Où est le digital dans la transformation digitale ?

J’ai évoqué en fin d’année dernière l’importance des programmes de transformation digitale qui ont pour but non pas de favoriser l’utilisation de telle ou telle technologie mais de créer le contexte favorable à  une manière de manager ou travailler qui peut – ou non – être supportée par des outils.

Mais avant que ce qui promet d’être le grand marronnier de 2014 ne décolle je vous invite à  réfléchir à  la place que tient vraiment le « digital » dans la transformation en question afin de ne pas foncer tête baissée dans le mur et reproduire à  l’identique les erreurs maintes fois commises par le passé.

Le Digital est – en grande partie – la cause de la transformation

Avant de parler transformation, il faut d’abord s’intéresser à  ses causes. Elles sont diverses. On reviendra dessus en détail dans un prochain billet mais on peut citer en vrac : transformation des business models vers des approches solution et non plus produit, le produit physique qui devient partie d’une offre de service, empowerment du client connecté qui demande une relation client réinventée, complexification et accélération du monde en général et de l’économie en particulier qui transforment  l’exception en règle et amènent à  repenser nos modes opératoires standardisés et normalisés, « digitalisation » et connexion de nos vies, des nos actions et de nos objets génératrice d’une masse considérable de données à  exploiter et valoriser…

Autant de raisons qui amènent à  repenser le travail, les modes opératoires et, logiquement, le cadre dans lequel ils prennent place. Et nécessitent, le cas échéant, l’utilisation des technologies qui conviennent.

Mais raisons qui n’ont rien de neuf. Du pigeon voyageur au téléphone en passant par le courrier postal, du cheval à  l’avion, on a toujours cherché à  accélérer la vitesse à  laquelle on vivait et travaillait. Le client a toujours voulu être informé, se faire entendre et obtenir la qualité de service qu’il s’estimait en droit d’attendre. Les entreprises ont toujours cherché à  maximiser la valeur créée pour le client et in fine pour elles en articulant produit physique et offre de service. On a toujours eu conscience de la valeur tirée de l’information, de l' »insight » et de la capacité à  comprendre comment s’inter-influençaient les acteurs d’un système complexe.

Ce qui a tout changé a été le « digital », ou pour être plus précis la capacité à  échanger de manière permanente, instantanée, indépendamment de la localisation géographique, suivant des flux organisés ou informels, entre individus, individus et machines et aujourd’hui entre machines. Jusqu’à  ce que nos pratiques digitales atteignent une masse critique, les modes opératoires d’antan arrivaient bon gré mal gré à  tenir le choc à  coup de bricolage et d’improvisation. L’atteinte de cette masse critique a été le « tipping point » qui nous a fait basculer dans un monde où nos modèles devaient être réinventés. Le digital a permis l’accélération, la mise à  l’échelle et la multiplication des intéractions facteur – en partie – de complexification (à  ne pas confondre avec la complication qui est, elle le pur fruit du « talent » humain).

Ce qu’il y a de nouveau n’est finalement pas les tendances mais le tryptique « vitesse, échelle et complexité » rendu possible par le digital. D’une certaine manière les transformations en cours et à  venir seront digitales ne serait-ce qu’en raison de leur cause.

La finalité première de la transformation digitale n’est pas la technologie

Une fois réglés la question du « pourquoi », passons au quoi. Un logique parallélisme des formes voudrait qu’à  motif digital corresponde une solution digitale. Si la technologie nous a fait basculer de l' »autre coté » elle devrait également nous aider à  nous y mouvoir. Ce qui est, avec un peu de recul, tout sauf évident.

On l’a vu avec la mode « social business » ou de l' »entreprise 2.0″. La technologie la mieux adaptée à  un contexte ne permet pas nécessairement, seule, d’y réussir. Réseaux sociaux d’entreprise moribonds ou maintenus en vie sous respiration artificielle, dispositifs d’engagement du client provoquant retour de flamme et incompréhensions, utilisation hésitante des données qui entrainent méfiance et défiance des utilisateurs… Nous avons eu à  maintes reprise la preuve que l’outil n’est qu’un outil et que mal utilisé il ne permet que mal faire… On parlait de vitesse et d’échelle un peu plus haut : mal utilisé le digital ne permet que de mal faire mais plus vite et à  plus grande échelle que si on ne l’utilisait pas.

