Cela fait des années que le futur du web 2.0 / social est envisagé sous l’angle d’un renforcement de la participation des utilisateurs. Il semble bien qu’on soit arrivé à la fin d’un cycle. Car les nouvelles tendances fortes que sont les données et les objets – respectivement marketées sous les noms ‘big data’ et ‘objets connectés’ – ne sont ni plus ni moins qu’une évolution majeure du modèle participatif.
La participation a atteint un plateau
La participation de tous à ce qui a été longtemps présenté comme l’incarnation ultime de l’intelligence collective n’a été qu’un mirage. Le ratio contributeur / consommateur sur le web stagne a tel point qu’on admet que la règle des 1-10-90 ou ses variantes ne risquent pas d’évoluer dans l’avenir. L’engagement des clients dans des communautés plafonne à 4% et le fossé entre les attentes réels de ces derniers et ce qu’en comprennent les entreprises reste profond : les uns veulent du service et des réductions quand les autres leur offrent conversations et bons sentiments. Quant à ce qui se passe à l’intérieur des entreprises, c’est encore pire. Les collaborateurs délaissent de manière massive les outils sociaux et participatifs qui leur imposent un surcroit de travail sur une logique participative alors qu’ils aimeraient simplement qu’ils les aident à faire leur travail.
Non pas que la participation déplaise, qu’elle ne soit pas utile, qu’elle n’apporte rien. On a simplement atteinte la masse critique des convaincus, une certaine « fatigue sociale » se fait également sentir et d’ici à ce qu’on se risque sur de nouvelles approches capables de réenchanter les uns et séduire les autres, il faut trouver un levier permettant d’utiliser ce levier formidable en dépit du manque d’entrain des individus.
Big Data et Objets Connectés : l’aube de la participation passive
Ca n’est pas tant la participation qui lasse ou manque de sens que son coté actif. Elle demande du temps (sans garantie d’être payé en retour), de l’attention. Si personne ne nie les avantages du partage d’information, le collaborateur ne comprend pas que cela lui génère un sucroit de travail et le citoyen est heureux de tous les services et avantages qu’il retire (souvent inconsciemment) de l’utilisation des données collectives mais ne voit pas passer sa vie derrière son clavier pour nourrir de ses avis, idées, notes et expériences la machine à analyser, prédire, et proposer.
Le message semble clair : oui à la participation mais à la participation passive. « Prenez ce qui est disponible (dans la limites que je fixe à ma vie privée) mais surtout ne me demandez pas de travailler pour vous ». Ainsi le consommateur qui a donné un avis sur son blog, sur twitter ou Amazon ne va pas participer à une étude de la marque concernée, pas plus que le salarié qui a produit une tonne de documents et de données ne va remplir son profil sur le réseau social d’entreprise alors que tout ce qui est nécessaire pour le faire est déjà disponible et qu’il n’y a qu’à l’exploiter. Pourquoi partager soi-même certains chiffres qui pourraient aider le collectif alors que l’Open Data ferait très bien le travail. Pourquoi rentrer dans un système les données de mes courses alors que Nike propose des petits gadgets qui le font à ma place.
Les données sont les gaz d’échappement de notre activité
On génère des données à longueur de journée. En créant de l’information, en utilisant un outil ou service quelconque, en travaillant, en vivant. Des données et des méta-données d’ailleurs (des données de contexte sur la donnée). Ce qui est changé est la capacité que nous avons nous ou les outils que nous utilisons de les enregistrer, les capter, les partager et les traiter à grande échelle, en temps réel si nécessaire. C’est une première forme de participation passive : la contribution invisible, sans effort, au système. En tche de fonds. Les données sont les gaz d’échappement de nos activités : il s’agit davantage de les récupérer et les recycler que de devoir documenter les activités en question.
Viennent ensuite les objets connectés qui participent d’une seconde forme de participation passive. Bien sur, par leur connexion, ils permettent qu’on agisse sur eux à distance mais c’est bien leur moindre intérêt. Ils sont les senseurs de nos activités. Ils savent combien on courre, comment on dort, combien de temps on regarde la télé (et ce que nous regardons), quand on allume et éteint les lumières, quand on prend le métro, à quelle station et pour aller où, combien on consomme d’eau. Ils sont également les senseurs des activités naturelles (température, pluviométrie etc).
Les objets connectés : senseurs de notre activité
Les technologies de l’information et de communication génèrent de la donnée directement quand on génère de l’information. Les objets connectés génèrent de la donnée à partir du reste de nos activités individuelles et collectives et même à partir d’activités non humaines.
Les deux réunis incarnent la seconde ère de la participation : la participation passive. Une opportunité sans précédent pour comprendre des phénomènes collectifs, comprendre comment des actions individuelles s’intègrent dans des dispositifs collectifs (même insconsciemment) et le tout à une échelle jamais vue puisque ne dépendant plus de la volonté des uns des autres de contribuer à ce qui est ni plus ni moins que le plus grand dispositif d’intelligence collective jamais réalisé.
Le challenge du big data n’est plus technologique mais éthique
Big Data et Objets connectés ne sont pas une discipline à part du « social business », des logiques collaboratives et participatives. Elles sont leur prolongement, s’affranchissent du poids de la participation et comportent une logique décisionnelle (et donc une valeur) qui manquait souvent aux précédentes.
Ils sont aussi un risque majeur pour nos vies privées et les libertés. La confiance dans le système demande des garanties et une éthique irréprochable de la part des opérateurs. On en est loin et le challenge humain, social et quasi philosophique est au moins à la hauteur du challenge technologique. Sinon au dessus.