La question du futur de l’entreprise et du management donne lieu à toutes les suppositions, fantasmes mais aussi inquiétudes. Le modèle actuel est défaillant, c’est un fait acquis. Ne pas le transformer est un danger mais les hypothèses retenues pour le remplacer sont tout aussi inquiétantes de par la dose d’imprévu, de risque et d’inconnu qu’elles comportent.
Devant la foule de prédictions et de propositions qui surgissent en permanence sur le sujet, voici quelques scénarios d’avenir issus de ma propre réflexion qui n’engagent bien sur que l’imagination de leur auteur.
Dans ce premier billet nous allons voir si le status quo peut représenter une solution.
Entreprise 2.0 et social business s’accommodent bien du status quo
Il peut paraitre surprenant de proposer le status quo comme un modèle d’évolution mais c’est souvent celui qui est privilégie tant qu’on n’a pas pas certitude d’être au pied du mur. On laisse l’élastique se tendre en espérant qu’il casse une fois qu’on ne sera plus aux affaires. Cela peut être une politique délibérée ou une accumulation de reculades alors que le sommet de l’entreprise a décidé de changer : la direction peut décider d’un plan de transformation mais, au fur et à mesure qu’il « redescend » on se contente d’actions de façade sans trop mettre les mains dans le cambouis et s’attaquer aux sujets sensibles.
Le status quo peut donc très bien s’habiller de discours progressistes et même de discours « social business » ou « entreprise 2.0″. C’est le cas, par exemple, lorsque ce qui est présenté comme un projet visant à faire rentrer l’entreprise dans une nouvelle ère des modes de création de valeur et des modes de travail se fait sans aucun changement profond (modes de décision, process, évaluation, fiches de poste….) et ne repose que sur l' »adoption » par les utilisateurs. Comprenez leur capacité à aller contre le système, contre les règles internes, parfois contre leur management en espérant qu’au bout du compte ça fasse lentement changer les choses sans qu’on ait à assumer le fait de les changer officiellement et provoquer le changement.
C’est une solution qui quoi qu’on en dise peut fonctionner longtemps. Déjà parce que malgré ses limites elle permet de dissimuler l’absence d’approche systémique et culturelle. Ensuite parce qu’elle montre qu’on fait quelque chose ce qui est une bonne manière de gérer les attentes. Enfin parce que tant qu’aucune entreprise ne réussit vraiment à trouver et domestiquer de manière probante un modèle nouveau – ce qui est le cas aujourd’hui, on tente, on ttonne mais personne n’a encore trouvé le Graal ou réussi à pleinement le mettre en œuvre – il n’y aura pas d’impact concurrentiel notable. Personne n’arrivant à creuser un écart notable par un changement de modèle, les concurrents se retrouvent confortés dans leur attentisme.
Implosion financière en vue
Pourquoi ne se pas se satisfaire de cette option alors ? Pourquoi n’incarnerait elle pas le futur de l’entreprise et du management ? Parce qu’on peut dominer son marché sans être économiquement performant. On peut être parmi les leaders et ne pas s’en sortir. Ce modèle est voué à imploser pour trois raisons :
– un taux de rendement des actifs quasi nul. On est dans une économie du savoir, de l’information, de l’immatériel. Faute d’utilisation efficace de ses actifs concernés, l’entreprise a vu son taux de rendement des actifs chuter à 25% de son niveau de 1965 malgré une hausse de la productivité. Sans renouveau structurel visant à mieux utiliser, développer et valoriser son capital immatériel la tendance va s’amplifier au fur et à mesure que notre société se numérise. L’entreprise tirera de moins en moins de valeur d’investissements de plus en plus importants sur des actifs stratégiques (Hommes, savoirs, réputation, innovation etc.). Soit elle s’effondrera de ce seul fait soit elle essayera de trouver « ailleurs » la rentabilité qu’elle n’a pas sur son cœur de métier. En entretenant une bulle financière par exemple…
Status quo et implosion programmée
– des coûts de transaction internes trop importants : Ronald Coase nous a appris qu’une des raisons pour laquelle l’entreprise existe telle qu’elle est la réduction des coûts de transaction. Il est en effet plus rentable d’internaliser une activité que d’en acheter le produit sur le marché. Enfin ça l’était à l’époque industrielle. Aujourd’hui le coût des transactions liées aux échanges, au savoir, aux idées etc. est largement supérieur en entreprise à ce qu’il est hors de l’entreprise. Les raisons principale en sont la lourdeur organisationnelle, l’empilement hiérarchique, les silos etc. Sans transformation structurelle l’entreprise va donc s’effondrer sous ses propres coûts de fonctionnement alors que l’information est devenu son carburant, sa matière première. Elle ne pourra lutter contre des entreprises ayant drastiquement réduit leurs coûts d’échanges internes ou ayant adopté un modèle décentralisé en se recentrant sur ses fonctions vitales ou un pure player issu de l’économie du web et des réseaux qui déciderait d’aller sur son marché.
Dans une économie du savoir les coûts de transactions de savoir internes à l’entreprise devraient être nuls, insignifiants. Aujourd’hui ils sont un poids. Si nous n’y parvenons pas c’est l’entreprise qui va perdre sa raison d’être, en tout cas sous sa forme actuelle.
– un modèle de création de valeur défaillant : la servicisation de l’économie – fait que le client n’achète plus de produit mais un service dont le produit n’est qu’une composante – entraine un changement au niveau de la valeur. Celle ci n’est plus dépendant du produit mais du bénéfice que le client en tire et plus globalement de l’expérience client. Là encore les structures et modes opératoires actuels ne remplissent pas les conditions nécessaires à la création d’une expérience client et d’un niveau de service suffisamment valorisable pour le client. Gardons en tête qu’une fois qu’on a réduit les coûts, seule l’expérience client peut contribuer à augmenter la marge.
Le status quo est donc un modèle attentiste qui permet de désarmorcer les attentes mais qui n’est pas économiquement viable à long terme. D’abord parce qu’il met l’entreprise à la merci d’un concurrent ou d’un pure player qui réussirait sa transformation et trouverait le modèle de carburation adéquat. Ensuite parce que même en l’absence de percée en termes d’avantage concurrentiel il amène ceux qui l’adoptent dans une stratégie « tous perdants » où le leadership sur le marché n’empêchera pas l’effondrement des résultats.
D’autres modèles pour le futur de l’entreprise ? Il y en a de nombreux, avec leurs qualités et leurs défauts. On en parle dans de prochains billets.