Frustré de perdre le pouvoir hiérarchique ? Devenez client !

Résumé : beaucoup de managers craignent, avec l’évolution future de leur rôle, de perdre le contrôle sur le travail de leurs équipes. Une situation que d’autres vivent très bien en transformant le lien hiérachique en lien « client/fournisseur ». Visiblement plus efficace, ce dernier pose à  nouveau la question de la confiance dans l’entreprise.

Pour beaucoup l’évolution en cours des organisations n’est pas sans poser de nombreuses questions et causer des pertes de repères. En particulier en ce qui concerne l’évolution du lien hiérarchique et la prise d’autonomie des collaborateurs. Comment s’assurer que le travail est fait est bien fait lorsqu’on perd la possibilité d’imposer, d’ordonner et de sanctionner qui va de pair avec l’évolution, voire la dissolution du lien hiérarchique.

Il existe plusieurs manières d’aborder la question, chacune n’étant pas exclusive d’une autre.

Travailler à  améliorer la confiance. Dans de nombreux cas, en effet, il s’avère que le contrôle et le pouvoir de sanction ne sont qu’un substitut à  la confiance et qu’un nouveau dosage entre l’une et les autres est nécessaire pour des impératifs de réactivité et d’efficacité.

Rentrer dans une logique de service. Cela peut prendre différentes formes.

Comme on l’a vu chez HCL, cela peut passer par un renversement de la ligne managériale : chaque strate managériale devient au service de celle qui lui est immédiatement inférieure. La logique, ici, est de considérer que plus on est proche du client plus on impacte la valeur créée, donc plus on en s’éloigne plus le rôle est d’aider ceux qui en créent. Pas forcément plus simple à  gérer en terme de changement pour le manager mais au moins son rôle et sa mission ne souffrent d’aucun flou. Et il revendiquera à  juste titre son rôle dans les résultats obtenus par ses équipes.

Ou alors, comme je l’expliquais il y a longtemps dans cette ébauche, l’organisation orientée service. Chaque personne ou entité n’étant plus enfermée dans un rôle verticalisé et « siloisé » mais devenant un « service » disponible pour des clients internes et externes. Là  encore cela entraine un changement important dans les règles mais clarifie les rôles. Le manager devient un « articulateur » de service et le VRP d’une sorte de centre de compétence interne.

On le voit bien, la question posée par l’évolution du lien hiérarchique ne concerne, au fonds, pas tant la disparition du pouvoir et du contrôle que le flou dans lequel émerge la situation nouvelle et le caractère nébuleux des rôles, pouvoirs et obligations des uns et des autres.

Tout cela est en fait bien résumé dans une discussion que j’ai eu dernièrement avec un manager de terrain qui m’expliquait son travail, ses enjeux.

Ses équipes étaient composés d' »exécutants » qu’il manageait par le biais de ses 3 n-1. S’y ajoutait une équipe experte qui venait en soutien des hommes de terrains pour les aider à  formuler solutions et propositions sur des sujets techniques. Enfin…c’était avant. Aujourd’hui il a perdu le lien hiérarchique sur cette équipe qui continue, néanmoins, à  travailler pour lui. Chose qu’il m’annonce de la manière la plus décontractée du monde, sans l’ombre de la moindre frustration. Lorsque j’insiste pour savoir si ça ne complique pas les choses pour lui il me répond avec un grand sourire : « pas le moins du monde, je suis devenu leur client. C’est encore mieux qu’avant ».

Essayons de comprendre  le pourquoi de cette satisfaction.

Quel est son besoin ? Que l’équipe en question contribue au succès des hommes de terrain. Auparavant il contrôlait et organisait le travail entre les deux. Certitude que les choses étaient faites comme il l’entendait mais davantage de relations à  gérer donc de temps passé à  le faire. En devenant « client » il s’assure de l’obligation morale et contractuelle de l’équipe en question par rapport à  la satisfaction de son besoin. Il est également assuré de la responsabilisation de l’équipe à  la fois au niveau individuel mais collectif : ça n’est plus une problématique de réussite individuelle mais de réputation collective qui s’impose à  cette équipe. Il peut peut être même s’attendre, avec cette sorte de « spécialisation » accrue à  ce qu’elle améliore son niveau de service, sa manière de fonctionner. Et en tant que client cela ne lui enlève en rien la possibilité, in fine, de demander des comptes. Le tout sans avoir à  opérer un management dual entre le vertical et les experts transversaux et optimisant son temps et son énergie sur sa ligne métier. On peut même deviner que la même opération ayant eu lieu dans toutes les implantations locales de l’entreprise en région, plutôt que d’avoir une multitude d’experts faisant le même travail en équipes silotées on arrive à  un grand pool d’expert global, fournisseur de service pour toutes les business units. Avec, encore une fois, un impact fort sur la montée en compétence globale de ce pool, les échanges de pratiques et l’amélioration des modes opératoires et du service fourni.

Que retenir de tout ça ?

Que derrière la question de la perte du pouvoir hiérarchique se cachent deux préoccupations : s’assurer que le travail sera bien fait (qualité) et sera exécuté de la manière dont on veut qu’il le soit (moyens).

Pour ce qui est de la qualité rien ne prouve qu’un salarié qui exécute un ordre soit plus performant et délivre un travail de meilleure qualité qu’un autre, d’une certaine manière, exécuterait une prestation de service. On peut même penser qu’en termes d’engagement personnel ce soit même plutôt le contraire. En plus, dans le cas ci-dessus , le changement d’organisation entraine un regroupement, une mutualisation des expertises et une amélioration de la pratique qui ne peuvent être que bénéfique au client interne.

Pour ce qui est du mode opératoire, de deux choses l’une. Soit il existe une manière unique et officielle de faire les choses (fréquent pour de nombreuses activités) et dans ce cas le mode opératoire sera le même, manager ou pas. Soit ça n’est pas le cas et cela nous renvoie au rôle du manager.  Est il celui qui sait comment faire ou celui qui mets les autres en capacité de bien faire ? Est il celui qui sait ou celui qui connecte ceux qui savent à  ceux qui cherchent ? Et d’ailleurs, alors que tout devient pluridisciplinaire et qu’il est impossible pour une personne de maitriser l’ensemble des savoirs dans un domaine donné, la maitrise d’un métier est elle garante d’un bon manager ou l’activité de management demande t-elle des qualités spécifiques autres et radicalement différentes ?

A priori, passer de manager à  client est surement la meilleure des solutions dans un certain nombre de cas, notamment pour se recentrer sur son objectif et ne plus s’occuper des activités support. Plus pratique pour le manager qui se concentre sur l’essentiel et évacue une partie de son stress, plus responsabilisant et valorisant pour les salariés et certainement plus efficace en termes d’efficacité collective. A moins, encore, qu’on soit incapable de faire confiance aux autres. Mais dans ce cas, le problème n’est pas tant lié au rôle du manager qu’à  sa personne.

 

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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