Perspectives Social Business et entreprise 2.0 en 2014. Indice: pas d’adoption, peu de digital

Après un bilan assez sombre, voici donc l’heure non pas des prédictions annuelles qui se réalisent rarement et relèvent le plus souvent de la prophétie qu’on espère autoréalisatrice mais des perspectives pour l’année prochaine. Elles n’ont malheureusement rien d’inéluctable mais une chose est sure : c’est la voie que prennent un certain nombre d’entreprises et nul doute que celles-ci vont prendre un coup d’avance.

Quel constat ont elles fait ?

1°) l’adoption plus ou moins volontaire des technologies sociales pour des échanges transverses, sur la base du volontariat et en dehors de la mission et des objectifs assignés à  chacun est bien entendu bénéfique. Mais si cela participe d’une logique d’organisation apprenante cela ne permet que rarement une masse critique d’utilisateurs et ne correspond pas à  réinvention de la composante « productive » du travail.

2°) l’adoption par les utilisateurs ne suffit pas. Il faut une adoption par les managers en tant que managers et que ceux ci en profitent pour réinventer leur rôle et la manière dont ils organisent le travail.

3°) quoi qu’il en soit rien ne se passera si le changement en question n’a pas de sens. Comprenez : à  la fois  lié à  un enjeu vital, compris et partagé, et rendu acceptable dans le contexte de l’entreprise.

L’important était qui se passait à  l’écran, pas ce qui se passait dans l’entreprise

C’est par ce troisième point qu’il convient donc de commencer, ce qui a rarement été le cas par le passé. La raison est connue : cela prend du temps de travailler sur des choses « invisibles » qui rendent le reste possible alors qu’on veut voir concrètement des choses se passer sur un écran le plus vite possible. Peut importe la nature et l’impact de ce quelque chose. Mais ce qui se passe à  l’écran n’est que la conséquence de ce qui se passe « in real life » : d’où un fossé impressionnant comblé à  grand coup de community management parce que les salariés n’utilisaient pas leur réseau social d’entreprise pour travailler et les managers pour manager, les pratiques nouvelles rendues possibles n’étant pas « acceptables » dans l’organisation et les individus pas tout prêts ni préparés.

Une tendance qui tend, heureusement à  s’infléchir et c’est qu’on peut espérer voir se généraliser en 2014 : un travail sur le sens et le contexte.

Car n’oublions pas que derrière les cas les plus significatifs il y a une réalité managériale avant l’adoption de la technologie.

On cite des entreprises comme Morning Star ou Gore comme des modèles d’organisations responsabilisantes, décentralisées, avec des salariés « empowerés », un fort niveau d’autonomie et de délégation etc. Où est la technologie là  dedans ? Nulle part. Il y a un modèle managérial et une culture d’entreprise. On rentre dans le système où on sort. Si utilisation d’une technologie sociale il y a, elle passe au second ou au troisième plan car n’est que la conséquence du reste.

On applaudit à  ce qu’a réalisé Vineet Nayar chez HCL. Alors oui le système repose sur l’utilisation d’outils qui rendent certaines choses plus simple mais c’est le projet d’entreprise qui a rendu la technologie utile, qui lui a donné du sens. Hors d’un système nouveau du à  une prise de conscience collective que l’entreprise courrait à  sa perte, les dispositifs technologiques n’auraient été d’aucune utilité. Nayar a, avec les salariés, redéfini le business model, les modes opératoires et les valeurs de l’entreprise. Un dispositif organisé, collectif et impératif, pas des usages auxquels on adhère ou non.

On voit également IBM faire des choses intéressantes. Mais oublier que le réseau social a été développé en interne pour les besoins des collaborateurs pour faire face à  une transformation complète de l’entreprise qui lui a permis de survivre dans les années 90 serait négliger l’essentiel. C’est le projet managérial qui entrainé des pratiques nouvelles, lesquels ont créé un appel d’air pour des outils permettant de les mettre en œuvre à  grande échelle.

Quand à  Danone si personne ne s’est trop questionné sur le sens du projet Dan 2.0 et de l’irruption d’un réseau social dans l’entreprise en 2009 c’est que depuis 2003 l’entreprise déployait un projet managérial nommé « Networking attitude » qui était un peu du « 2.0 sans la technologie ».

Projet trop souvent méconnu : Support Central chez GE. Croire qu’une machine à  mobiliser les compétences et résoudre des problèmes a émergé d’un seul coup serait faire fausse route. GE disposait depuis les années 80 d’une méthodologie de résolution de problème que l’outil n’a fait que rendre plus efficace. Mais il y avait au départ un mode opératoire formalisé et partagé de tous.

Sens, contexte et opérationnel

Qu’ont ces entreprises en commun ?

Une approche fondée sur le sens

Un travail sur le contexte dans lequel leur modèle est mis en œuvre : RH, leadership, management etc…

Une dimension opérationnelle forte : il y a une manière de gérer un projet, de prendre des décisions, des niveaux de délégation qui font partie intégrante des process, des modes opératoires qui incluent tous les dispositifs collaboratifs, sociaux etc. que l’on espère ailleurs voire émerger comme par miracle.

La question n’y a pas été de savoir quelle technologie utiliser mais comment on allait travailler. Ca n’est pas la technologie qui va changer de manière cohérente et irrévocable la manière dont toute une entreprise fonctionne : ce sont les individus en fonction du système dans lequel ils évoluent. Et la responsabilité de l’entreprise aujourd’hui est de construire un système nouveau, pas d’exhorter les gens à  changer sans trop oser les contraindre.

Vers la transformation digitale

Il y a donc un enjeu d’adaptation voire de transformation avant toute question d’adoption. C’est une voie que commencent à  emprunter les entreprises, souvent sous le terme de transformation digitale. Un terme pas nécessairement pertinent car, on l’a vu, la transformation est humaine est organisationnelle, c’est sa réalisation qui peut être digitale ou non, mais peu importe. Une dimension qui doit prévaloir et précéder (au pire accompagner) toute démarche d’adoption qui au final ne changera rien à  la manière dont l’entreprise travaille vraiment.

Que trouve-t-on dans de tels chantiers ?

Un volet RH : compétences à  développer et acquérir, nouveaux dispositifs de formation, fiches de poste, modes d’évaluation, équilibre vie professionelle/personnelle à  l’heure où la technologie devient on ne peut plus ubiquitaire, télétravail, BYOD (qui n’est pas qu’un chantier IT…)

Un volet managérial : leadership digital (comment faire passer le même message et incarner sa fonction en 140 caractères et pas seulement devant un auditorium…), délégation, prise de décision, rôle du manager, confiance, transparence

Un volet process : évolution des modes opératoires et process pour y réinjecter des points de flexibilité, d’intelligence collective et d’apprentissage « on the job », suppression des éléments inutiles (validations, reporting…) qui ralentissent la machine.

Un volet IT : réinvention du poste de travail, BYOD

Liste a minima. Et des chantiers à  conduire dans la perspective d’un « enjeu supérieur », d’une réinvention des business models et des modes opératoires qui est vitale, pas d’un relooking organisationnel pour faire joli.

Alors bien sur cela prend du temps et on agit sur des choses qui ne sont pas « visibles » de prime abord. On n’en voit pas les effets lorsqu’on allume son écran, ou pas tout de suite. Mais l’expérience prouve que c’est la seule voie pour une transformation vraiment impactante, porteuse de sens, créatrice de valeur, qui va plus loin que l’artifice communautaire et conversationnel.

 

 

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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