Un jour une journaliste m’interviewait sur le sujet du « Big Data RH » et les chances que ce soit massivement adopté un jour. Sur ces deux points ma réponse a été :
1°) « Big Data RH » ça ne veut rien dire. Le Big Data c’est juste un moteur, la valeur elle vient de l' »output ». En ce qui nous concerne aujourd’hui ce sont les « analytics » qui comptent et leur capacité à identifier des schémas répétitifs afin de prédire l’impact d’une décision et donc en prendre de meilleures.
2°) C’est loin d’être gagné. Déjà que pour n’importe métier cela demande un certain nombre de remises en cause alors pour une population plutôt conservatrice la route risque d’être longue.
Exemple. Un peu plus tôt dans l’année on discutait d’un plan de conduite du changement à l’échelle d’une grande entreprise. Une infinité de données RH permettait de segmenter très finement l’ensemble des salariés pour prévoir des plans d’action spécifique. Restait à trouver sur quels critères segmenter. Lesquels étaient pertinents par rapport à la réaction d’une population donnée à ce type de changement. Et bien on peut penser qu’en fonction de l’âge, du type de poste, du fait qu’ils soient ou non devant un ordinateur, qu’ils soient cadre ou pas… Et bien c’est là le problème. On peut penser que. Mais si un jeune doit réagir positivement et une personne non équipée d’un PC au travail moins, qu’en est il d’un jeune non équipé ? On peut également partir d’observations générales mais que valent elles dans une entreprise et une culture donnée. Rien.
Non validée par des données la décision n’est qu’approximation
Conclusion : on pouvait passer des semaines à travailler sur les critères de segmentation, à segmenter dans tous les sens, le manque de données et de corrélations faisait que la démarche perdait toute sa rigueur à la fin. De l’approximation derrière un habillage de rigueur.
La vérité est qu’en général nous prenons l’essentiel de nos décisions en nous fondant sur notre jugement et non sur des données tangibles, quand bien même elles existent et que le résultat est une infinité de biais qui impactent la qualité de la décision. Confrontées à une analyse des données on se rend compte que beaucoup de choses qu’on tient pour acquises et sur lesquelles on fonde nos décisions sont en fait fausses.
Si dans de plus en plus de métiers on commence à intégrer les données dans les processus de décision, notamment grâce aux analytics, les RH semblent encore rester à la traine. C’est tout le propos de Applying Advanced Analytics to HR Management Decisions: Methods for Selection, Developing Incentives, and Improving Collaborationde James C. Sesil qui nous montre pourquoi et comment les RH devraient mettre à profit ces outils et technologies.
L’auteur commence par nous expliquer les différents modes de pensée et de prise de décision et l’apport des analytics en la matière. D’ailleurs, pour mémoire, j’en profite pour préciser les différents types d’analytics qui existent :
– analytics descriptifs : ce qui s’est passé et ce qui se passe.
– analytics prédictifs : ce qui va ou risque de se passer
– analytics prescriptifs : ce qui devrait se passer, ce qu’il faudrait faire
Attention toutefois. Comme je le répète à chaque fois sur ce sujet, l’idée n’est pas de remplacer l’humain par des machines mais au contraire de donner à l’humain les information nécessaires pour prendre des décisions informées, fondées sur des données, du concret.
S’en suit une inattendue mais très intéressante partie sur la collaboration et la prise de décision collaborative qui met en exergue le besoin de partager davantage l’information afin que les décisions ne soient pas prises avec une vision parcellaire du sujet. Problème que la technologie peut également régler…pour peu que les données soient accessibles.
Vient enfin la partie tant attendue : dans quel domaine les analytics et l’analyse des données peut aider à prendre de meilleures décisions RH.
97% des décisions de recrutement sont biaisées
Bien évidemment tout commence par le recrutement et de manière plus générale la gestion des talents. Il n’y a pas de domaine plus biaisé que celui-ci. Au final, la décision prise à la fin d’un entretien d’embauche est tout sauf rationnelle même si le recruteur est totalement inconscience des biais qu’il introduit dans son raisonnement. Comme le montre cet article de la Harvard Business Review, de 85 à 97% des professionnels se reposent sur leur intuition au moment d’évaluer une personne. Aveuglés par qualité qui masque une foule de défauts, par un défaut qui masque des qualités, par une qualité réelle mais inutile pour un poste précis, par l’intuition que ce profil n’est pas fait pour ce poste…
Sur ce point j’avais écouté avec intérêt un certain nombre de choses sur les sessions dédiées à Kenexa lors de la dernière conférence IBM Connect. Rien n’est plus difficile que gérer des profils atypiques tant il est simple de se dire qu’un poste demande un profil précis et qu’aucun autre ne peut y réussir. A l’échelle d’une entreprise on peut identifier que tel type de profil a souvent réussi dans une fonction pour laquelle il n’est pas fait mais les cas sont tellement rares que même avec une analyse de données on manque d’une volumétrie assez fiable pour en tirer des généralités. Par contre lorsqu’un système est utilisé par des milliers d’entreprises pour des centaines de milliers d’employés cumulés, il est facile de benchmarker la réussite d’un profil donné sur un type de fonction. La masse donne de la pertinence.
Sur ce point j’entends déjà les inquiétudes de ceux qui vont avoir peur de se reposer sur les analytics. A ceux là je réponds :
– ce sont des données et les données ne mentent pas. Le fait qu’elles vous déplaisent est un autre sujet…
– comme je l’ai dit plus haut : ça n’est pas un logiciel qui décide, mais un humain qui s’aide d’un logiciel.
– s’agissant du recrutement et de la gestion des talents on a là une arme anti-discrimination de premier plan. Evaluation par rapport au profil et aux résultats, pas d’effet halo ou autre type de biais qui empêchent des personnes compétentes d’accéder au poste où elles seraient épanouies et performantes.
Analytics Vs. Idées reçues
Les analytics permettent également d’évaluer l’impact d’un package salarial sur la performance des collaborateurs afin de ne pas mettre en place de politique contreproductive. Vous pensiez que l’attribution de stock options boostait la performance des cadres ? Les données montrent le contraire. Les analytics permettent également de détecter les métiers qui contribuent le plus à l’expérience client ou à la profitabilité de l’entreprise. Comme je l’avais appris des cinémas AMC aux Etats-Unis lors d’une de leurs interventions sur le sujet, qui s’étaient rendu compte que les salariés clé d’un cinéma en termes de revenus étaient…les vendeurs de pop-corn et autres nourritures à consommer devant son film. (Une brève étude de cas ici et un autre article intéressante chez Forbes). Ils permettent également de déterminer les facteurs d’engagement des collaborateurs.
Bref, un livre parfois un peu théorique (car il introduit une masse de concepts nouveau) mais qui à l’intérêt de nous faire prendre conscience que les RH ne sont épargnées par la révolution des données qui a déjà largement touché le marketing ou le service client. En espérant qu’ils ne rateront pas ce train comme ils en ont raté d’autres.
En attendant on peut continuer à prendre des décisions dans le brouillard, au petit bonheur la chance, en se basant sur des raisonnements et des hypothèses totalement biaisées.