La digitalisation de l’entreprise tout comme sa « socialisation » fonctionne beaucoup mieux vers l’externe (le client) que l’interne (le salarié). Une tendance forte qu’on peut observer depuis des années et qui loin de se résorber ne fait que s’accentuer. Pour le meilleur et pour le pire.
J’avais mentionné ce point lors que ma rapide d’analyse d’une étude McKinsey mais le nombre de conversations que j’ai pu avoir, entendre ou lire sur le sujet me font dire qu’il y a matière et nécessité à aller au delà du constat pour en comprendre les causes, les bénéfices et les effets pervers.
Davantage de moyens pour innover face au client que pour le salarié
Bien sur de tout temps le client a été roi et à ce titre a souvent été l’objet de beaucoup plus d’attention que le salarié. Ou alors disons qu’à attention égale elle ne se traduisait pas nécessairement par les mêmes efforts pour le satisfaire. Mais coté informatique la tendance est, au contraire, relativement récente. On doit pouvoir situer sa naissance au milieu des années « web 1.0 » et son accélération a été croissante avec le « web 2.0 » puis le web « social » (si tant est qu’une différence existe entre les deux). La raison en est simple : avant le web et son appropriation par le grand public les outils de communication informatiques étaient l’apanage de l’interne (et encore, pas de tout le monde). Pour parler au client on avait la radio, la télé et la presse. Avec le web on a peu a peu du apprendre à échanger avec lui en utilisant des technologies similaires à celles qu’on utilisait avec les salariés. Et avec cela les toutes puissantes directions marketing se sont appropriées un secteur qu’elles négligeaient jusque là , avec leur puissance budgétaire qui a de tout temps été supérieure à celles de leurs homologues chargées des basses œuvres internes. Un écart de moyens pas près de se résorber dans une société de l’information et de la communication.
L’écart de moyens, parlons en. Si d’aucuns feront valoir que si on prend la paie en compte le budget des RH est pharaonique, on revient vite sur terre si on regarde les budgets d’investissement, d’innovation et d’opérations…en fait ce que je qualifie souvent de budgets d »innovation, initiatives et progrès ». Alors bien sur c’est le produit qui fait vivre l’entreprise et qui est la raison d’être de l’emploi mais quand on regarde les écarts de proportion avec des budgets en rapport avec des initiatives majeures relatives aux salariés et à leur outil de travail (intranet, conduite du changement, formation etc) on peut avoir le vertige. Pas forcément parce que l’un est supérieur à l’autre mais en raison des proportions dans lesquelles il l’est.
Le client est un revenu. Le salarié est un coût.
Alors bien sur les clients sont des dizaines de millions, les salariés quelques dizaines de milliers, le client est la source de revenu, le client est la raison d’être de l’entreprise, le client a pouvoir de vie ou de mort sur elle, le client est désormais « social », organisé, actif, outillé, « empoweré » (une excellente raison pour en faire de même avec les collaborateurs d’ailleurs). Il n’est plus seulement une opportunité mais peut devenir une menace s’il est mal géré (on verra bien à l’heure de la reprise si le salarié désengagé n’en est pas une) donc tous les moyens sont bons. Mais derrière tout cela réside une équation simpliste et désormais fausse : client = revenu, salarié = coût. Dépenser pour l’un c’est investir, développer l’autre est une hérésie comptable. Mais peut être justement qu’avec de nouveaux modèles de valorisation…
De plus la nouveauté est beaucoup plus simple à apporter vers l’extérieur que vers l’intérieur. Parce que l’externe constitue un champ relativement vierge et peu formalisé, a fortiori lorsqu’on pense au coté « soft » de la relation avec le client, contrairement à l’interne où on a souvent essayé de structurer à l’extrême les actions et les interactions les plus informelles. De plus l’externe c’est le marché, on sait qu’il bouge, est sujet aux modes et qu’il faut s’adapter. A l’inverse on a essayé de sacraliser l’interne, de le rendre « solide » (qu’on a confondu avec « rigide »), prévisible, certain, peut être pour contrebalancer le caractère mouvant du marché, surement pour éviter toute forme d’écart, de surprise, de risque. Résultat des courses : apporter de la nouveauté vers l’externe c’est ajouter quelque chose de nouveau, et souvent quelque chose de « joli », « agréable », « engageant » vu qu’on est dans la relation, alors qu’apporter la nouveauté en interne c’est devoir casser l’existant pour le reconstruire car on ne peut plus empiler strates et silos.
Ce qui ne veut pas dire que la nouveauté « externe » soit nécessairement simple à mettre en œuvre mais, lorsqu’elle devient compliquée c’est justement lorsqu’elle impacte l’interne et le fonctionnement établi. Par contre vers l’externe on peut toujours ajouter « un truc en plus » a coté de l’existant (ce qui a été le cas du digital) alors qu’en interne il n’y a pas de succès sans intégration immédiate ou remplacement. On préfère empiler et ajouter qu’enlever et transformer, ça évite de toucher à des sujets qui fchent, de rentrer dans des jeux politiques, de froisser celui qui a mis en place l’existant, de s’attaquer aux vaches sacrées. C’est aussi simple que cela et c’est bien dommage alors que nos entreprises gagneraient à déconstruire pour repartir sur des bases saines.
Ajouter est plus facile que changer.
Et enfin, dernière différence qui ne rend pas justice à la difficulté de mettre en place une initiative engageante et réussie coté client : il est plus simple de lancer une campagne en ligne ou une page Facebook que changer un process interne, renverser la pyramide et fonctionner par subsidiarité. L’échec d’une intitiative externe n’est que l’echec d’une initiative externe (avec tous les dommages collatéraux que cela peut entrainer). On peut amputer en cas de problème. L’échec d’une initiative interne impacte toute l’entreprise, le climat social, la confiance et on ne peut pas amputer. Il faut soigner et vivre avec son souvenir.
Peter Drucker disait le but de l’entreprise était de créer des clients. Soit. Ne prenons pas les choses au pied de la lettre et souvenons nous que celui qui le crée, qui le sert et construit une relation de long terme avec lui est un salarié.
Vineet Nayar a bien compris qu’il fallait faire passer les salariés d’abord. Il a l’air bien seul.