Résumé : on sait bien que les évaluations annuelles montrent leurs limites et qu’il est nécessaire non seulement de pouvoir donner des signes de reconnaissance aux salariés au fil de l’eau mais aussi que toute une partie qualitative et quantitative de l’investissement du salarié dans l’entreprise est aujourd’hui ignorée, faute de visibilité et d’indicateurs tangibles. C’est un peu ce que nous permet le « social performance management » : prendre en compte au fil de l’eau les feedbacks des collègues voire des clients pour enrichir l’évaluation d’un salarié. Mais en dehors du fait que de tels systèmes risquent fort de ne pas passer la barrière légale française, on peut se demander si leur nature et leurs imperfections à ce stade de la maturité des outils ne sont pas l’exemple type de la fausse bonne idée. Un sujet intéressant pour les RH quoi qu’il en soit car si l’outil fait peser un vrai risque, on ne peut fermer les yeux face aux questions qu’il pose quant à la manière dont on évalue les salariés.
Qu’est ce que le social performance management ? Disons pour faire court que c’est se servir de l’activité d’une plateforme de réseaux social afin d’évaluer les salariés. Quelques mots sur mes crédos en la matière avant de commencer :
– le salarié doit être évalué par rapport à sa mission et non par rapport aux outils qu’il utilise pour y arriver.
– l’activité d’une personne sur ces outils peut permettre d’évaluer la dimension qualitative de son travail (disponibilité, aide aux autres etc…) mais c’est un sujet très sensible à clarifier avec toutes les parties prenantes (IRP compris…) avant d’aller plus loin.
Avant, dans les entreprises ayant implémenté des plateformes de réseautage social (ou outils similaires) de telles choses se pratiquaient au jugé. Au feeling. Le manager voyait, constatait, avait une impression dont il faisait ce qu’il voulait. Il avait, par contre, par rapport à l’époque « pré-sociale », des moyens tangibles pour se justifier (« là tu as laissé ton collègue dans le besoin alors que tu avais la solution » etc…). D’une certaine manière c’était « moins pire » qu’avant car cela objectivait un peu cette partie de l’évaluation qui reposait auparavant sur beaucoup plus de subjectivité.
Maintenant on nous propose d’automatiser la chose avec des briques logicielles dédiées. Que font elles exactement ? Dans l’état de l’art actuel elles ne vont pas voir si vous allez aider les autres ou pas, si vous permettez de débloquer des situations ou pas. Elles se contentent de voir si les autres commentent positivement vos interventions, s’ils « likent » ce que vous dites. Exemple : Rypple et Salesforce.
Qu’est ce que cela va changer ? On va pouvoir élargir le spectre de l’évaluation, prendre en compte un grand nombre d’éléments qu’elle laissait de coté. Ainsi celui qui aide, celui qui est apprécié verra cela récompensé. Ou, tout au moins, son manager aura une vision quantifiée de cette dimension…à lui de s’en servir comme bon lui semble. Un mécanisme d’autant plus intéressant que dans les métiers de service, dans les activités de support, on pourra également suivre sentiments des clients ou partenaires qui ont collaboré avec un salarié sur une plateforme en ligne ou que le salarié a pu aider.
On sait bien que la traditionnelle évaluation annuelle ne correspond plus aux enjeux du moment. Cette idée de rapport à 380° fondée sur la réalité des interactions de travail permet non seulement d’avoir un indicateur qui se met à jour tout au long de l’année mais, surtout, de prendre en compte une dimension qu’on avait du mal d’appréhender jusque là et de donner aux salariés performants sur ce domaine la reconnaissance qu’ils méritent…si ce n’est plus.
Oui mais..
Sur de tels sujets on marche sur des œufs. Bien sur il y a risque, comme il y a risque en toute chose. Là n’est pas la question. Par contre la nature du risque est spécifique : quand on parle évaluation, l’imperfection de la technique a des conséquences sur l’équilibre social du groupe, la confiance. Et, d’un point de vue très pragmatique, derrière le risque humain arrive automatiquement le risque juridique qui, sur un tel sujet, est majeur.
