Qui survivra dans la jungle des réseaux sociaux d’entreprise ?

Pas une semaine sans qu’une nouvelle solution de réseau social d’entreprise ou apparentée ne fasse son apparition. Les rapports des analystes sur le secteur donnent le vertige quand on voit, malgré le tri effectué, le nombre d’acteurs en présence. Si on élargit le scope et qu’on regarde, en plus des acteurs à  la reconnaissance plus ou moins internationale (peu importe leur taille d’ailleurs) ceux qui ont davantage une vocation d’acteurs géographiques locaux ou adressent un marché de niche, on ne parle plus de liste mais d’annuaire !

Sur un marché ou la consolidation a déjà  commencé, où les meilleurs pure-players ont déjà  réussi leur entrée en bourse ou été rachetés, que va-t-il advenir des centaines d’entreprises présentes sur le marché et qui continuent à  y arriver de manière surprenante ou courageuse ?

Les réseaux sociaux sont morts. Vive les plateformes sociales.

Déjà , tout le monde ne vise pas la même chose. Par choix ou par nécessité, tout le monde ne vise pas la même chose. Certains ont une vocation hégémonique dans l’entreprise (le réseau social unique), d’autres une vocation de niche, par marché (PMEs ou petits départements), pays (vocation à  n’être qu’un acteur national) ou métier. Ils n’ont donc pas ou pas encore les mêmes contraintes.

Commençons par les « hégémoniques ».

Bien malin celui qui pourra prédire le vainqueur de la course. Par contre on peut dresser un tableau des enjeux, chacun étant libre de faire sa propre évaluation en fonction des « assets », de la vision et de la capacité des uns et des autres à  se positionner dans la durée. Car le marché du réseau social d’entreprise n’existe plus et 2013 sera l’année de son enterrement festif. En tout cas pour ces acteurs. On a vu que la valeur du réseau social se situait à  sa périphérie et que ce qui était un marché de produit devient un marché de plateformes.

Ce qui signifie qu’on ne peut plus se contenter de juger un outil de réseau social par rapport à  ses fonctionnalités (même si cela compte) mais par rapport à  la capacité de l’éditeur à  fournir en plus (voire au préalable) à  fournir un ensemble d’outils et de dispositifs permettant un fonctionnement « social » de l’ensemble de l’entreprise peu importe l’activité ou le process concerné, de manière cohérente, alignée et sans rupture de flux entre les différents outils utilisés (même si issus d’un éditeur tiers). C’est ce qui distingue, au niveau des projets, le passage du « utiliser un réseau social d’entreprise » à  « devenir un social business« .

On évaluera donc :

Le réseau social d’entreprise : c’est la partie immergée de l’iceberg. Ca n’est plus celui qu’on a connu pendant quelques années mais un vrai hub de communication interne qui deviendra le centre du poste de travail, permettant l’unification du traitement des signaux reçu.

Les social analytics  : au début on se contentait des statistiques d’utilisation du réseau social, ce qui est le minimum vital mais finalement apporte peu de valeur. Ce qui importe aujourd’hui c’est de donner du sens à  cette masse incroyable d’informations non structurées et éparpillées. D’abord pour trouver des informations pertinentes à  un moment donné, dans un contexte de travail donné. Ensuite pour prendre des décisions et piloter l’entreprise et, pour cela, la notion de plateforme prend tout son sens. D’abord parce que les données pourront être utilisées par un système tiers (RH par exemple, voir plus bas), parce que ces données ne seront pas à  trouver que dans le réseau social d’entreprise mais n’importe ou sur le SI, voire à  l’extérieur dans des approches « big data » et que le seul moyen d’en tirer quelque chose sera de les corréler les modèles identifiés avec des données structurées issues des traditionnels « systems of records ». Certains trouveront le sujet moins exaltant que l’engagement communautaire des collaborateurs mais la valeur, in fine, du dispositif sera là  : dans la qualité et la rapidité des prises de décisions basées sur une compréhension en temps réel de l’environnement interne et externe de l’entreprise et son évolution.

Social analytics et informatique cognitive : des investissements lourds qui feront la différence.

Le management du capital humain : la promesse initiale des réseaux sociaux d’entreprise tournait autour du capital humain : les gens, leur savoirs, les identifier, les développer, les mobiliser, les développer. Mais à  part quelques managers et responsables RH clairvoyants, qui s’est servi des données issues du réseau social et d’ailleurs pour mesurer l’engagement (sentiment analysis), identifier les compétentes, les potentiels, les appétences voire aller vers une logique de marché interne des talents. Personne et c’est normal à  ce niveau de maturité.

Les systèmes et process RH vivaient leur vie, le réseau social la sienne, mettant parfois en œuvre des politiques différentes voire opposées. La plateforme sociale sera capable de mettre à  profit les analytics pour contribuer au pilotage des process RH, et plus généralement des actions de développement du capital humain aussi bien en interne qu’en externe (recrutement, marque employeur etc.)

Les capacités d’intégration : si les réseaux sociaux d’entreprise deviennent le centre du poste de travail on ne peut envisager qu’ils ne soient pas connectés, intégrés, avec les applications métiers et les systèmes de gestion de documents. On ne peut pas imaginer non plus qu’ils soient déconnectés des systèmes RH. Cela pourra se faire de différentes manières.

