Voici venir le « CV données »

L’importance croissante prise par les données va-t-elle finir par définitivement rendre le CV obsolète et révolutionner le recrutement ? C’est en tout cas ce qu’on nous promet à  l’heure du big data.

Avant toute chose, que reproche-t-on on au CV pour annoncer sa mort depuis déjà  quelques années ? Avant tout de proposer une vision statique du candidat et de ses compétences alors que des réseaux sociaux professionnels comme Linkedin proposent une vision plus dynamique avec, par exemple, la mise en avant du réseau de la personne, de recommandations etc. Ensuite parce qu’il est avéré que la plupart des CV contiennent des informations erronées qui vont du simple oubli à  la plus grossière des falsifications. Enfin parce qu’il est difficile de se faire une idée de la personnalité du candidat, chose capitale pour vérifier son adéquation à  la culture d’entreprise, et que ni le CV ni la lettre de motivation ne sont satisfaisant pour y parvenir. Quant à  l’entretien il arrive trop tard dans le processus pour « sauver » des candidats qui auraient mieux convenu mais avaient un CV qui sortait des sentiers battus et, à  l’inverse, il constitue une énorme perte de temps lorsqu’un candidat ne correspondant pas à  l’entreprise y arrive sur la seule base de son CV.

Les technologies sociales au secours du recrutement : une vieille histoire

Alors ça n’est pas la première fois qu’on nous promet que web et technologies sociales vont permettre d’aller au delà  du CV voire de le remplacer. C’est d’ailleurs un des principes des mouvements RH 2.0 et Recrutement 2.0 nés dans les années 2005/2006. Et effectivement la preuve a été maintes fois apportée que lorsqu’un candidat maintenait à  jour un profil riche sur un réseau social professionnel, partageait réflexions et centres d’intérêt sur ce même réseau, sur un blog ou sur twitter et rejoignait les conversations de sa communauté professionnelle sur ces mêmes plateformes il était plus facile de se faire une idée « qualitative » de la personne. C’est ainsi que de nombreux profils ont émergé, ont séduit un recruteur alors qu’ils n’étaient même pas en recherche d’emploi, alors que leur CV n’aurait peut être pas passé le filtre des RH. Par expérience il me semble bien d’ailleurs que lorsqu’un candidat est identifié de cette manière il va rapidement assez loin dans le processus de recrutement car le recruteur a eu les moyens de se faire une idée précise de la personne avant même de la rencontrer et qu’il n’y a donc jamais de surprise ni d’erreur de casting. CV et lettres de motivation deviennent dès lors anecdotiques. Mais le dispositif souffre d’une lacune principale : un manque évident de scalabilité qui fait qu’il ne peut fonctionner à  grande échelle et ne vaut que pour des recrutements individuels, sur un besoin identifié et spécifique.

C’est là  que les données interviennent. Ou plutôt le Big Data qui permet de les traiter de manière plus profonde et à  plus grande échelle car les données, elles, sont là  depuis des années. Seule manquait une manière opérationnelle et efficace de les traiter. Que nous proposent les Big Data aujourd’hui ?

Une meilleure connaissance de la personnalité et du profil des individus grâce à  leur « empreinte sociale ». S’il s’agit au départ d’une démarche marketing on voit bien l’utilisation qui peut être faite de ce genre d’algorithme au niveau RH et sur l’étude des affinités employeur/employé.

Une vérification de la véracité des données du CV par croisement entre sources multiples (employeurs, diplômes etc.)

Une capacité à  identifier les talents au delà  du CV (et parfois malgré le le CV)

Une capacité à  prédire la performance d’un candidat sur un poste précis en comparant un profil donné à  des profils similaires déjà  recrutés et dont on a l’historique de performance. Par profil on entend bien sur « profil riche », comprenant des éléments de formation, de diplômes, de recommandations, de réseau, de personnalité, de compatibilité avec la culture d’entreprise, d' »empreinte digitale » etc.

Une capacité à  être proactifs sur le marché dormant car il sera sera encore plus facile d’identifier des profils n’ayant pas fait acte de candidature.

Des enjeux de pertinence et d’éthique

Bien sur toutes ces technologies sont encore balbutiantes, à  des stades plus ou moins avancés de maturité et donc de pertinence mais il est facile de deviner leur potentiel en matières de RH et de recrutement. Et de s’inquiéter des abus potentiels. Tout d’abord sur la question du respect de la vie privée, ensuite sur la pertinence des dispositifs. Si les algorithmes sont pertinents c’est une chose, s’ils ne le sont pas et conduisent à  des analyses soit erronées on va au devant de problèmes plus que sérieux. Si, en matière de marketing, on peut expérimenter et essayer en acceptant un risque qui ne sera « que » financier, le risque du coté RH est en plus social.

De plus ces dispositifs devront être le plus transparent possibles pour ne pas être vus comme des facteurs de discrimination. Par contre dans la mesure où ils le seront, au contraire, le fait que tout soit basé sur des données, du tangible et du factuel va réduire la part de l’arbitraire dans le processus même si, au final, il y aura une décision humaine à  la rationalité souvent variable. Si les motifs d’inquiétude sont réels je suis moins inquiet qu’avec le « Social Performance Management » que je qualifiais il y a peu de « Frankenstein des RH ». Et mieux vaut une démarche structurée sur les données que des recruteurs qui butinent au petit bonheur la chance sur les réseaux sociaux, ratent des informations et finalement ne traitent pas chaque candidature avec la même précision.

Le CV : du document candidat au tableau de bord recruteur

Alors, le CV va-t-il mourir ? Oui et non. En fait il l’est déjà  en partie tant les recruteurs complètent aujourd’hui leur démarche par des recherches complémentaires (Google, réseaux sociaux). S’il n’est plus la pièce angulaire du recrutement qu’il a été il reste encore un élément limité et facteur d’erreurs et c’est cela qu’il convient de corriger. Le CV ne meurt pas mais change de nature. Le CV ne sera plus un document envoyé au recruteur mais un tableau de bord dont disposera celui-ci, regroupant des données partagées par l’utilisateur (pourquoi envoyer un CV alors qu’on a un profil linkedin ?) et des indicateurs prédictifs d’affinités et de performance fondées sur des analyses de données.

Quant à  l’entretien il changera également de nature et deviendra beaucoup plus qualitatif car l’erreur de casting en amont sera rendue quasi impossible.

Le CV « données » n’est pas l’avenir car il est déjà  là  et va aller en s’améliorant. Les questions à  se poser sont davantage sur la place qu’on lui donne en fonction de la maturité de la technologie et d’ordre éthiques car comme le montrait John Ingham s’il y a une promesse séduisante, les résultats sont loins d’être convaincants.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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