Soyons clair. En matière d’évaluation le système doit être connu, accepté de tous et son « impartialité » garantie. Autrement dit l’erreur ne peut exister. Mieux vaut ne pas mettre un système en place (même prometteur et potentiellement très intéressant) que mettre en place une bombe à retardement qui au lieu de permettre de reconnaitre et récompenser les individus feraient exploser le groupe.
Or, aujourd’hui, de tels outils fonctionnent de deux manières.
La première est l’attribution de badges, bons points sous quelque forme que ce soit entre les utilisateurs. Non le système ne peut pas être biaisé et la recherche d’efficacité se transformer en un concours de popularité ou d’échange de bons points entre amis. Non..
La seconde est identification de mots « positifs » ou « négatifs ». Du « sentiment analysis » quoi. Et le sentiment analysis j’y crois beaucoup mais à une nuance près. Si on s’en sert pour monitorer la manière dont est vécu un événement par le public, la manière dont il juge un service ou un produit on peut accepter une marge d’erreur. Que le système se trompe sur quelques nuances de langage et traits d’ironie ne porte pas à conséquence. Sur des centaines de milliers d’occurrences concernant un thème on peut avoir une tendance globale fiable.
Mais lorsque qu’il s’agit d’évaluer une personne sur parfois quelques dizaines d’occurrences, si ce n’est moins, le droit à l’erreur est quasi nul. Croyez vous qu’on peut se tromper sur le sens d’un « Et bien bravo », « Super », « tu aurais pu mieux faire quand même » ? Hors contexte un humain peut se tromper. Dans le contexte l’appréciation peut encore donner lieu à des malentendus. Pour ce qui est d’une machine je préfère, en l’état actuel de la technologie, passer mon tour.
Alors bien sur, on dira que les données issues du système ne pèseront que pour une petite partie de l’évaluation, qu’on fera attention, que… Mais quand le ver est dans la pomme…
On dira aussi qu’il va être facile de jouer avec le système et truquer les résultats…mais on nous promet que des dispositifs sont prévus pour que les outils ne se laissent pas berner par des utilisateurs trop malins. A voir.
On touche là à une des limites de l’importation des fameux usages du web dans l’entreprise d’une part, et de l' »early adoption » des technologies d’autre part.
D’un autre coté c’est un sujet que les directions des ressources humaines devraient regarder avec la plus grande attention. Non pour s’en prémunir (traitement automatisé de données personnelles + évaluation = aucune chance que de tels dispositifs remplissent les conditions légales pour être utilisées chez nous aujourd’hui) mais parce que, qu’on le veuille ou non, le renouvellement des méthodes d’évaluation est un sujet sur lequel il est impératif d’avancer. Plus de pertinence, plus de prise en compte d’éléments qualitatifs, plus de reconnaissance et de prise en compte immédiate… Dans cette optique de tels dispositifs ont un réel intérêt…une fois qu’ils seront arrivés à maturité. En attendant c’est l’occasion de se poser la question de l’évolution du modèle actuel, peut être avec davantage d’huile de coude que de technologie pour l’instant.
De toute manière la question se posera un jour et un jour la technologie sera fiable. Mais elle ne sera d’aucune aide si l’entreprise n’a pas effectué sa mue sur le sujet. Et sur de tels points il est préférable qu’on ait avancé sur les pratiques en entreprise avant de jouer les apprentis sorciers avec de la technologie.
En attendant htons nous de ne pas sombrer dans le « new is beautiful » et, parce que c’est nouveau, prometteur, « social » et sympa de se jeter sur qui ne ressemble, aujourd’hui, qu’à une sorte de Frankenstein du SIRH. A moins que les DRH se découvrent subitement des vocations d’apprentis sorciers…mais je n’y crois vraiment pas.