Un projet de transformation digitale est avant tout un projet de transformation et à ce titre il obéit aux mêmes règles. Si les personnes en charge de le mener ne comprennent pas trop où on va et comment on compte y aller, si elles ne sont pas en mesure d’incarner la vision cible il y a peu de chances qu’elles arrivent à emmener les autres avec elles.
En plus, s’agissant d’un projet digital, la moindre des politesses est de le mener « digitalement ». Pas uniquement en utilisant le digital pour communiquer mais en en adoptant les codes et les postures : orientation client (ou employé), avancer en testant, échouant et corrigeant rapidement, savoir « pivoter » en cours de projet, mener par le leadership plutôt que par la contrainte etc..
Ce qui fait qu’on arrive souvent aux mêmes conclusions et questionnements : « on ne sait sur qui s’appuyer », « on manque de vrais leaders », « a qui confier la direction du projet ? « .
Lorsqu’il parlait de son projet Entreprise 2.0, de son virage communautaire et collaboratif, John Chambers (CISCO) faisait le parallèle avec une équipe de basket. Certains joueurs sont bons dans un système de jeu donné mais si on change de système ils le sont beaucoup moins. Tout cela pour expliquer qu’il avait du s’appuyer sur des personnes qui n’étaient pas nécessairement celles sur lesquelles il s’appuyait avant et que de manière générale ceux qui allaient faire fonctionner le système demain n’étaient pas forcément ceux qui l’avaient fait fonctionner jusque maintenant.
Il en va de même – et peut être davantage – avec la transformation digitale : pour les raisons évoquées plus haut il y a de fortes chances que ceux qui sont les plus à même de faire avancer les choses ne soient pas ceux sur qui on avait l’habitude de compter jusqu’à présent. Et ça n’est pas une question de compétence mais plutôt de posture, d’état d’esprit, de leadership et d’ADN. Preuve à l’appui : à l’heure de la transformation digitale les directions informatiques doutent de leur capacité à mener les projets à bien, non pas pour des raisons de compétence mais de culture.
Les leaders de demain ne rentrent pas dans le moule de ceux d’hier. Et inversement
Marie-Laure Sauty de Chalon, DG du site Aufeminin.com ne disait pas autre chose : « Pour la transformation digitale il faut recruter des gens bizarres ». Comme le disait ce billet du Community Roundtable : « très peu de personnes veulent être le premier ou le deuxième type bizarre qui se met à danser » (en référence à cette célèbre vidéo sur la capacité d’entrainement des leaders…). Encore faut il les trouver ces leaders et agents du changement car il y a de fortes chances qu’ils soient en train de prendre la poussière dans un placard dans votre entreprise ou même que vous ne les ayez jamais recruté.
En fait on ne cherche pas des gens aussi « bizarres » que ça. On cherche simplement des personnes capables de se mouvoir dans un environnement et d’une manière qui est simplement a l’opposé de la manière dont l’entreprise a été construite et fonctionnait jusqu’à présent. Capacité à essayer, échouer, rebondir ? On ne recrute pas de gens qui échouent. Leadership ? Ah non ça va perturber notre modèle fondé sur l’autorité. Curieux et créatif ? Non merci on veut des gens qui suivent la règle. Bons communicants, capacité de conviction et d’engagement ? La com’ c’est le travail de la com’, et non merci on ne veut pas de grandes gu… qui vont tout remettre en cause. Capacité à aller vite ? Non mais suivez le process et les circuits de validation.
Alors si par hasard un caméléon a réussi à franchir les tests de recrutement il est certainement mis à l’écart quelque part pour cause de non conformisme. Pas fiable pour des projets majeurs. Sinon il y a de fortes chance qu’il n’ait pas été au bout du processus de recrutement, soit qu’il ait été éconduit soit qu’il se soit de lui-même rendu compte que « ça ne collerait pas ».
La question qui se pose aujourd’hui pour les entreprises n’est pas seulement de trouver la ou les bonnes personnes pour mener de tels projets. Ca n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’enjeu est à deux niveaux :
Les leaders digitaux ne sont pas bizarres, ils sont la future norme
Etre capable de recruter non pas ces personnes pour ce besoin spécifique mais faire en sorte de recruter massivement ce type de profils à l’avenir car ils ne sont pas bizarres, ils sont la nouvelle norme de l’entreprise que vous cherchez à construire. Cela veut dire les attirer, les séduire, et in fine les recruter. Enjeu de marque employeur mais également de politique RH : on a trop souvent refusé le risque, recruté des clones voire opéré un filtre pour ne présenter au recruteur final que des candidats acceptables. Raison pour laquelle les métiers peinent à recruter, même des profils qu’ils connaissent, le filtre RH jouant son rôle d’égaliseur en cours de process.
Etre capable de faire évoluer ceux qui sont actuellement là . Quelques uns deviendront des champions digitaux en prenant de l’assurance, d’autres n’arriveront pas à passer le pas, la grande majorité suivra, peut être sans génie, mais y arrivera peu à peu à condition qu’on s’en occupe. Car si on ne peut pas refuser une évolution inéluctable, on ne peut pas non plus laisser tout le monde au bord du chemin.
Au final se poser la question des leaders de la transformation digitale c’est, si on a une vision un peu trop technologique de la chose, un questionnement salutaire pour commencer. C’est se rendre compte qu’on a avant tout un enjeu de culture, de recrutement et de développement personnel.
Note : il ne faut pas prendre au pied de la lettre tout ce qu’on peut lire. De nombreux leaders digitaux qui réussissent sont issus de l’ancienne école. Mais ils ont su évoluer et rester curieux.