Résumé : si la mise en place d’une plateforme unique présente de nombreux avantages et est de loin la meilleure des solutions, elle n’est pas la plus simple à mettre en œuvre. Parce que l’entreprise, lorsqu’elle décide de prendre la main, arrive après les initiatives locales mais aussi parce qu’il est parfois politiquement difficile de faire converger les initiatives antérieures sans un minimum de courage…ce qui ressemble à la situation qu’on a connu avec les intranets et dont on n’a visiblement pas tiré les leçons. Mais une voie médiane semble se dessiner à condition que l’interopérabilité entre plateformes progresse.
C’est une question qui revient inlassablement alors même qu’on a à chaque fois l’impression de l’avoir définitivement traitée quelques mois avant. L’entreprise doit elle se concentrer sur un outil de réseau social unique ou avoir une multitude de plateformes ? Posée ainsi la question semble incongrue tant les arguments qui plaident en faveur de la plateforme unique sont nombreux. Mais c’est en fait une formulation « simpliste » du problème qui se pose en fait à deux niveaux : l’entreprise doit elle et l’entreprise peut elle ?
L’entreprise doit elle avoir une plateforme unique ou non ?
Ici on est sur le seul et unique angle de la rationalité. Sans entrer trop dans les détails il est évident que les avantage de la plateforme unique l’emportent largement. Par exemple :
atteinte d’une masse critique
évite de recréer des « silos sociaux »
meilleur management de l’attention du collaborateur qui n’a pas à jongler entre plusieurs outils sociaux
adoption plus simple car lorsqu’une même personne est concernée par plusieurs réseaux sociaux internes elle finit en général par tous les rejeter
gestion plus efficace du projet : coûts outil, formation etc… sont moins élevés lorsqu’on se concentre sur une seule plateforme, un seul outil.
Même si des bémols existent :
– plus simple de démarrer « petit » sur un périmètre limité, local
– le risque d’une plateforme qui répond à tout…est également qu’elle ne réponde à rien en particulier. A chercher le plus petit dénominateur commun à tous les besoins on ne satisfait plus aucun besoin du tout
Ces points négatifs sont réels et on ne peut les balayer d’un revers de main. Disons que sur la dimension « locale » il est important que comprendre que projet global n’emêche pas pilotage des usages par les besoins locaux. Au contraire…l’articulation des deux est souvent garante de succès. Pour ce qui est du risque venant d’une plateforme générique qui ne répond à rien en particulier, il faut justement prendre garde à ce que l’outil choisi :
– permette une large gamme d’usages, des plus simples aux plus avancés
– puisse, le cas échéant, supporter des développements spécifiques
– je garde volontairement ce point pour plus tard…
L’entreprise peut elle avoir une plateforme unique ?
On sait tous qu’entre ce qui est souhaitable et ce qui est possible il y a souvent de la marge. Et qu’à défaut d’avoir ce que l’on aime il faut bien apprendre à aimer ce que l’on a. La question du « pouvoir » est a mon sens beaucoup plus sensible que celle du devoir, c’est là que le bt blesse souvent. Et pas nécessairement pour les raisons auxquelles on pense au premier chef.
En dehors du besoin d’outiller des besoins ultra-spécifiques qui ne sont pas ou mal couverts par des plateformes généralistes, le principal soucis est d’ordre humain…voire politico-diplomatique.
Par rapport à de nombreux outils qui ont été installés par le passé, il y a une nouveauté avec les réseaux sociaux : le « local » (business unit, fonction, métier, équipe…)a souvent été plus prompt que le « global » à s’emparer du sujet et à expérimenter. Cela pour différentes raisons : outils faciles à installer sur une infrastructure locale et modèle Saas qui a souvent été le propre des pure players, notamment au moment où le marché émergeait et où l’offre des éditeurs traditionnels était insuffisante. Ce qui fait que lorsque l’entreprise décide, enfin, de traiter la question de manière globale, elle se retrouve avec des dizaines voire des centaines de projets qui « tournent », plus ou moins bien, soit, mais qui sont là , dans l’entreprise, et bénéficient d’une antériorité qui a entrainé des habitudes, voire leur confère une légitimité supérieure à celle du projet d’entreprise.
Il est évident que faire migrer des utilisateurs qui ont déjà leurs habitudes sur un outil donné n’est pas une tche facile. Il faudra au minimum leur garantir une facilité d’utilisation accrue (ergonomie, intégration avec le reste du SI) pour éviter l’effet déceptif, voire une reprise des contenus qu’ils ont pu partager par ailleurs pour ne pas donner l’impression de réduire leurs efforts passés à néant et repartir de zéro.
