Durable c’est bien, renouvelable c’est mieux

En deux mots : la durabilité est un concept à  la mode. Elle incarne le besoin de continuité dans la performance et le respect des ressources. Mais n’est elle pas facteur de status-quo et au final dangereuse dans un monde ou la rupture fréquente est la norme? Ne devrait on pas penser, agir, gérer et se gérer en pensant renouvellement que durabilité ? Réinventer les moyens du succès en permanence plutôt que refuser de voir le monde qui change ?

Même lorsqu’on parle d’entreprise et de performance il est de bon ton d’y ajouter le mot durable. Bien sur parce que le terme est politiquement à  la mode et qu’il montre qu’on attache de l’importance à  l’exploitation des ressources concernées, qu’on respecte son écosystème et l’avenir. Mais pas seulement. Parce que si nous sommes dans un monde qui évolue sans cesse plus vite, que l’enchainement des ruptures à  un rythme effréné devient la nouvelle norme et l’adaptabilité le seul moyen que chacune ne débouche pas sur une crise, il importe de ne pas seulement préoccuper de sa performance aujourd’hui mais de se donner les moyens de la maintenir dans le temps.

Cela vaut aussi bien pour l’entreprise que les individus qui la composent: il faut leur donner les moyens d’évoluer pour ne pas qu’ils deviennent « obsoletes » en un clin d’oeil. C’est là  tout l’enjeu de l’apprentissage « dans et pendant le travail ».

Mais est-ce que la durabilité est la bonne solution à  nos enjeux. La durabilité véhicule en effet deux idées. La première est qu’on peut faire durer une situation. La seconde est qu’on y arrive en préservant les ressources utilisées (qu’elles soient matérielles, naturelles ou humaines). Or ces deux hypothèses sont en grande partie fausses.

On ne peut faire durer une situation plus longtemps qu’elle ne doit durer par elle-même sauf à  s’enfermer dans le déni, ériger des barrières contre le monde qui nous entoure…et prendre le risque de le payer au prix fort le jour où les digues ne sauront plus protégé notre petite monde fermé de la réalité qui nous entoure. Refuser de voir le monde qui change a ainsi causé à  terme la perte de nombreuses entreprises…voire de pays qui payent aujourd’hui au prix fort le fait d’avoir tenté de préserver des modèles hérités d’un autre siècle. Exemple : Kodak et le numérique, les anciens géants de la vente par correspondance et le web, Nokia et RIM face à  Apple et Google…la liste est longue

Ensuite la préservation de la ressource n’est pas toujours (je dis bien pas toujours…) le seul moyen de durer. Cela peut suffire si on part du principe que l’hypothèse selon laquelle une situation peut être prolongée au delà  sa durée de vie propre est vérifiée…et ça n’est pas le cas. La solution peut être également un changement de modèle qui implique une utilisation différente de la ressource ou l’utilisation d’autres ressources. Exemples : essence vs électricité, fioul vs solaire, mais également pour un salarié acquisition de compétences et savoirs nouveaux en remplacement de celles qui ont fait sa réussite mais ne lui seront plus utile dans un avenir proche (car si on ne substitue pas la ressource « savoir » on va devoir substituer la ressource « homme » ce qui est autrement plus dramatique).

D’ailleurs Steve Denning le disait dans Forbes il y a peu : même l’avantage compétitif durable n’existe plus. Vous savez, celui de Porter. Celui qu’on a tous appris à  l’école comme étant un des invariables sur lesquels construire notre pensée, quelque chose d’aussi certain et permanent que 2 et 2 font 4 ou que la composition de l’air. L’avantage compétitif existe mais il ne peut plus être durable.

Plus que la durabilité, l’enjeu est donc dans le renouvellement.

Plutôt que faire durer un avantage compétitif il va falloir sans cesse en reconstruire un nouveau. Plutôt que faire durer la performance on doit sans cesse réinventer son business model et son mode opératoire. Plutôt que s’accrocher aux savoirs et compétences qui ont fait notre succès hier, développer par nous même ceux qui feront notre succès demain. Plutôt que mourir avec un produit star, savoir qu’il ne nous donne qu’un ou deux ans d’avance.

Performance, compétences, employabilité, avantage compétitifs etc. se devront donc d’être renouvelables plutôt que durables.

S’agit il juste de jouer sur les mots ? Non. C’est tout un mode de fonctionnement nouveau à  insuffler dans l’entreprise. Un mode de fonctionnent qui privilégie l’innovation, la créativité, l’intrapreneuriat à  la conservation des acquis. Une culture de la prise de risque (et donc d’acceptation de l’échec) et du changement plutôt que de la préservation et de la pérennisation du status quo. Des entreprises qui n’ont pas peur de balayer d’un revers de la main ce qui a fait leur succès hier pour embrasser ce qui le fera demain (comme IBM et d’autres). Des entreprises qui savent saisir les opportunités inattendues plutôt que s’enfermer dans des plans (Semco).

Jack Welch disait :

« Lorsque la vitesse du changement hors de l’organisation dépasse la vitesse du changement à  l’intérieur, la fin est proche ».

Et si ce qui causait de telles situations était la recherche de durabilité au détriment du renouvellement ? A mettre toute son énergie dans la préservation de l’existant en reste-t-il pour construire l’avenir ?

Durer n’est pas un business model pérenne. Se renouveler oui.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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