évolution des modèles de création de valeur on ne peut tirer les conséquences qui s’en suivent (et en tout cas pas les justifier même si on en a l’intuition). Et on aura donc aucune raison de mener les bons projets, dans la bonne direction, de manière cohérente, en y mettant les ressources nécessaires.
En une phrase : si on ne se penche pas sur cette question de glissement de la valeur il n’y a, au final, aucune question de changer quoi que ce soit et de faire autre chose que de la cosmétique désordonnée.