La révolution digitale crée-t-elle ou détruit-elle des emplois ? Si l’on regarde le développement de ce pan de l’économie et sa croissance en valeur on ne peut douter qu’elle en crée. Si l’on regarde, en contrepartie, les emplois détruits dans l' »ancienne économie », le solde est tout sauf positif. Et les perspectives ne s’annoncent guère brillantes. Bref, on peut se demander si, en matière d’emploi, la course contre les machines n’est pas perdue d’avance.
C’est le sujet auquel Andrew McAfee et Erik Brynjolfsson se sont attaqués dans Race Against the Machine: How the Digital Revolution is Accelerating Innovation, Driving Productivity, and Irreversibly Transforming Employment and the Economy. Aussi paradoxal que ça puisse le sembler, c’est en menant des recherches sur ce qu’il nomme la « Frontière Digitale » et le potentiel qui se trouve derrière que les auteurs en sont venus à approfondir la question de l’emploi, traitée selon eux de manière inadaptée dans une vision économique « classique ».
Un constat pour commencer : même en phase de reprise l’économie américaine crée peu d’emplois. En tout cas pas assez pour compenser ceux qui ont été détruits depuis le début de la crise. Selon les économistes si le choses continuent à ce rythme il faudra attendre jusqu’en 2023 pour arriver au niveau d’emploi d’avant la crise.
Trois théories permettent d’expliquer la faiblesse de la création d’emploi.
On innove trop vite par rapport à notre capacité d’adaptation
1°) Une théorie classique de la demande qui dit que c’est la faible croissance qui est génératrice d’une faible demande qui ne suffit pas à relancer l’emploi.
2°) Une seconde théorie met en avant la stagnation de l’innovation. L’économie américaine n’innove pas assez et n’améliore pas sa productivité. Si les « stagnationistes » n’ignorent pas l’impact de la crise, ils ne croient pas qu’elle soit la cause principale de la situation actuelle. Pour eux c’est le manque d’innovation qui est en cause.
3°) Une troisième théorie prétend, elle, qu’au contraire on innove trop et trop vite et que l’économie, les entreprises, les individus n’arrivent pas à s’adapter pour tirer le meilleurs de l’innovation. C’est l’argument de la « fin du travail », reprenant les thèses de Rifkin selon qui le progrès technologique va faire en sorte qu’il y aura besoin de moins en moins de travailleurs pour produire les biens et services dont la population a besoin.
Cette troisième thèse n’a jamais été prise trop au sérieux par les économistes qui n’ont jamais cru que la technologie pouvait perturber de manière profonde et durable le marché de l’emploi. Et c’est justement le propos de McAfee et Brynjolfsson que de réintroduire le sujet dans le débat et s’intéresser à la manière dont la technologie impacte les compétences, les salaires et l’emploi.
Deux points traités dans l’ouvrage m’apparaissent – entre autre – essentiels.
Tout d’abord les machines sont chaque jour davantage capables d’œuvrer dans des domaines qu’on croyait réservés aux individus. Aujourd’hui 47% des emplois sont en danger du fait de la « computarization », et on parle ici d’emplois « cognitifs » tenus par des « travailleurs du savoir ». Et même si l’expérience montre que le meilleur joueur d’échec n’est ni un ordinateur ni un humain mais un humain qui interagît avec un ordinateurs, beaucoup se demandent combien de temps il faudra avant que Watson, le programme d’informatique cognitive d’IBM qui apprend en interagissant avec des médecins aujourd’hui ne soit, demain, en mesure de leur donner des leçons.
Nous avons besoin de nouvelles structures pour tirer profit de l’innovation technologique
Ensuite, et c’est à mon sens le point majeur, parce que si le progrès technologique détruit aujourd’hui plus d’emplois qu’il ne permet d’en créer c’est que nous ne sommes pas en mesure d’en tirer profit et ce pour différentes raisons. D’abord des modèles d’organisation peu adaptés à l’économie et au travail tel qu’il serait souhaitable aujourd’hui (tant au niveau de l’entreprise que des états), ensuite des compétences qui ne suivent pas.
McAfee et Brynjolfsson terminent par une liste de recommandations à mettre en œuvre au plus vite pour gagner la course de l’emploi face à la machine. A la fois au niveau de la formation, de l’entrepreneuriat, de l’investissement et de la loi et des taxes.
Une réflexion qui me rappelle celle que j’ai pu tenir par ailleurs sur l’appropriation des technologies sociales en entreprise, le besoin d’une approche plus systémique, et au niveau plus global de l’économie du savoir qui, si elle existe dans sa substance, n’existe pas en tant que système organisé, dédié, favorisant son fonctionnement. Sur chacun de ces sujets (mais qui finalement relèvent de la même logique) on ne s’en sortira pas par des actions tactiques ponctuelles mais en agissant au niveau systémique sur le cadre de l’activité des entreprises et des individus. Ce qui implique également d’agir au niveau des états.
Au final McAfee et Brynjolfsson sont optimistes sur la contribution de la technologie à notre croissance, notre bien-être et nos succès futurs mais à une seule condition. Il faut qu’après avoir créé un monde, une société et des modèles permettant à technologie de naitre et de s’améliorer, on les adapte afin qu’ils soient désormais capables d’en tirer parti.