« Ca n’avance pas ». « 7 ans qu’on entend la même chose ». « Les gens dépriment ». « Rien de neuf ». Voilà ce qu’on entend de plus en plus souvent au sujet des formes nouvelles d’entreprise, « sociale », collaborative, voire digitale, traduisant une déception certaine de nombre d’acteurs et d’observateurs du sujet.
Une perception surement faussée. Pour ne parler que de l’Enterprise 2.0 Summit, dernier événement majeur auquel j’ai assisté sur le sujet, on voit quand même que le nombre de réussites majeures augmente, que les cas se renouvellent et se diversifient et même des exemples de transformation organisationnelle radicale comme chez Poult, certainement l’exemple de plus abouti de réinvention du modèle d’entreprise qu’on ait pu voir en France ces derniers temps.
Mais il n’empêche qu’on semble se heurter à un plafond de verre. Ce que beaucoup attendent est une transformation majeure du modèle, pas l’utilisation de technologies nouvelles pour faire peu ou prou comme on faisait avant. Or sur ce point Poult n’est que l’arbre qui cache la foret et constitue d’ailleurs un cas à part : c’est une transformation structurelle qui a été mise en place, nouvelle organisation , nouveau modèle managérial dont le fonctionnement est facilité par de la technologie et non pas provoqué par elle comme on semble toujours trop espérer que cela arrive.
L’entreprise collaborative fonctionne mais de manière trop erratique selon nos critères
Ce que les observateurs attendaient également c’est quelque chose de global et de pérenne là où on sent bien que nombres d’exemples demeurent très locaux ou confinés à une activité donnée et fragiles dans le temps.
Notre problème est qu’on attend quelque chose de pérenne et uniforme. Soit cela fonctionne tout le temps d’une manière donnée soit cela ne fonctionne pas. C’est d’ailleurs ce qui fait souvent à l’entreprise le monde rassurant d’un processus même inadapté et dysfonctionnel à celui d’un système adhoc, adaptable, flexible lorsqu’il est pertinent. Or l’entreprise telle qu’elle est rêvée voire idéalisée par certains, faite de transparence, de collaboration pleine et parfaite, de créativité, d’initiatives, d’autonomie, de résilience ne remplit pas ces conditions : elle est le fruit d’un état profondément instable des rapports humains qui semble l’empêcher d’obtenir le label « global, uniforme et pérenne ».
Pourquoi un état instable des rapports humains ? Parce, bien entendu, une telle organisation a besoin d’un haut niveau de confiance pour fonctionner. Confiance dans les autres, dans l’organisation voire confiance en soi. Ensuite parce qu’elle est à la merci du moindre grain de sable. Qu’une personne ne joue pas le jeu et elle peut contaminer tout le système. Que cela ne « colle » pas entre deux personnes et le système peut se gripper. Et les raisons qui font que de manière durable ou totalement ponctuelle et passagère cela ne fonctionne pas sont légion. Comme j’ai pu le lire dans cet article :
« La problématique de la coopération et du partage des connaissances ne saurait, en effet, faire l’impasse sur la dimension psychologique et affective des relations professionnelles. En d’autres termes, la connaissance est une notion intimement liée à l’humain, ses modes de représentations, ses désirs et ses tabous. »
La collaboration : un état provisoire et instable
Tout est dit. L’entreprise dite idéale, lorsqu’elle fonctionne, est dans un état rare, provisoire et instable des rapports humains qui peut disparaitre en un rien de temps. Et qui, pour cette même raison, peut fonctionner de manière inégale dans l’entreprise. Ca n’est pas que ça ne fonctionne pas mais ça n’a pas ce caractère rassurant d’uniformité et de pérennité que l’on associe en général à une organisation qui fonctionne.
Comment remédier à cet état de fait ?
Un premier élément de réponse est de changer d’approche et d’état d’esprit et comprendre une fois pour toute que ça n’est pas parce que c’est à l’œuvre de manière uniforme que cela fonctionne bien. Cesser de se rassurer en faisant prévaloir la capacité à contrôler la manière dont le dispositif fonctionne sur la qualité réelle de ses outputs. Se dire qu’à l’image de l’environnement dans lequel elle évolue, l’entreprise sera par nature instable.
Il n’empêche que malgré cela il importe de stabiliser le mélange autant que faire se peut. Faire en sorte qu’il soit le plus souvent à l’équilibre possible. Deux axes sont alors à envisager : limiter les écarts d’une part et renforcer la puissance du modèle.
Limiter les écarts et renforcer l’engagement
Limiter les écarts signifie faire en sorte que tout le monde tire dans la même direction, même imparfaitement. C’est une réponse aux enjeux d’uniformité. Ici tout est encore une fois question de structure, d’environnement de travail au sens organisationnel du terme. Comme le faisait remarquer Lee Bryant après le dernier Enterprise 2.0 Summit, et même si tout affaire de technologie, les technologies sociales peinent à produire leurs effets dans les organisations et les structures existantes. Ou plutôt, sachant que la technologie n’est rien de plus qu’un outil inerte auquel l’individu et le collectif donnent vie, je dirai « peinent à être convenablement utilisées dans le but recherché ». Quitte à me répêter les postures adoptées, les actions entreprises par chacun sont la stricte conséquence de règles implicites et explicites qui vont de la culture d’entreprise aux process en passant par la fiche de poste et les modes d’évaluation.
Renforcer la puissance du modèle signifie faire en sorte que les collaborateurs s’y investissent sans retenue. Question de culture, de confiance et d’engagement. Mais attention à l’engagement qui est en passe de devenir le grand « buzzword » fourre-tout des années à venir avec le risque réel de dévoyer et décrédibiliser un sujet pourtant essentiel et de le voir, comme d’autres avant lui, finir comme le bébé jeté avec l’eau du bain. Déjà il y a deux axes qui bien qu’intimement mêlés n’en sont pas moins distincts : il y a l’engagement par rapport à l’entreprise et l’engagement par rapport au modèle. On peut parfois n’être engagé que par rapport à un seul des deux ce qui, de facto, ne rend pas les choses durables. Ensuite il y a cette méprise courante de la part de l’entreprise qui pense que l’engagement est une problématique unilatérale qui relève de la responsabilité du salarié. « C’est au salarié de s’engager ». « On veut que vous vous engagiez ». Or l’engagement est une question de réciprocité et un problème managérial pour une entreprise qui doit se demander comment devenir engageante. Rendre le collaborateur responsable de l’incompréhension qu’on a de ses attentes est une erreur encore trop fréquente.
Dans l’entreprise collaborative le sujet n’est pas la collaboration mais l’entreprise
Bref l’entreprise collaborative fonctionne mais de manière trop erratique pour qu’on puisse conclure à l’émergence d’un nouveau modèle pérenne et efficace. Mais contrairement à ce qu’on pense encore trop souvent dans « entreprise collaborative » le problème n’est pas au sujet de la collaboration mais de l’entreprise.