Quiconque s’est déjà frotté à un projet social business vous le confirmera. La puissance du social business c’est les gens, la possibilité de faire levier sur une masse jusque là impensable de talents, d’idées, de compétences, d’informations qu’ils détiennent. Et le principal problème…c’est également les gens.
J’écrivais plus tôt cette année que la collaboration est in état fragile et instable des rapports humains et nous pouvons le constater chaque jour. Il faut beaucoup du temps et un dosage très subtil pour qu’une collaboration pleine et parfaite se mette en œuvre. Que ce soit, d’ailleurs, coté employé ou coté client : le dispositif qui fait que le client va se mettre à collaborer avec une marque, partager informations et idées avec elle pour créer, améliorer ou faire fonctionner un service relève également d’une logique de confiance et d’engagement très fragile.
Et je ne reviens même pas sur le paradoxe de ce qui se met en place : à force de sur-connection et de sur -partage, à force de rendre tout et tout le monde accessible on est arrivé à une saturation de messages, d’information et de signaux qu’un individu normalement constitué ne peut plus gérer. Sauf passer davantage de temps à gérer réseaux et informations qu’à vraiment travailler.
Il suffit qu’un jour quelqu’un n’ait pas envie, ait un problème personnel qui l’accapare, ait d’autres priorités ou manque de temps et l’équilibre est rompu, la dynamique s’arrête. C’est plus critique en entreprise car les équipes sont d’envergure plus restreintes mais cela existe tout autant coté client : il y a un effet boule de neige dans l’engagement et le désengagement qu’on ne peut négliger.
Bref générer des dynamiques collaboratives et sociales c’est, au choix, comme remplir le tonneau des Danaïdes ou se retrouver à la place de Sysiphe : ça n’en finit jamais et a peine croit on en avoir terminé qu’on se rend compte que tout est à refaire. Ce qui génère un certain désarroi voire du découragement chez ceux qui s’échinent à faire fonctionner tout cela. « Tout ça pour ça…c’est tellement puissant….mais tellement fragile qu’on se demande si finalement tous les efforts déployés en valent vraiment la peine… » entend-t-on ici et là.
L’interaction homme-machine est le futur de la collaboration
Vous n’aurez pas manqué de le remarquer. Depuis plusieurs mois un virage a vraiment été opéré vers des sujets tels que les données, les analytics, les robots. Fuite en avant ou évolution logique ?
Evolution logique car finalement à quoi servent les interactions sociales ? A générer des informations et données, ni plus ni moins. La différence par rapport aux premiers temps du web social est qu’auparavant les individus devaient générer données, information, savoirs en interagissant et ensuite essayer d’en sortir quelque chose. Aujourd’hui on est capable de capter les choses sans que les individus ne les aient nécessairement partagées ou pas dans une perspective collaborative. L’évolution de la collaboration passe par l’accroissement du spectre de la collaboration passive. Bref, on peut capter plus de données, d’intelligence et les traiter mieux sans avoir à mobiliser autant de personnes. Demain des agents intelligents ne remplaceront pas les Hommes (enfin..pas tous) mais fluidifieront la résolution de problèmes, serviront de catalyseurs et d’accélérateurs d’intelligence collective. Sachant en plus qu’eux seuls sauront faire le lien entre données non structurées et donner du sens aux choses… Regardez donc comment une machine intelligente peut utilement seconder les managers dans une réunion.
C’est le futur et on y va tout droit. Le ROI est direct, plus facilement quantifiable, cela permet de s’affranchir de complexe composante humaine qui rend l’entreprise sociale et digitale si instable et fragile. C’est, tout simplement, le passage de l’ère artisanale à l’ère industrielle des business models digitaux. La valeur de l’Homme dans le système sera paradoxalement de plus en plus importante à condition qu’il ait les compétences nécessaires pour se mouvoir dans ce paradigme nouveau. Créativité, inventivité, capacité résoudre des problèmes, « polymathie« . Pour les autres les machines leur auront fait comprendre le sens profond de la théorie de Rifkin sur la fin du travail. En un mot : on tirera beaucoup plus et plus vite des données et des machines qu’on ne tirera jamais d’une organisation hautement collaborative, de manière beaucoup plus certaine, régulière, moins aléatoire. Voilà. Qu’on le veuille ou non c’est la réalité.
Ira-t-on plus loin avec des machines qu’avec des hommes ?
L’entreprise « sociale », « humaine » n’aura donc été qu’une étape dans la transformation des organisations. Non que cette composante disparaisse mais parce qu’elle ne va pas plus constituer qu’une petite partie d’un tout beaucoup plus large.
Ceci dit on aurait tort de se jeter sur les données parce que, justement, l’humain c’est compliqué. Elles sont un futur et un prolongement naturel, pas un substitut. Ca n’est pas parce que l’entreprise collaborative ne fonctionne que moyennement et avec un ROI parfois tiré par les cheveux que robots et données vont résoudre votre problème. Trop d’entreprises s’empressent de totalement délaisser le volet humain de l’entreprise digitale pour aller vers ce qui marche mieux, tout de suite et sans avoir à composer avec les états d’âmes et les jeux internes et finissent par se retrouver bloquées à un moment et un autre.
Parce que quel que soit leur rôle il faudra quand même des gens pour construire, déployer et faire tourner l’organisation qui va avec. En termes de changement culturel le saut est encore plus grand.
Parce que de manière plus spécifique un business model reposant sur robots et données demande une culture et une éthique spécifique.
Parce que la pression sur l’agilité et la collaboration interne deviendra d’autant plus importante qu’on aura accéléré les cycles de décision et améliorer la qualité de ces dernières. Il faudra exécuter encore plus vite pour ne pas perdre l’avantage acquis.
Robots et données ou l’ère industrielle de l’entreprise digitale.
Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue ce vers quoi on tend :
– oui les humains c’est compliqué et, comme on l’a fait à l’ère industrielle, dès qu’on pourra faire sans eux on fera sans eux. En entreprise comme chez les politiques il me semble que bien peu ont conscience du nombre d’emplois aujourd’hui occupés par des humains qui ont vocation à disparaitre. Des cabinets d’avocat aux centres d’appel, cela ne concerne pas moins de la moitié selon certains. A moyen terme. Même les dirigeants sont concernés.
– cela fait 50 ans qu’on essaie en vain d’améliorer la performance de l’entreprise par la collaboration. Là les gains sont mécaniques et directs.
– le futur de l’entreprise sera collaboratif. Mais on devra apprendre à collaborer avec des machines et rien ne prouve que ça soit plus simple. N’oublions pas qu’il a été prouvé que le plus fort n’est pas l’homme ni la machine seuls mais l’homme qui sait collaborer avec une machine.
En attendant, parler de transformation digitale en consacrant 90% des efforts à faire interagir les individus sur des plateformes sociales c’est être en déphasage totale avec ce est désormais inéluctable et refuser de voir à quel point le spectre de l’entreprise digital s’est agrandi depuis 10 ans.
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