Mais il reste les « leaders » de ces différents projets. Quand bien même on réglerait la question de la « transition » des utilisateurs, reste ce qui relève davantage de l’ego, de la politique interne, des guéguerres intestines et, plus simplement, de la fierté personnelle. On revit ce qu’on a connu avec les intranets : à l’époque, créer son propre intranet était signe de pouvoir. J’ai mon intranet donc j’existe. Moralité, on a vu fleurir les intranets dans les entreprises. Certaines en ont compté des milliers, voire des dizaines de milliers, certains se limitant à deux pages html jamais mises à jour mais qu’il était impossible de toucher car, ce faisant, on portait atteinte à l’honneur, à l’image, au pouvoir de celui qui les avait initié. On voit bien le résultat aujourd’hui : parce qu’on a laissé faire et qu’on n’a pas voulu réagir alors qu’il était encore temps, les entreprises sont aujourd’hui en train de payer au prix fort une gabegie issue d’une absence totale de gouvernance au début des années 2000….et du manque de courage qui a suivi. Situation couteuse et improductive dont on n’arrive pas à sortir près de 15 ans après.
Ce qui s’est passé avec les intranets est en train de se reproduire avec les réseaux sociaux. La leçon n’a donc pas été apprise.
Parce que lorsque j’entends « il y a trop d’existant, c’est impossible de tout recadrer », l’argument sous-jacent n’est pas lié à la couverture fonctionnelle ni à la prise en compte de l’utilisateur mais le plus souvent à la gestion diplomatique du dossier. Il en ira donc des réseaux sociaux comme des intranets : on attendra d’être au bout du rouleau, de ne pouvoir nier que la fragmentation des populations et des usages a conduit à leur sous utilisation, qu’on s’est contenté de micro bénéfices voire qu’on a fini par y perdre au change pour, peut être, rationaliser les choses.
Parce qu’il y a des entreprises qui ont osé s’attaquer à leur « intra-capharnaeum ». Certaines dès le milieu des années 2000 comme IBM pour passer de plusieurs dizaines de milliers de plateformes à ….une. D’autres plus récemment. Ca n’a jamais été facile, il a fallu discuter, le mouvement de convergence a parfois pris 2 ou 3 ans, voire plus mais au final l’objectif était clair : il n’y aura qu’un intranet dans l’entreprise. Point final. Tout est fait pour que les choses se passent le mieux possible, que tout le monde y gagne mais il y a une deadline claire au delà de laquelle les plateformes dissidentes disparaitront. Preuve s’il en est que le « on ne peut pas » cache souvent un « on n’ose pas ».
L’interopérabilité pour éviter le tout ou rien
Est on dans une logique de tout ou rien ? Une plateforme unique pour qui a su prendre les bonnes mesures tôt ou a su faire preuve de courage tard ou un univers morcellé pour les autres ? Il y a peu j’aurais dit « malheureusement oui ». Mais les choses me semblent évoluer dans un sens intéressant et c’est l’option dont je parlais plus haut.
Plutôt que de plateforme unique je parlerai de « navire amiral ». Parce que le caractère morcelé de l’univers social est une réalité contre laquelle une entreprise qui a attendu 2010 pour rationaliser ne peut aller. Parce certaines plateformes répondent à des besoins très spécifiques qui les rend difficilement remplaçables par une plateforme généraliste (ou parce que les coûts de customisation de celle-ci pour un besoin marginal mais essentiel ne sont pas réalistes). On peut imaginer qu’il existe une plateforme dominante entourée d’un certain nombre de plateformes secondaires. L’existence de telles plateformes secondaires doit rester exceptionnelle mais peut être tolérée sous réserve qu’elles remplissent certaines conditions amenant à conclure à leur non-substituabilité. Dans cette situation on jouera sur un phénomène en plein développement : l’interopérabilité entre plateformes qui commence à devenir une préoccupation des éditeurs et va, a mon sens, prendre de plus en plus d’ampleur, ce qui permettra de trouver une voie médiane pragmatique serait mieux qu’un pis aller.
Par contre la coexistence de plusieurs plateformes dominantes ou le maintien d’une multiplicité de micro-plateformes sans cohérence ni fédération semble une voie difficile à tenir.
Je vois difficilement la flotte sociale avoir plus d’un navire amiral. Mais on peut envisager que ce dernier soit encadré d’une flottille…à condition que tous les vaisseaux soit capables d’échanger et se coordonner entre eux.