Après le Groupe La Poste dont j’ai parlé récemment voici un second cas d’entreprise qui a récemment mis en place un dispositif de mobilisation de ses salariés, au service d’un plan de transition numérique en l’occurrence. Il s’agit de la Société Générale. Un cas d’autant plus intéressant qu’on connait la réticence voire l’incompréhension qui existe souvent entre le secteur bancaire et le numérique.
Quand le numérique passe de la case « risque » à la case « opportunité »
Comme souvent pour de tels projets, les choses n’arrivent pas par hasard. Comme l’a expliqué Frédéric Oudéa, le PDG de la Société Générale, il a eu une prise de conscience au plus haut niveau que s’il était facteur de disruption sur de nombreux plans, qu’on parle de relation client, de travail et même du futur du secteur bancaire, le numérique était là et plutôt que résister il fallait s’en servir. Avec un effet direct : ce qui était avant traité comme un risque par le Comex est soudain passé dans la case « opportunités », celle où se trouve les leviers à exploiter pour faire avancer les choses.
Mais les vieilles habitudes ont la vie dure et c’est en mode « 1.0 » que l’entreprise commence à penser sa transition numérique. En silo, verticalement et en top-down. C’est là qu’interviennent deux nouvelles protagonistes : Françoise Mercadal-Delasalles (directrice des ressources groupe) et Caroline Guillaumin (Directrice de la communication). Pour elles la transition numérique est d’abord une affaire d’évolution des comportements, donc pas de transition digitale avec une approche qui ne l’est pas. Et comme le souligne Françoise Mercadal : « et c’est une question de survie pour des entreprises de notre taille« .
Entre alors en scène SG Communities, le réseau social naissant de l’entreprise. Logiquement c’est l’outil auquel pensent Françoise Mercadal et Caroline Guillaumin pour supporter une démarche participative visant à impliquer les salariés dans l’élaboration d’une « roadmap’ d’un programme de transition numérique. En effet ils sont pour la plupart plus « digitaux » que leur entreprise et sont les mieux placés pour savoir ce dont ils ont besoin, ce qui a du sens pour eux, ce que leurs clients attendent d’eux. C’est la naissance de PEPS : Projet Expérimental Participatif et Stimulant.
Un projet en mode startup et une rupture culturelle
Et le succès est au rendez vous. Les collaborateurs affluent vers SG Communities qui compte désormais 16 000 membres. Jean-Paul Chapon, l’homme derrière SG Communities précise « enfin on a jamais les bons chiffres vu que chaque jours des dizaines de collaborateurs nous rejoignent« . En un mois SG Communities passe 8000 à 16 000 membres donc. Les collaborateurs partagent leurs idées, les enrichissent puis vient l’heure de voter. 16 000 votes permettront de faire émerger les priorités parmi 1000 idées exprimées. Avec 19 pays représentés cette première est un succès à l’échelle d’une l’entreprise peu habituée à ce genre de pratiques. A tel point que lorsque Frédéric Oudéa a rejoint la conversation les salariés lui ont demandé s’il était bien « lui ».
Un succès qui confirme le parti pris de Françoise Mercadal : construire le digital en mode digital et avec un esprit startup. Essayer, voir ce qui fonctionne, prendre le risque que ça ne fonctionne pas. Tout l’opposé de la culture bancaire, et c’est avec une satisfaction non dissimulée qu’elle avoue aujourd’hui qu’au départ, au Comex, seules Caroline Guillaumin et elles pensaient que ça allait fonctionner. Aujourd’hui l’entreprise a la preuve par l’exemple que la transition digitale est possible et attendue par les salariés. Le programme n’en ressort que renforcé et plus légitime.
Les résultats de PEPS sont parlants car ils sont l’expression de ce qui a du sens pour les collaborateurs de la Société Générale. 3 axes majeurs ont émergé :
Données, service et flexibilité au travail
L’orientation client : « restituer » les données aux clients et aux conseillers sous une forme utile, facilement utilisable et consommable, au travers de nouvelles « apps » et services. Faciliter les transactions et l’activation de services en ligne en fonction du contexte (géolocalisation). Renforcer la présence digitale du service client (qui, on le rappelle a été nommé meilleur service pour une banque en France et s’engage à répondre aux clients en 30 minutes sur Twitter).
L’interne : on parle beaucoup de « consumérisation » des outils d’entreprise. Là on voit qu’au travers des outils c’est une nouvelle philosophie du travail que poussent les salariés. Et les attentes des salariés sont : flexible work, télétravail, Bring Your Own Device. Un autre enjeu est d’amener tous les collaborateurs à un niveau minimum d' »alphabétisation digitale » pour leur permettre d’embrasser ces évolutions des pratiques et être également en capacité de s’adresser à des clients « digitaux » et les accompagner dans l’utilisation des services – notamment mobiles – que la banque met en place.
La technologie : un sujet un peu moins en vogue que les deux autres et,ce, fort logiquement. Il découle des deux premiers points et lorsqu’il est une fin en soi c’est en général mauvais signe. On voit par contre émerger deux sujets peu surprenant, réaction des utilisateurs face à l’infobésité et la multiplication des outils et sources d’information. Le premier touche au SSO (une seule identification pour tous les outils), l’autre à un moteur de recherche unique.
Maintenant ça n’est que le début du processus. Les idées vont être soumises au Comex, fortes de la légitimité que leur confère le dispositif participatif, et un roadshow va être organisé pour les présenter, les « vendre » aux Business Units, aux métiers. Il sera donc intéressant de refaire le point d’ici un an pour voir ce qui a été gardé, ce qui a été mis en œuvre, où et à quelle échelle. L’affaire est donc loin d’être gagnée.
Pas de transition numérique sans participation active des salariés
Elle l’est d’autant moins que cette question de transition numérique perturbe également les salariés. Le numérique va changer leurs habitudes, leurs comportements, voire leur métier. C’est inéluctable et est légitiment anxiogène pour des salariés qui se demandent ce qu’il adviendra d’eux demain. Si un dispositifs comme PEPS n’enlève rien à la réalité du changement qui se prépare il rend le collaborateur acteur, lui redonne une partie du contrôle et l’associe aux choix. On peut donc penser que PEPS peut jouer un rôle d’engagement, de facilitation et de pacification dans ce contexte. D’ailleurs les collaborateurs ont visiblement apprécié puisque certains ont demandé quel serait le thème du prochain événement sur le réseau social. Il se pourrait bien que ce soit « le futur de la banque ».
Par contre une chose est certaine : pour Françoise Mercadal et Caroline Guillaumin le futur n’est pas le remplacement de la banque physique par le digital mais une articulation des deux selon ce qui a du sens dans un contexte donné. Et ça c’est déjà lucide et rassurant.
Je terminerai en remerciant la Société Générale de m’avoir convié à échanger sur le sujet, Françoise Mercadal, Caroline Guillaumin et Jean-Paul Chapon pour leur disponibilité et la franchise dans les échanges.
(crédit photo: Philippe Zamora)