D’abord pas les fameux « app stores » d’entreprise mais avec une limite. Si cela se prête idéalement au monde Saas, les entreprises utilisent trop de systèmes customisés, personnalisés voire uniques pour un app store reposant sur un respect rigoureux du code original. On pensera donc davantage à  des connecteurs qui, pour éviter des coûts trop importants, se reposeront sur des standards ouverts et des APIs normalisées qui permettront à  l’entreprise de bénéficier d’un environnement de développement solide pour n’avoir à  développer que « le dernier kilomètre » entre deux applications. Sur ce point on voit bien l’importance que va prendre Open Social et aura des doutes légitimes sur la volonté d’ouverture de ceux qui tournent le dos à  ce standard.

La mise en œuvre : le cloud est il l’avenir de la plateforme sociale ? Certainement même si à  mon avis on sous estime volontairement les raisons qui vont que pour longtemps un très grand nombre de grandes entreprises resteront sur le modèle « on premises ». Mais qui dit cloud ne dit pas toujours Saas et le caractère très spécifique de nombreuses applications souvent customisées à  l’extrême par les entreprises font que le modèle a des limites (sans même parler de sécurité). Les grandes entreprises préféreront largement le modèle « PaaS »/ cloud privé  voire hybride. Peu importe, l’éditeur de la plateforme sociale doit être en mesure de proposer toutes ces options et les faire éventuellement cohabiter sans que cela n’entraine de complications inutiles pour le client.

L’utilisation : le travail n’est plus un lieux mais un état d’esprit. Le travail se réalise et l’information se consomme où et quand c’est nécessaire. Même si ça n’est pas le cas partout, il est acquis que comme l’email le réseau social doit être accessible de n’importe où sur n’importe quel type de périphérique. On sera donc toujours très vigilant sur ce point et la qualité des interfaces. Mais avec un environnement de plus en plus intégré c’est l’ensemble du poste de travail qui va suivre le même sort et plus qu’une suite d’applications disparates, la plateforme sociale devra rendre possible le portage de l’environnement de travail unifié vers les périphériques mobiles et fournir des outils de portage permettant de réaliser l’opération de manière simple et à  moindre coût.

Vous l’avez compris on rentre dans un nouvelle ère. La barrière à  l’entrée du marché des réseaux sociaux d’entreprise était relativement faible d’un point de vue technologique. Il n’était pas besoin d’investissements lourds et d’une R&D de 200 personnes pour sortir un bon produit. Les choses vont radicalement changer maintenant que ce marché devient un marché de plateforme.

Les vainqueurs de demain doivent déjà  avoir avancé leurs pions.

Les vainqueurs de demain :

Auront dans leur portfolio un certain nombre d’outil métier conçus dès le départ en fonction de la plateforme et seront à  même de proposer des modalités d’intégration simples pour devenir intéropérables avec des solutions tierces.

Auront des solutions de « Social BI » intégrées à  leur plateforme. Cela demandera quoi qu’il en soit des compétences nouvelles et des investissements très lourds pour ceux qui sont en retard sur ce point. Vu qu’on ne parle pas là  seulement de traitement massif de données mais de contextualisation et de compréhension de données non structurées, ils devront également être en mesure d’investir massivement dans le domaine de l’informatique cognitive si ça n’est déjà  fait.

Pourront proposer et faire évoluer à  niveau de fonctionnalités équivalent différentes versions de leurs produits (non un produit Saas n’est pas un produit on premises qu’on met sur un serveur…et inversement).

Pourront proposer des outils de portage mobile d’environnement de travail complexes.

Seront sorti de la vision originelle du réseau social « usine à  communautés » pour aller vers le « hub collaboratif » qui rassemblera toutes leurs intéractions.

Auront bien sur la vision correspondante et seront capable de l’expliquer et la porter dès aujourd’hui. Sinon tout laisse à  croire qu’il leur faudra des années pour rattraper le train alors qu’on sait bien qu’il ne se suffit pas de racheter des entreprises pour combler son retard.

Les acteurs de niche protégés à  condition de rester à  leur place.

Sortez vos cahiers, évaluez, questionnez, vous pourrez vous faire votre idée savoir qui restera, qui est en avance et sur qui miser non seulement pour construire des communautés aujourd’hui mais vous accompagner dans vos enjeux de demain sans se retrouver subitement à  la traine après avoir fait illusion quelques années et vous laisser au bord de la route.

Pour ce qui est des acteurs de niche la situation est différente. Déjà  le mot niche n’est en aucun cas péjoratif : mieux vaut une bonne niche qu’aller jouer les hégémoniques sans en avoir la vision, les moyens et en s’appuyant sur un portfolio technologique trop étriqué.

Eux ont un peu de répit et vont rester à  l’égard de la guerre des grands prédateurs. Les clients qui les choisissent le font justement parce qu’ils n’ont pas l’ambition ou les besoins énumérés plus haut. Petit département, PMEs n’en sont pas encore là  et se contentent allégrement d’une « plateforme communautaire ». Et cela va continuer quelques années encore.

Pour ceux qui sont très spécialisés et verticalisés le salut viendra de la collaboration avec…les « hégémoniques ». On ne survit pas, quelle que soit sa valeur, face à  un navire amiral unique en étant contre lui. Par contre on peut être un élément de la flottille. Dans ce cas développer les passerelles et l’intéropérabilité avec les « gros » sécurisera leur position actuelle et permettra même de se développer.

La plus grande erreur qu’ils pourront faire est simplement de se tromper de catégorie.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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