Collaboration Sociale en Europe : leadership et incompréhension

Après McKinsey c’est au tour de Pierre Audoin Consultants de nous livrer son étude de l’état de l’art de la collaboration sociale. Elle propose, de plus, une vision comparée entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Un état les lieux beaucoup plus lucide correspondant mieux, à  mon sens, à  la réalité.

Allemands et Anglais très opérationnels, les français dans l’image

Une des premières choses mises en avant par l’étude est la diversité des besoins qui amènent à  mettre en place une solution de collaboration sociale. De la réduction du volume d’email à  la coordination d’une équipe en passant par l’identification des ressources la liste des besoins couverts est large. Rien de nouveau ici mais on regardera avec attention les différences selon les pays. Si la réduction du volume d’emails est plus importante en Allemagne, les français privilégient l’attractivité de leur division auprès des collaborateurs. On voit d’ailleurs bien – et sans étonnement – que si Allemands et Anglais ont une vision très opérationnelle des choses (coordination, processus, exécution) les français restent dans le soft : attractivité, intégration des salariés et plus généralement « rassembler ». A se demander si en France on ne voit pas dans ses projets qu’un vague outil de communication et de promotion plutôt que de changement.

Différence que l’on retrouve clairement quantifiée dans l’étude : les allemands privilégient l’efficacité des processus et le réseautage, les anglais la rapidité de mise sur le marché et la relation client et les français la motivation et l’implication. Surprenante attente française quant on voit la faible présence des RH sur de tels projets…à  moins qu’on essaie de faire des RH sans les RH ?

L’explication de ces différences se trouve plus loin. Une approche opérationnelle demande un fort travail du management, un travail qui va bien au delà  de l’adoption mais qui vise à  transformer les opérations quotidiennes, la manière dont on fait réellement les choses. Et sur ce point la France est, des trois, le pays où le management est le moins impliqué et le plus distant par rapport au sujet. Oui au changement de façade, non à  la remise en cause des habitudes pourrait on dire. Un point qui me rappelle nombre de discussions avec des confrères Allemands qui s’étonnaient de l’hystérie française sur les communautés et le communautés management là  où eux pensaient réseaux et flux de travail. N’oublions pas que le plus souvent l’intérêt d’une communauté est qu’elle fonctionne sur la base du volontariat, hors du flux de travail. Elle se superpose à  l’existant, s’y ajoute, mais ne remet pas en cause la structure opérationnelle. CQFD

Implication du management, culture et….sécurité

Et certaines habitudes ont la vie dure puisque la France est le pays où le collaborateur a le plus faible niveau d’autonomie (et ce dans des proportions réellement inquiétantes).

D’ailleurs, de manière générale c’est le manque d’autonomie du salarié et le manque d’implication active du management qui sont les freins principaux à  la collaboration sociale, quel que soit le pays. Et le fait qu’il existe une culture plutôt ouverte ne change rien à  cette déficience qui est plutôt d’ordre structurelle. Preuve s’il en est que si « la culture avale votre stratégie au déjeuner », une structure, un système inapproprié l’emportera toujours sur la culture en question. Et qu’il est essentiel que les managers s’approprient le projet non pas en tant que simples utilisateurs mais en tant que managers.

Culture encore, l’utilisation des réseaux sociaux et des outils du web social est très peu encouragée en France contrairement à  l’Allemagne et au Royaume-Uni. Le problème est que l’écart se situe dans une proportion de 3 à  5 traduisant un véritable fossé dans l’acceptation de ces outils et pratiques nouveaux.

Les craintes les plus fortes touchent à  la sécurité : sécurité et données et fuite des savoirs sont parmi les craintes majeures dans les trois pays même si, en France, le problème est secondaire par rapport au fossé culturel. Personne ne voit l’acceptation du projet par les collaborateurs comme problématique, ce qui, je pense, doit souvent entrainer quelques surprises qui ne se manifestent pas de manière offensive mais par un simple désintérêt dès lors que sens et alignement avec la mission individuelle ne sont pas au rendez vous. Coté français, surprise, les craintes invoquées sont en effet l’inadaptation culturelle et le manque de soutien de la direction générale.

Pour les français la collaboration sociale est détachée du travail

Autre sujet que je vois pour la première fois mentionné dans une étude alors qu’au quotidien je le remarque jour après jour dans les entreprises : la condition première de succès d’un projet de collaboration sociale est…la mise en place d’outils et règles de sécurité spécifique. Parano les entreprises ? Non. Cette demande je la vois même souvent remontée par les collaborateurs : il s’agit simplement de fixer les règles du jeu et ne pas laisser l’outil dans une zone d’ombre où on ne sait quoi faire et, surtout, jusqu’où aller. On juge également qu’il est très d’important d’intégrer ces solutions avec les outils de gestion de contenu et, seulement ensuite, avec les applications métier.

Mais là  encore les différences entre pays sont éclatantes. Le besoin de securité est primordial en Allemagne (86%) et peu en France (36), les anglais croient beaucoup en l’analyse des donées, les allemands peu et les français pas du tout. Quant aux besoins d’intégration avec les outils de gestion de contenu et les applications métier (et là  asseyez vous bien) il est entre 35 et 41% en Allemagne…et 10% en France.

Pour finir seuls 60% des projets font partie d’un plan stratégique coordonné à  l’échelle de l’entreprise. 40% sont pilotés au niveau d’un département et d’un métier.

Un besoin d’accompagnement fort, notamment en amont

Conclusion sans surprise : si l’Angleterre mène la danse, talonnée par l’Allemagne, la France est totalement décrochée. Non pas qu’elle ne manifeste pas d’intérêt pour ces sujets, bien au contraire, mais parce que son logiciel culturel est totalement dépassé.

Là  encore, cette étude mets le doigt avec lucidité et objectivité sur cette vérité qui dérange. Management peu impliqué au delà  des bons discours, faible autonomie du collaborateur, projets de façade sans remise en cause profonde du système et des règles : la collaboration social est un trompe l’oeil, un projet souvent cosmétique qui sert à  cacher des structures dépassées mais qui n’ont aucune envie de se réformer.

Le potentiel en France existe, les nombreux projets en témoignent. Et les entreprises ont conscience de leurs propres lacunes et insistent sur le besoin d’un accompagnement fort, notamment en amont. Un constat que je ne peux que partager même si, dans les faits, je regrette qu’on néglige trop souvent la dimension amont, qu’on aille trop tôt trop vite sur l’outil et que, dans les faits, on accompagne l’outil plutôt que d’accompagner un projet d’entreprise et on travaille davantage sur l’adoption par le collaborateur que sur l’exemplarité et l’appropriation par le management.

Quoi qu’il en soit cette étude de Pierre Audoin Consultants est bien structurée, apporte pleins d’informations et d’analyses de valeur et est indéniablement le document le plus objectif, lucide et pragmatique que j’ai lu sur le sujet ces derniers mois. A se procurer avant de se lancer.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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