On aurait tort de limiter la transformation digitale à la mise en place d’un réseau social d’entreprise, une initiative novatrice en termes de relation client ou l’utilisation des analytics pour le décisionnel. D’ailleurs, comme on le voit souvent, la réussite de telles initiatives, leur appropriation productive au delà du déploiement ou de la stimulation d’activité en trompe l’oeil, est due à plus de 80% à des facteurs exogènes au projet. Où l’on reparle de culture, de compétences, de management et de process.
Où l’on reparle également de ce j’appellerai une « plateforme d’entreprise digital », pas au sens informatique du terme mais en tant qu’un ensemble de pratiques, valeurs et modes opératoires qui constitue un socle qui fera que cela fonctionnera…ou pas.
Culture de service et orientation client
Commençons par la couche la plus basse, la culture et les valeurs.
Existe-t-il une culture digitale ? On pourrait bien sur le penser au premier regard mais un certain nombre de faits m’obligent à tempérer mon propos. On sait déjà que l’appartenance aux générations dites digitales ne permet pas de présumer une réelle appropriation des technologies et de leurs usages dans le contexte du travail. On sait aussi que certaines entreprises ont depuis des lustres des comportements qui semblent digitaux et ce avant même que la technologie n’ait été disponible. Je dirai plutôt qu’il faut une certaine culture pour tirer profit du digital, pour rentrer dans les approches et les pratiques qu’il permet.
Appelons la culture digitale dans un souci de simplification mais gardons en tête qu’un tel terme peut être source de confusion. Les Hommes et les organisations qui ont spontanément tiré le meilleur du digital avaient déjà , physiquement, une certaine manière de faire les choses, certaines croyances et approches. Le digital ne leur a permis que de changer de vitesse et d’échelle sans rien remettre en cause de ce qu’ils faisaient. Si je prends un exemple proche de nous, une entreprise comme Danone, ils ont fait du « 2.0 » sans les outils pendant près de 6 ans au travers d’un programme appelé « networking attitude ».
Ce qui me semble le plus caractériser cette culture est une double orientation qui n’en fait souvent qu’une : client et service. N’est il pas un fait que les entreprises fortement orientées client ont non seulement eu plus de facilité à adapter leurs pratiques et s’en sont d’ailleurs servi pour tirer la transformation interne alors que les autres ont continué à séparer les initiatives internes et externes, avançant par nécessité d’un coté et freinant par peur de l’autre ?
D’autant plus que si le client est la finalité de l’entreprise il est clair qu’on ne ne peut lui donner que ce qu’on a reçu. Je fais référence ici au concept de symétrie des attentions développé par l’Académie du Service. Un collaborateur n’adoptera pas face à son client une posture, des pratiques qu’on n’adopte pas avec lui dans l’entreprise.
C’est d’être orienté vers le client, vers l’autre en général qui fait que certains ont toujours eu la préoccupation de trouver des réponses quitte à ne pas suivre exactement la règle, mobiliser les bonnes personnes autour d’un problème pour trouver une solution plutôt que le laisser végéter, de réaligner le travail en mode adhoc en fonction de ce qu’il fallait faire à un moment donné. Et ce sont eux qui ont su mettre à profit le digital sous toutes ses formes de manière naturelle. Alors qu’être un Geek n’a jamais entrainé de manière mécanique cette orientation service/client.
Avec in fine le stade ultime : voir son collègue comme un client interne ce qui contribuera à régler les questions d’allocation de ressources et de collaboration adhoc et transverse.
Car lorsqu’on parle de digital en entreprise à quoi pense-t-on ? Aller droit à l’essentiel, mobiliser les ressources qui feront la différence, se rendre disponible pour les autres, s’adapter, innover. Cela nécessite un certain contexte, une certaine organisation qui donneront du sens sens à la technologie et ces éléments structurants ne seront jamais mais en place si au départ une culture de service et une orientation client forte n’existent pas dans l’entreprise.
L’importance de l’alignement entre la culture et les activités métier
De la culture découlent ensuite les questions liées au leadership et à l’alignement. Leadership car avant d’être incarnée par les collaborateurs (qui, rappelons le, sont plus influencés par le système au sein duquel ils opèrent que par les incantations) cette culture devra être incarnée par les dirigeants. Dans leur comportement comme dans la manière dont ils vont organiser l’entreprise, ce vers quoi ils vont orienter les actions structurantes, la manière dont ils vont (re)construire l’entreprise. Ce qui nous amène à l’alignement. On peut avoir une certaine culture, certaines valeurs, encore faut ils que cela se traduise dans les faits.
Et nous voici au début d’un impressionnant catalogue.
Commençons par la dimension RH : fiches de postes, critères de recrutement (oui la star d’un monde non digital peut être une bombe à retardement dans une autre forme d’organisation), critères d’évaluation (si le temps passé avec un client ou avec un collègue pour résoudre un problème est du temps perdu ne vous étonnez pas si…..), de rémunération (si vous donnez des bonus pour s’entretuer ne vous étonnez pas si…). Les dispositifs de formation ne sont pas en reste : comment apprend on, de qui ? La remise en cause de l’usine à gaz de la formation et de la posture du sachant labélisé seul à même de délivrer une formation ne se fera pas sans mal. On n’oubliera pas les logiques de mobilité et télétravail qui vont de paire avec l’esprit « digital ».
Poursuivons par la dimension organisation prise au sens large. Reporting, autonomie, prise de décision… Est on dans une logique de « pull » ou de « push » ? L’accès aux ressources (personnes, informations) est elle livre ou inutilement contrôlée ? Privilégie-t-on les grandes équipes dans un contexte où les économies d’échelles ne valent plus ou au contraire de petites équipes hyper connectées en leur sein et intéragissant les unes avec les autres ? Et quid d’une culture de la donnée dans la prise de décision ? Dans un monde digital on a besoin d’une culture de la donnée (opérationnel) et d’une éthique de la donnée (gouvernance).
Postures managériales ensuite. Le manager donne-t-il des ordres dont il contrôle la bonne exécution a posteriori ou est il sans une logique de support/facilitation.
L’écart entre l’expérience client et l’expérience employé impacte l’engagement
Couche suivante : activités métier et process. Et notamment en matière de relation/expérience client. Déjà parce que c’est ce qui va tirer les flux de travail interne, ensuite parce que c’est ce qui va donner le « la » dans beaucoup de domaines. Un des éléments de l’engagement des collaborateurs est la cohérence entre l’expérience client et l’expérience employé (afin de le pas avoir l’impression d’être les laissés pour compte de l’entreprise) et un des éléments de leur efficacité est l’alignement de leurs missions / activités / process sur les besoins et la gestion des cas clients. Le sujet mériterait un livre à lui tout seul.
Ensuite il sera temps de penser aux outils qui hors d’un contexte approprié seront peu, mal ou improductivement utilisés.
Alors bien sur un « digital transformation manager » va souvent voir la partie émergée de l’iceberg, les initiatives outillées. Mais s’il ne pense pas à la partie immergée, la néglige, pense qu’elle va se régler d’elle-même il va au devant de nombreuses déconvenues.