Social Business et entreprise 2.0 en 2013 : l’impasse du sens ?

Décembre c’est l’habituelle heure des prédictions. Terme mal choisi pour ce qui relève le plus souvent de la prophétie que l’on espère autoréalisatrice mais c’est ainsi. Mais avant de partager mes rêves et illusions pour 2014, un rapide état des lieux de la situation actuelle s’impose. Un état des lieux issu non seulement de mes observations mais également des commentaires, feedbacks et sentiments recueillis ici et là .

Je commencerai par vous proposer une slide issue de cette excellente présentation d’Emmanuele Quintarelli.

facts

Un constat qui en dépit d’exceptions notables qui montrent que tout n’est pas si noir ne surprendra personne. Une réalité qui se décline à  trois niveaux : l’adoption, l’impact, croyances et in fine un certain flou.

Des croyances erronées.

Les croyances d’abord. Pour ne citer que les plus évidentes elles ont leurré les entreprises dans leurs démarches de changement.

Tout d’abord celle selon laquelle les technologies sociales sont désirées par les collaborateurs et qui est faux dans une large mesure. Ce qu’ils veulent c’est faire leur travail plus efficacement, plus simplement ce qu’on traduit rapidement par « ils veulent les mêmes outils qu’à  la maison ». Mais ces outils n’ont de sens que dans un contexte où les modes de travail, d’intéractions qu’ils permettent sont acceptés et acceptables dans l’entreprise, ce qui est rarement le cas. La vraie demande est d’abord une manière de travailler nouvelle, dont la conséquence logique est l’outil. Mais sans cela l’outil n’a guère de sens, tout au plus apporte-t-il une ergonomie moins « user-hostile » que les outils actuellement en place. Mais pour quelle utilisation ?

Ensuite celle selon laquelle les nouvelles générations seront moteurs. Ils sont un élément d’accélération, un levier, mais pas un élément moteur. Pour les moteurs allez plutôt voir du coté des génération X.

Ensuite encore que le futur du travail est la communauté. Un problème = une communauté. C’est faux. Ca n’est qu’une partie du scope. On peut avoir des intéractions à  1 (oui c’est possible) à  2, à  plusieurs, de manière ouverte ou fermée, de manière « émergente » (on laisse les choses arriver) ou dirigée (on s’organise pour un objectif), avec une participation facultative ou obligatoire. Mais pour faire moderne on a appelé tout groupe une communauté. Simple erreur de wording mais aux conséquences lourdes : une équipe et une communauté ne se gèrent pas de la même manière même si c’est au sein du même outil. Et c’est comme ça qu’on a demandé à  des community managers de faire un boulot de managers pour lesquels ils n’avaient aucune légitimité ou on les a mandaté pour attirer l’attention des collaborateurs avec des contenus au lieu de travailler sur le sens de la participation dans un contexte professionnel. Le collaborateur voit une mission qu’il doit accomplir, l’entreprise des communautés à  animer et la réconciliation entre les deux demande plus que du community management et du hameçonnage de l’attention par le contenu.

Enfin que l’outil était porteur d’un changement autoréalisateur. Que le fait qu’il permette quelque chose allait faire de ce quelque chose une pratique commune et partagée sans avoir à  le rendre possible, acceptable et désiré. Bref, sans avoir à  s’occuper de sujets sensibles. Ce faisant on a ouvert la boite de Pandore : tous les sujets qu’on a caché sous le tapis pendant des années reviennent au premier plan lorsqu’il s’agit d’expliquer la réussite toute relative de la mise en place d’un réseau social par exemple.

Le sens aux abonnés absent

On parle beaucoup d’adoption et jamais de sens. Et c’est une erreur grossière alors qu’on sait depuis des lustres que c’est le sens qui doit piloter le changement. Pourquoi fait on quelque chose ? Pourquoi doit on le faire ? Est-ce tolérable et acceptable dans un contexte donné que d’adopter telle pratique et telle posture.

La réponse à  ces questions ne doit jamais être « je dois changer pour utiliser un outil nouveau » ou « je dois changer pour collaborer », « je dois changer pour partager ». Dans le premier cas cela signifie que l’effort sert à  justifier l’investissement de la dernière lubie du siège, les deux seconds ne veulent rien dire hors d’un contexte porteur de sens et qui rend le résultat du changement acceptable et désirable et une explication claire et illustrée de ce que cela signifie dans le cadre du travail (et non à  coté ou en plus). Car exhorter les gens à  collaborer et partager est un message qui ne passe pas tant qu’on n’explique pas quels types de comportements et d’actes on attend et tant que ces actes semblent hors de propos ou manquer de sens dans le contexte du travail.

Il y a différentes manières de créer du sens mais en général cela se passe comme suit.

Il y a une prise de conscience au niveau de la direction générale. Pas qu’il faut se digitaliser, pas qu’il faut mieux collaborer ou partager : ça ne mène pas loin. Une prise de conscience que le modèle de création de valeur change, qu’il y a une question de valeur à  court terme, de compétitivité à  moyen terme et de survie à  long terme. Cette prise de conscience doit ensuite être relayée pour être partagée par tous les salariés.

Cette prise de conscience, une fois partagée, permet de passer à  la seconde phase : en tirer les conséquences. On doit s’organiser, manager et travailler autrement. Un message qui n’a de sens qu’illustré de cas concrets spécifiques à  l’entreprise et que si toute l’entreprise comprend l’enjeu.

