Pourquoi il faut utiliser la gamification avec précaution

Résumé : la gamification est un formidable levier pour emmener les collaborateurs dans de nouvelles logiques. On aurait tort de la sous-estimer au prétexte qu’elle détonne un peu au milieu de pratiques plus anciennes et à  l’apparence beaucoup plus sérieuse. Maintenant, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse : non seulement la gamification n’est qu’une mise à  jour de pratiques plus ancienne mais, employée comme un cache misère plutôt que dans le cadre d’une refonte profonde des manières de faire elle peut, à  terme, être perçue comme une pratique court-termiste, infantilisante et manipulatoire.

Chaque année vient avec son concept à  la mode. Cette année c’est la gamification qui a tenu le haut du pavé et pour une fois j’estime qu’on a eu de la chance car on aurait pu hériter de quelque chose de beaucoup plus creux. Maintenant, comme toute chose nouvelle, le risque est évident de vouloir y voir une baguette magique qui va permettre à  moindre effort de régler tous les problèmes.  Comme l’écrivait Claude Super, ajouter un tel dispositif à  l’existant sans se questionner outre mesure sur le pourquoi de ce besoin et sans le positionner dans un dispositif plus global n’est que de la poudre aux yeux. Sans compter le malentendu relatif au lien entre le système et l’évaluation individuelle aux conséquences sociales et légales potentiellement lourdes.

Cela ne doit en rien nous faire perdre de vue le potentiel de telles approches. Elles permettent de rendre certaines choses plus agréables mais surtout de se positionner dans un parcours guidé davantage par une forme de sens et de suggestion que par un formalisme contraignant…même si au final on s’attend à  ce que le résultat soit le même mais avec un ressenti et une envie différente de la part de la personne concernée.

Mais nous devons être vigilants sur un certain nombre de points et croyances.

Croire que la gamification va tout résoudre.

Je lisais dernièrement quelque chose sur la « fatigue sociale », Le constat était simple : les gens sont sur-sollicités, donc ils participent moins. Il faut donc créer de l’engagement, et pour cela, passer par le levier de la gamification. Bon…vous savez ce que je pense de l’engagement  lorsqu’utilisé mal à  propos. Mais si tout le monde fait de la gamification pour stimuler l’engagement on revient à  la case départ vu qu’il reste la question de la ressource limitée : l’attention des personnes. Donc si un seul acteur adopte cette manière de faire il se crée un avantage face aux autres, si tout le monde fait pareil on ne résoud rien et on déplace le problème pour finir par se demander « comment engager pour qu’ils jouent pour s’engager pour participer ».

Croire qu’un peu de jeu va résoudre des problématiques plus profonde.

Si vos collaborateurs ne font pas quelque chose, ou mal, ou à  reculons, c’est peut être qu’il y a une cause beaucoup plus profonde que le caractère non ludique de la tche en question.

Croire que la gamification est un critère d’arbitrage.

Dans un monde de sur-sollicitation, le collaborateur préférera allouer son temps à  une tche gamifiée qu’à  une autre. C’est méconnaitre la notion de criticité et prendre le risques que des tches essentielles soit délaissées ou encore plus dévalorisées qu’elles ne n’étaient.

Croire que le badge permet de démonétiser une relation.

Le système existe sous d’autres formes depuis la nuit des temps. « Si tu es un bon garçon et que tu fais les choses bien tu auras un petit cadeau ». D’un seul coup une série de tche devenait plus attirante parce qu’au finalon y gagnait une petite prime, le droit de prendre le train en première, un bel iphone pour remplacer son blackberry etc… Coté client les compagnies aériennes ont compris le système depuis longtemps : tu voyages tu gagnes des miles, tes miles te permettent de devenir « silver », « gold » ou « platinum » et tu peux même t’en servir pour te payer des voyages ou des surclassements.

Aujourd’hui on remplacé les billets de première classe et les iphones par des badges mais la logique est la même. D’ailleurs sa raison d’être est souvent présentée ainsi : « vous demandez de s’engager, de participer, de donner…et vous croyez qu’ils vont le faire gratuitement ? ». D’où le badge. Et moi je répond : on remplace des « rewards » monétaires et monétisation par un badge et un sourire et vous croyez qu’il va se passer longtemps avant qu’ils se disent que vous les prenez pour des imbéciles ? Je sais que le fantastique monde 2.0 qui nous attend fait abstraction de ces considérations bassement matérialistes, qu’une relation saine et passionnée entre une personne et son employeur et une marque ne saurait être entachée par quelque chose d’aussi bas et vil. Mais quand même.

On regardera avec intérêt, par exemple, l’opérateur téléphonique GiffGaff au Royaume-Uni par exemple. Ils « outsourcent » une large partie du support auprès de leur communauté de clients. Une pratique logique et très efficace en termes de coûts pour un opérateur de cette taille. Mais là  où des entreprises similaires se satisfont que leurs clients passionnés leur évitent de devoir recruter (cas réel…), GiffGaff récompense sa communauté en donnant des crédits qui peuvent servir à  acheter un téléphone, des options sur son forfait…ou qui peuvent être donnés à  une œuvre de charité. Un modèle beaucoup plus sain sur le long terme à  mon avis, et plus respectueux du temps donné.

Car ça n’est pas tant la composante monétaire ou monétisable de la relation qui compte…c’est au travers des mécanismes mis en place le respect que l’on témoigne aux autres qui transparait.

De là  à  dire que se servir des « bonnes » valeurs du monde « 2.0 » pour se lancer dans une opération d’infantilisation massive de la relation entreprise employé/client est une arme qui risque de se retourner un jour contre ceux qui la tiennent…

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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