En deux phrases : habitués à se reposer sur des réseaux de partenaires à dimension fortement techniques, les éditeurs vont devoir explorer d’autres types de partenariat pour adresser efficacement le marché de l' »enterprise social software ». Plus que de porter attention à des acteurs nouveaux, c’est la notion même de partenariat et le contenu de leurs programmes qu’il va falloir réinventer.
Courant novembre j’ai vu passer ce tweet de Ray Wang qui partagait son sentiment sur l’avenir des écosystèmes de partenariat autour des éditeurs de solutions de réseaux sociaux et « enteprise social software ».
Un sujet guère évident mais qui fait écho aux préoccupations des entreprises ainsi qu’à certains questionnements des éditeurs en question face à la nature nouvelle de ce type de produit.
Un intégrateur ne suffit plus
Historiquement les éditeurs se sont doté d’un écosystème de partenaires essentiellement techniques. Les uns fournissent le logiciel, les autres l’installent et l’intègrent. Chacun son métier. D’ailleurs les seconds sont rapidement devenus des partenaires commerciaux démultipliant la force de vente de l’éditeur et assurant une présence quasi permanente dans les entreprises où ils travaillent au quotidien. Le partenaire technique devient donc également revendeur dans un système où toutes les parties trouvent leur intérêt.
Au fur et à mesure que l’on se rapprochait du métier et s’éloignait de l’infrastructure, la technologie a commencé à induire et supporter des changements qui touchaient l’utilisateur de près, l’impactaient de plus en plus directement. A la compétence technique, nombre de ces partenaires ont du ajouter une compétence conseil. Pour le meilleur ou pour le pire suivant les cas. Guère évident de développer et conserver certaines expertises dans une entreprise dont le coeur de métier reste la technique et où le conseil n’intervient qu’en rapport avec celle-ci. Ce qui limite le champ des possibles, la capacité d’intervention et parfois fait qu’on arrive après la vraie bataille. De fait, à part quelques contre exemples notoires, l’activité de conseil est souvent restée périphérique et « good enough », l’expertise clé du partenaire étant ailleurs. A tel point que certains éditeurs ont crée leur propre département conseil qui, ADN consulting obligé, a toujours eu tendance à vouloir voler de ses propres ailes pour, justement s’affranchir de la contrainte technologique. Bref, héberger une réelle expertise conseil est d’un point de vue culturel très difficile, qu’on soit éditeur ou intégrateur.
La difficile cohabitation du conseil et de l’assistance technique
Une situation pas forcément facile à gérée mais que la plupart des éditeurs arrivent à peu près à manager de manière pas exceptionnelle mais relativement convenable.
L’arrivée des dits éditeurs dans le domaine du Social Business a changé la donné. Car s’il l’enjeu technologique est important, la réussite de la technologie n’a jamais été conditionnée par des facteurs aussi éloignés d’elle. Et le domaine est tellement protéiforme qu’il existe une kyrielle d’expertises susceptibles d’être mobilisées. Et, l’expérience le montre, les partenaires intégrateurs/revendeurs traditionnels peinent à pleinement jouer leur rôle sur ce marché. Pour des raisons de compétences tout d’abord (pas facile d’avoir les bonnes compétences en nombre suffisant pour ce qui n’est pas une activité core-business, et peut être parfois même pas rentable) mais également pour des questions d’acteurs. Les projets Social Business ne partent pas que des DSI….et parfois partent de partout sauf de là . Cela nécessite des contacts et un discours nouveau pour s’adresser à des directions métier, RH, communication etc qui ne comprennent pas le discours « outil » voire ne veulent surtout pas en entendre parler.
Ce domaine « appartient » à un autre genre de prestataires. Parfois généralistes, parfois pure-players de niche, rarement technophiles, parfois avec une culture IT proche de zéro voire une très faible appétence pour le sujet. Ils font en général face à la technologie une approche qui ressemble plus à celle du client que du partenaire : ils veulent que ça fonctionne et comprendre le pourquoi du comment n’est pas leur problème.
Nouveaux partenaires et nouvelle culture du partenariat
Et comme le disait Ray dans son tweet, ce sont avec ces partenaires que les grands du soft vont désormais devoir travailler. A priori rien de plus simple : gérer les partenariats et les « channels » ils savent faire, et plutôt bien. Certains vous diront d’ailleurs qu’une fois qu’on a géré les partenariats chez un grand éditeurs on peut les gérer partout. Mais dans les faits c’est une révolution copernicienne qui s’annonce pour les éditeurs. Une révolution qui va demander du temps, des efforts et une certaine remise en cause culturelle.
