L’entreprise digitale : orientée client, réveuse et peu collaborative

McKinsey vient de publier une étude sur l’état des lieux en matière d’entreprise digitale. On y apprend globalement 3 choses : elle est très orientée client, les dirigeants misent beaucoup – voire trop – dessus et, la collaboration ne fonctionne définitivement pas.

L’entreprise digitale commence par les clients

Commençons par le premier point. Sans aucune surprise l’essentiel des efforts va sur l’engagement du client. Je dis sans surprise car la partie « client » est celle où le lien entre digital et revenu est le plus évident et ne demande pas trop de contorsions intellectuelles pour identifier le potentiel de valeur. Et lorsqu’on voit comme les choses sont difficiles à  faire bouger en interne, s’appuyer sur des initiatives orientées client pour en tirer les conséquences en termes de pratiques internes est tout sauf idiot. Dernière explication : regardez où sont les budgets. Les moyens disponibles pour traiter le client ont toujours été et seront toujours sans commune mesure avec ceux disponibles pour s’occuper des salariés.

Marketing ciblé voire individualisé, service client, le panel des usages est large. On y ajoutera le big data, autre tendance forte, dont un des usages phares – mais non le seul – est justement l’individualisation du marketing et de la relation client.

Maintenant ne nous emballons pas. McKinsey met en avant l’augmentation des initiatives et des moyens. Rien de plus. Au lieu de lire « accélération de l’engagement client », lisons plutôt « accélération des initiatives ». Parce qu’en termes d’engagement effectif les progrès sont tout sauf évident.

Quoi qu’il en soit penser au client sans penser aux impacts que cela va avoir sur l’interne est une démarche peu lucide et tout miser sur l’un au détriment de l’autre risque d’avoir à  terme un effet boomerang plutôt désagréable.

En effet, et ça n’est guère plus surprenant, les initiatives orientée client prennent le pas sur la dimension interne et ce qui touche à  la collaboration ou à  l’intelligence collective. ROI moins nébuleux – en tout cas a priori -, tches moins complexe, sensible et politique, autant de choses qui expliquent qu’on va beaucoup moins vite vers l’interne. Surtout qu’avec le temps on commence à  savoir qu’en interne en dépit d’un potentiel indéniable cela ne fonctionne pas ou au prix de changement qu’on ne veut pas nécessairement assumer.

Dernier point notable : ce que McKinsey voit comme un engagement croissant des dirigeants et que je manierais avec infiniment plus de précautions. Dans 31% des cas ce sont les PDG qui sont les sponsors des initiatives, des PDG qui d’ailleurs sont plus convaincus que quiconque dans l’entreprise que le digital va entrainer un accroissement important des revenus. Mais derrière ce portrait idyllique, on peut et doit apporter quelques bémols.

Les PDG rêveurs face au digital

– aujourd’hui pour un PDG il faut croire au digital ou en tout cas le laisser croire sous peine d’avoir l’air ringard. Peu importe qu’on comprenne de quoi on parle ou non.

– vu les stratégies qu’impose le marché et le contexte économique, il est évident qu’une stratégie digitale est un levier majeur au service des plans stratégiques, même si dans la réalité et malgré les discours rassurants, les deux sont souvent exécutés de manière déconnectées et non concertées.

– on parle globalement d’initiatives externes, orientées client, avec un lien direct avec le revenu et le fait même que les PDG croient plus que n’importe qui dans l’entreprise au potentiel de croissance de revenu (on ne parle pas ici d’efficacité opérationnelle interne ou de quoi que soit de similaire) est plutôt un signal inquiétant. On a en rien la preuve qu’ils comprennent le sujet et poussent dans le bon sens mais,l’impression bizarre que le digital est la dernière bouée à  laquelle ils peuvent d’accrocher et qu’ils le parent soudain de toutes les qualités parce que, de toute manière, il n’y a pas de plan B. Reconnaissons que ça ne veut pas du tout dire la même chose.

A surestimer un sujet qu’on connait mal et méconnaitre les efforts nécessaires pour réussir, les dirigeants risquent fort de connaitre un atterrissage difficile. Plus pragmatiques sont leurs subalternes qui croient au bénéfice mais ont l’air davantage conscients des difficultés qui vont avec.

Le digital seul ne transformera pas l’entreprise

Ce qui nous amène à  l’inévitable conclusion, à  laquelle McKinsey n’échappe pas : le vrai challenge est dans la transformation des organisations. La cause majeure d’échec ou de réussite citée est l’implication du senior management dans le changement des pratiques, ce qui est bien cohérent avec le reste : ajouter des choses et si possible à  l’externe fonctionne mais changer l’existant en interne reste un vrai problème. Malheureusement ils apprendront vite que le changement externe s’accompagne nécessairement d’un alignement interne. Les autres facteurs cités sont le leadership et l’alignement des structures de l’entreprise avec les initiatives digitales. CQFD.

Rien de neuf sous le soleil, comme d’habitude d’ailleurs. Un rapport qui n’apprend pas grand chose mais peut être utile pour aller quémander quelque budget auprès de sa hiérarchie.

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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