En tirer les conséquences ça n’est pas seulement dire qu’il faut changer voire montrer aux salariés ce qu’ils doivent faire désormais. C’est aussi créer un contexte le permettant. Si changer nuit à  la mesure des résultats car le focus est mis sur autre chose, si le management ne l’entend pas de cette oreille, si la manière dont on délègue ou prend les décisions n’est pas compatible, si les process….(la liste est longue) cela ne prendra pas.

Maintenant qu’on a compris l’enjeu, qu’un cadre propice au changement a été construit et que les nouveaux comportements sont vus comme nécessaires, acceptables voire sont devenus désirés, il est enfin temps de penser à  l’adoption de la technologie. Mais surtout pas avant.

Le manque d’adoption : un faux problème

Après le manque de sens l’autre problème est un relatif déficit d’adoption. Mais ça n’est pas un problème en soi : l’importance donnée à  l’adoption de la technologie est proportionnellement inverse au travail mené sur le sens. Lorsqu’une manière de manager et de travailler est logique, désirée, évidente, la technologie devient demandée et désirée car elle a du sens et permet de faire ce que l’on doit faire de la manière dont on doit le faire.

Dans une certaine mesure le déficit d’adoption n’est pas du à  la qualité des démarches d’adoption mises en œuvre mais au manque de sens qui rend ces démarches vaines.

On s’est trompé de sujet : ça n’est pas un problèmes d’employés mais d’entreprise

Faute de démarche portant sur le sens et faute d’en tirer toutes les conséquences, le salarié est devenu le point clé de la démarche. C’était à  lui de porter le changement indépendamment d’un contexte porteur de sens, voire contre lui.

Dans un tel contexte et sans « objectif supérieur » susceptible d’engager tout le monde et porteur de sens, les projets ont glissé et on en est venu à  accompagner les outils plutôt qu’à  accompagner les organisations. Accompagner les outils pour qu’ils soient utilisés dans un contexte qui leur est inapproprié alors qu’il aurait fallu transformer l’entreprise. Mais puisqu’on croyait que l’utilisation des outils allait transformer l’entreprise sans avoir à  mettre les mains dans le moteur ou qu’on ne voyait pas l’intérêt de la transformation, voilà  où nous en somme.

Et faute d’une approche systémique, faute de vouloir adapter l’entreprise, on essaie d’adapter les salariés au contexte du monde d’aujourd’hui sans adapter l’organisation qui est l’interface entre l’individu et le contexte. Echec assuré.

Sans oublier un autre effet négatif : en oubliant l’entreprise, en se concentrant sur le collaborateur et en considérant le manager comme un collaborateur comme les autres on empêche les managers de s’approprier la démarche en tant que managers. Comment voulez vous que les pratiques de travail changent sans impliquer le manager dans la démarche et lui donner les moyens d’être proactif et changer lui-même la manière dont il organise le travail, la communication, le reporting etc avec ses équipes ? Pour ceux qui en douteraient encore, les équipes ne s’auto-organisent pas malgré ou contre leur manager. Ce qui réduit les cas d’utilisation aux dynamiques d’échange volontaires sans objectif assigné à  la périphérie du travail  (communautés de pratiques par exemple) et exclut tout cas d’utilisation métier. Bien vu pour qui recherche des bénéfices tangibles et mesurables.

Un concept vague et des conversations de salon

D’où les nombreuses réflexions (justifiées) que l’on entend ici et là  :

Le concept est vague : entre utilisation d’une technologie, transformation organisationnelle, dispositifs d’organisation apprenante, community management…plus personne ne sait de quoi on parle

on tourne en rond, et il n’y a plus grand chose à  dire et apprendre de nouveau : bien sur puisqu’on est dans une impasse qui nécessite de repenser totalement l’approche et qu’à  défaut de le faire on en est réduit à  disserter sur la quadrature du cercle entre croyants.

ça reste très théorique : d’une certaine manière puisque si on veut sortir du modèle actuel il faut commencer par une nouvelle vision de l’entreprise et du travail et la mettre en œuvre. Impossible de passer à  la phase « pratique » sans être passé par la phase « compréhension ». Une démarche d’adoption même vaine c’est rapidement concret, là  il faut d’abord penser « système ». Moins facile, d’autant plus qu’il faut commencer à  travailler pendant longtemps sur des choses qui ne se voient pas avant que se déclenchent des choses visibles.

difficile de cerner les cas d’usages : La notion même de cas d’usage montre bien que tout a été centré sur l’utilisation de l’outil et non sur le contexte dans lequel on l’utilise. Le seul problème dont on s’est occupé est celui des outils utilisés au travail et non le travail lui-même. On a changé les outils sans changer le travail et sachant que comme le disait Goldratt « Il ne faut pas s’attendre à  ce qu’une application fonctionne dans un contexte dans lequel ses hypothèses sont absentes », pas besoin de chercher midi à  quatorze heures pour se rendre compte que les hypothèses qui sont à  l’origine d’outils comme les réseaux sociaux d’entreprise ne sont pas présentes dans l’entreprise. Ces hyptohèses sont des prérequis et non la conséquence heureuse de l’utilisation de la technologie.

Bon alors on fait quoi en 2014

La bonne nouvelle est que derrière ce constat il y a des choses très positives. Des entreprise pour qui « ça marche ». D’autres qui ont compris l’intérêt de laisser les utilisateurs en paix et de s’occuper du contexte. On en parle et on se penche sur ce qui fonctionne dans les perspectives pour 2014…la semaine prochaine.

 

 

 

 

 

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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