En effet :
– Ces partenaires sont de culture différente : le dialogue entre un éditeur et une boite de com’, un cabinet de conseil ou RH ou en événementiel est tout sauf évident. Leurs contraintes sont radicalement différentes, leur mode de fonctionnement également. Cela peut tourner à l’incompréhension la plus totale.
– Ces partenaires ne sont pas historiquement dans leur radar : à part quelques « majors », il va falloir identifier des acteurs de niche, parfois locaux.
– Ces partenaires sont tailles différentes : on ne gère pas une relation de la même manière entre deux entreprises de 200 000 personnes et une de 200 000 et une autre de 50. Procédures, temps à investir, modalités d’engagement sont là aussi aux antipodes.
– Ces partenaires n’ont pas par leur taille, leur spécialisation et leur volonté de rester objectifs sur leur marché vocation à se rémunérer sur la vente de software contrairement aux intégrateurs. Ils n’ont d’ailleurs souvent ni la culture ni les moyens de staffer une équipe dédiée.
– Alors que ces partenaires ont une expertise « métier » et « usages », les éditeurs ne savent certifier que des compétences techniques. Se pose donc un problème de reconnaissance voire de label qualité.
– En termes d’enablement, les formations techniques proposées par les éditeurs ne correspondent pas aux besoins de ces partenaires, en recherche d’acquisition de compétences davantage orientées vers la compréhension de l’outil coté utilisateur pour en tirer le meilleur.
Autrement dit, dans 90% des cas, les partenaires auxquels Ray fait référence ne sont en général même pas qualifiés pour postuler aux programmes partenaires des éditeurs. Et lorsque que les éditeurs essaient de monter des partenariats « parallèles », hors du schéma officiel avec eux, il faut beaucoup de temps, d’énergie de chaque coté pour apprendre à travailler ensemble, découvrir les besoins de l’autre et voir comment on peut y répondre.
Les éditeurs vont réinventer leurs programmes partenaires
J’ajouterai un dernier point. Le challenge pour les éditeurs ne sera pas seulement de travailler avec ces partenaires nouveaux mais de les faire travailler avec leurs partenaires intégrateurs traditionnels. Là encore besoin d’apprendre à se connaitre, à travailler ensemble, à construire une approche commune là où les intérêts peuvent parfois diverger, à construire une méthodologie conjointe et non pas superposer deux interventions parallèles. Là encore, construire de tels attelages qui se connaissent, ont confiance les uns dans les autres, comprennent le métier et les actions les uns et des autres et parlent d’une seule voie est tout sauf simple.
Par contre c’est ce que les entreprises demandent. C’est ce qui a du sens pour elles. Une approche intégrant toutes les expertises et non pas du « presque » sur chacune qui leur facilite également les choses en proposant une approche unifiée sans les obliger à manager des partenaires hétéroclites sur un même projet.
La bonne nouvelle c’est que les éditeurs s’y mettent. Peut être de manière plus intuitive pour les pure players de taille plus petite, mais je peux également témoigner de la volonté locale de certains « gros » de travailler de la sorte. En tout cas localement car au départ de telles initiatives sont des affaires de personnes plus que d’entreprises. Et les résultats sont à la auteur des espérances pour tout le monde. Client compris.
Apprendre à travailler avec un éditeur
Par contre, sachant l’énergie, le temps, voire les risques pris par des individus convaincus pour arriver à ce niveau de résultat une chose est certaine : les responsables « channels et partenaires » de ces grandes maisons vont devoir totalement réinventer leurs approches et opérer une transformation génétique majeure dans les mois et années à venir. Et ces partenaires apprendre une forme ce bilinguisme nouvelle, car pour se comprendre il faut que les deux y mettent du leur. Pas évident..mais surement passionnant.
Une réflexion à mettre en parallèle de celle de Pierre Audoin Consultants sur l’évolution du monde des SSII.
Au cœur de la transformation vers le numérique, les sociétés de conseil et d’intégration doivent ajuster leur positionnement marketing, notamment à travers le choix de leurs interlocuteurs clients (marketing, métiers, DSI, etc.) et du type de prestations (management de projet, expertises technologiques ou métier, conseil en management, intégration de solutions et plateforme « cloud », etc.) pour proposer des prestations de services adaptées aux enjeux actuels. Ceci peut représenter une véritable révolution culturelle, tant le secteur du conseil et de l’intégration de systèmes en France s’est construit de manière relativemeent opportuniste et empirique sur le modèle de la simple délégation de ressources.
De ce coté également nouvelles compétences à acquérir ou partenariats à construire. La cause en est indéniablement la même.