En deux phrases. Entreprise 2.0 et Social Business visent à une allocation flexible et désintermédiarisée des actifs immatériels de l’entreprise en fonction des besoins pour plus d’agilité organisationnelle. Un modèle qui en dépit des nombreux dispositifs d’adoption mis en place ne peut se greffer sur les systèmes d’allocation planifiée qui sont la norme.
Afin d’expliquer et justifier un certain nombre de nouvelles approches du travail et de l’organisation on se réfère souvent au Cluetrain Manifesto et au premier de ses postulats : « Les marchés sont des conversations ». D’où on déduit la nécessité d’un certain nombres de pratiques nouvelles que l’on retrouve dans grand nombre de démarches estampillées « social » ou « 2.0 ».
Les marchés sont des conversations. Mais les entreprises ne sont pas des marchés.
Du simple bon sens ? C’est un sujet sur lequel j’ai l’habitude d’émettre les plus grandes réserves. Que ce principe régisse les relations entre l’entreprise et ses clients ne fait aucun doute. Que l’entreprise soit prête à en tirer les conséquences est une autre question. Mais, après tout, c’est le but de tels manifestes, provoquer une prise de conscience. A priori entreprise et clients opèrent sur un marché mais la réalité, ce que les entreprises ont de tout temps essayé d’instaurer relève davantage de l’économie planifiée : on crée, dicte et programme les tendances, le consommateur acquiesce, relaie le message et achète. On a déjà vu mieux comme marché, comme lieu de rencontre et de construction de l’offre et de la demande. Mais il n’empêche qu’a priori il s’agit d’un marché par nature et que c’est donc à l’entreprise d’en tirer les conclusions et agir comme tel plutôt que rester dans l’illusion du modèle planifié qu’elle a réussi à imposer pendant quelques décennies.
Mais qu’en est il du fonctionnement interne de l’entreprise ? A priori l’objectif des démarches dont nous parlons est bel et bien d’en faire un marché. En tout cas pour ce qui est des savoirs : faire rencontrer ceux qui les détiennent et ceux qui en ont besoin et, idéalement, continuer de les développer dans le cadre du travail de chacun. Mais pas contre l’entreprise n’est pas un marché et, contrairement à ce qui touche à la relation client, n’a jamais eu vocation à l’être. On est dans un modèle de stricte allocation planifiée des ressources (temps, personnes, budgets…) qui fait que toute l’énergie dépensée à faire émerger un modèle conversationnel dans l’entreprise est en grande partie voué à l’échec. On rend souvent la culture d’entreprise responsable de tous les blocages mais en l’occurrence elle est souvent un bouc-émissaire facile.
La réalité est beaucoup plus simple que cela. Le modèle d’allocation des ressources rend non seulement la conversation difficile mais, surtout, empêche d’en tirer parti. S’il est déjà compliqué de pouvoir identifier la bonne ressource et pratiquer un bref échange avec elle, il quasiment impossible d’aller plus loin et de mobiliser la ressource pour quelque chose de plus approfondi, pour une tche même minime.
Alors que les logiques d’adoption et d’engagement font tout pour favoriser la conversation qui fluidifie le marché, rien n’est fait pour traiter la question du système qui empêche l’entreprise de fonctionner comme telle. On continue à traiter les conséquences du problème par l’exhortation mais sans s’attaquer au problème lui-même.
L’entreprise marché, condition de l’agilité
Ceci dit le modèle d’entreprise marché est une piste d’avenir à considérer avec le plus plus grand sérieux dans la mesure où il est une composante essentielle d’une organisation agile. Et pas uniquement pour ce qui est des échanges de savoirs mais pour une meilleure meilleure affectation des ressources en général et un meilleur contrôle des coûts en particulier. En effet si le modèle conversationnel permet de mettre en relation ressource et besoin de manière flexible avec un besoin en coordination faible voire nul, on peut l’appliquer à un certain nombre de situations dont certaines sont déjà connues, d’autres moins
Besoin de savoir, de retour d’expérience pratique.
Besoin de ressources financières exceptionnelles alors qu’il existe des budgets alloués et finalement non utilisés auxquels on essaie de trouver une utilisation « locale » alors qu’il existe des besoins urgents non financés
Besoins de mise à disposition de ressources pour une micro-tche
Crowdsourcing, open innovation, crowdfunding. On connait tout ça mais lorsqu’il s’agit de le mettre en œuvre on préfère le faire vers l’externe qu’à l’interne.
Au final il y a, et malgré la crise et la reprise en main qu’elle a entrainé, des ressources momentanément sous-utilisées qui le restent faute d’être identifiées et « libérables », ce qui entraine des surcoûts (appel à un prestataire externe vs ressource interne) ou des ineptie budgétaires (un service a besoin de quelques milliers d’euros en fin d’année pour une urgence alors qu’un autre trouve un moyen de dépenser une « queue de budget » sur un projet non essentiel).
Mais ne nous trompons pas. Ca n’est pas tant la mise en place de places de marché internes qui posera problème. Potentiellement elles existent déjà . C’est de revoir tout le mécanisme d’allocation des ressources qui donnera des sueurs froides aux DRH et autres contrôleurs de gestion.
Pas d’allocation flexible des ressources et savoirs dans un modèle planifié.
En tout cas ne nous arrêtons pas aux effets de surface. Derrière l’évolution nécessaire des organisations il n’y pas que des logiques de collaboration, d’engagement, de conversations. Il y a avant tout et surtout des logiques très techniques d’allocation des ressources. Mais visiblement on préfère rester dans l’incantation et l’adoption, c’est moins risqué même si c’est profondément contre-nature
Un modèle d’allocation flexible des actifs immatériel de l’entreprise fondé sur les échanges et les conversations ne fonctionnera jamais si on se contente de le greffer sur un modèle d’allocation planifié des ressources. C’est aussi simple que cela. Exhortations et gamification n’y changeront rien.