Ca n’est pas le tant le digital qui nous a fait basculer de l’autre coté mais l’utilisation qu’on en a fait. La réponse viendra donc de l’utilisation de la technologie, pas de la technologie elle-même. Un constat d’une banalité déconcertante si on n’en tire pas les conclusions nécessaires : l’utilisation et la bonne utilisation ne viennent pas de l’envie et du bon sens des employés mais du cadre individuel et collectif dans lequel elle prend place.

Mal utilisé le digital sert à  faire aussi mal qu’avant mais plus vite et à  grande échelle

Pour faire simple : un réseau social d’entreprise ne résoudra jamais le problème de l’allocation contrainte des ressources, des process, des modes de prise de décision et de l’absence de délégation. Une page Facebook ne saura mobiliser une communauté si votre produit ou votre entreprise sont détestables ou peu engageants pour une raison ou pour une autre. Le Big Data ne vous servira à  rien si vous n’êtes pas capables de le prendre en compte au niveau décisionnel, si vos collaborateurs n’ont aucune autonomie face au client. La plus belle plateforme de MOOC n’apprendra rien à  personne si on ne se pose pas la question du processus d’apprentissage, de ses acteurs et de l’évolution de leurs rôles.

Que faut il en tirer comme conclusion ? La transformation digitale est une affaire de contexte, de cadre. Si les individus adoptent massivement les médias sociaux alors que leur utilisation décline en entreprise il y a bien une raison : c’est une question de modèle et de structure. Avoir les bonnes compétences, le bon modèle d’organisation et de management, repenser opérations, activités et processus à  l’aune d’un jour nouveau. La mise en œuvre tactique pourra nécessiter de la technologie, du digital mais le fonds est ailleurs. D’ailleurs on le voit bien dans de nombreuses entreprises qui soit ont des comportements « digitaux » sans en avoir les outils (ou peu) ou celles qui s’emparent facilement du sujet, en avance de phase. Le digital c’est d’abord une manière de penser l’entreprise, son activité, son modèle de création de valeur avant d’être de la technologie. On ne se transforme pas pour utiliser des outils mais on les utilise parce qu’on s’est transformé. Ou pour être plus précis on les utilise bien, pas de manière forcée et artificielle.

La transformation digitale est en partie rendue nécessaire par le digital mais son point de départ est humain car le modèle organisationnel et managérial dépend des Hommes, de leur vision du business. C’est le un cadre et les comportements nouveaux qui donnent du sens au digital. De la même manière qu’un de mes anciens professeurs me disait que même avec un costume cravate un cochon restait un cochon, une entreprise qui ne veut pas s’adapter à  des règles du jeu et un contexte nouveau continuera à  péricliter quand bien même son bugdet IT serait infini.

On ne se transforme pas pour utiliser des outils mais on les utilise parce qu’on s’est transformé.

La transformation digitale est avant tout humaine car ce sont les hommes qui utilisent les outils, dans un contexte managérial et humain qu’ils construisent en fonction des convictions de certains d’entre eux. Elle ne doit pas avoir pour objectif premier d’introduire la technologie dans l’entreprise et le travail mais de créer un contexte lui donnant du sens dans la mesure où ce contexte est légitimé par la réalité de la société et du marché.

La transformation digitale n’est pas une énième manière de s’affranchir d’une réinvention de l’entreprise. C’est un sujet majoritairement RH avant toute chose.

La transformation digitale n’a de digital que son nom et sa cause. C’est une transformation tout court qui ne sera réussie que menée par avec et par les individus et la manière dont ils sont amenés à  construire et organiser le travail en fonction du contexte dans lequel ils évoluent. C’est une affaire de compétences, de posture, de savoir faire / être, de re-conception des process, de redéfinition du rôle et de la posture du manager.

Le moins on s’occupera de technologie dans la transformation digitale le mieux on tirera parti de la technologie disponible. La consumérisation de l’environnement et des pratiques de travail montre aujourd’hui ses limites : contrairement au digital grand public, le facteur lent du digital d’entreprise n’est pas la technologie mais l’humain. Et l’humain se détermine en fonction du cadre dans lequel il évolue et des enjeux qu’il impose.

 

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
1,743FansJ'aime
11,559SuiveursSuivre
28AbonnésS'abonner

Découvrez le livre que nous avons co-écrit avec 7 autres experts avec pleins de retours d'expérience pour aider managers et dirigeants

En version papier
En version numérique

Articles récents