Objets connectés, (big) data, mobilité, réseaux sociaux. Ce sont les sujets chauds du moment même si pour la plupart ils sont encore mal compris du grand public et des entreprises. Chaque notion prise indépendamment est encore en effet plus ou moins floue pour la plupart et le potentiel de leur utilisation conjointe l’est encore plus pour le plus grand nombre.
C’est cette nouvelle frontière de l’informatique que Robert Scoble et Shel Israel nous expliquent dans Age of Context: Mobile, Sensors, Data and the Future of Privacy.
Au travers d’une dizaine de cas d’usages spécifiques qui vont de la santé à l’urbanisme en passant par le marketing ou l’automobile, les auteurs nous montrent où nous mène une révolution qui n’est pas qu’informatique mais va transformer totalement la manière dont nous vivons, dont les entreprises vont créer de la valeur et fonctionner. Une révolution à la fois économique, technologique et sociétale.
Rien n’illustre plus le ton de l’ouvrage que cette citation en préambule du premier chapitre : « l’informatique n’est plus du tout une affaire d’ordinateurs. C’est l’affaire de nos vies ». (Nicholas Negroponte – Confondateur du MIT Media Labs). (computing is not about computers any more. It’s about living).
Du contexte à l’intelligence collective
On a souvent associé le web à l’intelligence collective, notamment dans ses évolutions « 2.0 » et « sociales », plus centrées sur les utilisateurs et participatif. Ca n’est que partiellement exact. Il n’y a pas d’autre intelligence dans le web que celle de ses utilisateurs et ce qu’ils en retirent est limité par la participation. On ne trouvera que ce que quelqu’un a voulu partager et on n’en fera que ce qu’on est capable d’en faire. L’intelligence n’est pas dans la technologie mais dans les utilisateurs.
L’ère que nous décrivent Scoble et Israel correspond à ce que j’appelle celle de la participation passive. Une ère où toute action suffit à alimenter un système en information sans besoin d’une actions supplémentaire spécifique en ce sens.
L’intelligence collective ? Elle est « dans le cloud », chez ceux qui vont opérer les différents services reposant sur ce modèle nouveau. Ces services vont anticiper, prédire et soit agir à la place de l’utilisateur soit lui donner des informations permettant ou non d’agir. Le facteur limitant n’est plus dans la participation et la capacité des individus à tirer parti des informations et échanges en ligne mais dans la capacité du système à saisir le contexte de l’utilisateur.
Ce contexte est saisi de différentes manières. Par les objets connectés d’abord. Beaucoup croient que la force des objets connectés c’est d’être pilotables depuis un autre périphérique et c’est une erreur. Leur force est de servir de capteur de contexte et d’être capable d’agir suivant un ordre émis après analyse de ce contexte. Par les médias et réseaux sociaux ensuite qui sont une mine d’informations non structurées issues du partage volontaire ou des conversations. Enfin les données générées par différents systèmes (relevés de cartes bancaires par exemple…).
Le traitement de ces données permet soit d’envoyer une information à l’utilisateur (un conseil, une suggestion, une alerte), à une tierce partie (annonceur, fournisseur de service – banque, santé – mais aussi police, pompiers etc), soit un ordre à un périphérique connecté. Ce traitement est fondé sur l’identification de schémas, de principes, au travers des données d’autres utilisateurs. Plus le système traite de données d’utilisateurs différents plus il est en mesure de faire des prédictions exactes pour un utilisateur donné.
On voit bien que si les individus restent les producteurs d’informations, l’intelligence, elle, est en grande partie déportée vers le système.
Si c’est la compréhension du contexte qui permet à la machine d’être pertinente et bien nous y sommes.
L’âge du contexte : pas si futuriste que ça
Scoble et Israel détaillent donc au travers du livre de nombreux cas d’usages fondés sur les 5 piliers de qu’ils considèrent comment une véritable tempête : le mobiles, les données, les senseurs, les médias sociaux et la géolocalisation.
Et ces nombreux cas sont à lire avec une attention redoublée : pour nous qui en sommes les utilisateurs mais parfois également les objets et les produits, pour les entreprises et les pouvoirs publics qui vont voir leurs modèles et activités totalement bouleversés. Un nouveau paradigme à connaitre et comprendre au plus vite car il n’a rien de futuriste.
En effet si on est à des années lumières de comprendre la totalité du potentiel de ce qu’on est en train de créer, il ne faut pas croire qu’on parle ici de concepts futuristes. Ils sont déjà largement à l’œuvre, nous les utilisons déjà , consciemment ou inconsciemment, ils nous « utilisent » à notre insu également. On est à peine au début de la route mais on déjà engagés dessus, qu’on le veuille ou non.
La vie privée : le vrai débat de l’âge du contexte
Si on est loin de vraiment imaginer ce qui nous attend vraiment, si la promesse laisse rêveur, je suis souvent surpris par l’enthousiasme sans borne de beaucoup d’observateurs et d’utilisateurs « avancés » devant les annonces qui se succèdent, les gadgets connectés qui commencent à remplir les rayons des bonnes boutiques. Oui le potentiel est énorme mais, oui également, le risque qui pèse sur nos vies privées, sur certains droits les plus fondamentaux est au moins proportionnel.
Un sujet que n’éludent pas Scoble et Israel. Le futur de la vie privée n’est pas ignoré, traité comme un dommage collatéral ou repoussé à la fin du livre. Il est omniprésent dans chaque chapitre et est d’ailleurs un des sujets du livre comme le montre le titre. Un point sur lequel ils adoptent une position pas tranchée mais pragmatique. Le risque est réel, les bénéfices le sont tout autant, on ne peut stopper la technologie en marche mais on ne peut et doit tout accepter. Tout au long de l’ouvrage ils pointent des cas d’usage qu’ils estiment dangereux, des choses qui leurs paraissent inconvenantes tout en reconnaissant qu’à un moment il faudra faire des arbitrages. Savoir ce qu’on abandonne, quel en est le prix, par rapport à ce qu’on attend en retour.
Le problème n’est pas la technologie mais la confiance
Au final – et c’est d’ailleurs le sujet de l’avant dernier chapitre – le problème n’est pas la technologie mais la confiance. Confiance dans les services, dans ce qui sera fait des données, dans les entreprises, dans la technologie. Je ne sais si l’âge du contexte a quelque chose d’idéal, si c’est un rêve, mais à défaut d’éthique il virera au cauchemar car on pourra difficilement faire machine arrière.
Bref, Age of Context: Mobile, Sensors, Data and the Future of Privacyest un livre pédagogique pour ceux – individus et entreprises – qui veulent comprendre vers quoi on va, une source d’inspiration pour ceux qui veulent réinventer leur business model ou même simplement trouver une idée pour entreprendre. Et un livre indispensable pour juristes et autres défenseurs des libertés individuelles afin qu’ils comprennent bien ce à quoi ils vont avoir affaire demain.
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[EDIT 28 juillet 2014] : le livre est désormais disponible en Français sous le titre L’Ère du contexte: Ces nouvelles technologies qui bouleversent notre environnement