Au nombre des nombreuses études qui ne cessent de sortir sur la transformation digitale, une a particulièrement attiré mon attention ces derniers temps. Publiées par le IBM Institute for Business Value elle se nomme « Réinvention Digitale : se préparer à un avenir proche très différent ».
Je ne vais pas épiloguer sur le choix du terme « réinvention digitale » même s’il me semble très significatif. A force de se fourvoyer et digitaliser l’existant plutôt que réinventer leur business model et se réinventer elles-mêmes, les entreprises ont eu jusqu’à présent une expérience plus que compliquée et mitigée de leur transformation digitale. Cela a commencé il y a une dizaine d’années avec l’entreprise 2.0 à laquelle a succédé le social business puis la transformation digitale sans que cela ne change finalement grand chose – notamment du coté de la transformation interne – : tant que l’on se contente de repeindre la façade les nouveaux outils et modes de travail ont du mal de trouver leur sens.
C’est justement ce qui a attiré mon attention dans cette étude : elle n’est pas fondée sur l’utilisation des medias sociaux, les interactions digitales mais sur l’évolution des business models dont tout le reste découle.
Une économie centrée sur la personne
Le constat fondateur de l’étude est que nous sommes entrés dans une économie centrée sur la personne. Elle n’est pas en marche, elle est déjà là. L’économie n’est plus Business-to-Business ou Business-to-consumer mais People-To-People. De personne à personne. Si ce changement est amené par une évolution des technologies, la réponse, elle n’est pas technologique. Ou, plutôt, la technologie y est secondaire. Comme le montre le diagramme ci-joint, les priorités des entreprises évoluent et si la relation client et le changement de modèle d’entreprise prédominent, l’adoption des nouvelles technologies n’arrivent qu’en troisième lieu. Autre point intéressant, la réduction des coûts de fonctionnement régresse, preuve s’il en est qu’on en a fini avec l’optimisation des anciens modèles, chose dont on voit la limite, et qu’on se lance dans la construction de nouveaux. Gardons bien en tête qu’à force de réduire des coûts on arrive à une limite : l’entreprise a zéro coût. Elle n’a plus d’employés ni de machine ou d’ordinateurs, ne produit rien et ne gagne rien. Mais au moins elle ne dépense plus.
On passe donc d’une économie centrée sur l’organisation à une économie centrée sur la personne. Quelles différences ? Là ou l’organisation standardisait tout, on parle désormais d’expérience sur mesure, de micro segments (voire de marchés d’une personne) et de l’importance du big data et des modèles prédictifs. On voit bien bien l’évolution depuis 10 ans : on passe du besoin de réunir les gens et de favoriser les intéractions à la construction d’un modèle, d’un environnement à leur service. Si l’économie est centrée sur la personne, le modèle qui la fait tourner sera, lui, centré sur les données.
S’en suit une analyse autrement plus intéressante que ce qu’on a pu lire depuis des années à coup de « les gens se connectent et intéragissent ». Ici l’approche est plus structurelle et fondée sur l’expérience client. Bien plus structurant en effet car on y parle de chaine d’approvisionnement, du lien digital/physique, de la personnalisation de l’expérience et de la réactivité permise par les données.
Le business model donne du sens au changement
L’étude enchaine d’ailleurs directement sur une analyse du concept de chaine de valeur et la manière dont il est impacté par le digital. On voit bien, là encore, le besoin d’évoluer vers quelque chose de plus en plus structurel. Ca n’est pas l’adoption des medias sociaux qui va transformer l’entreprise en dehors d’un changement de modèle de valeur. J’ose espérer que cela conduira à la fin des initiatives de surface, superficielles, qui tiennent davantage du ravalement de façade pour aboutir à une réelle transformation des « couches basses » de l’entreprise, de leur business model. Ca ne sont pas – uniquement – les personnes qui changent et font vivre le modèle mais le modèle qui donne du sens au changement pour les individus.
Une attention toute particulière est portée à la notion d’écosystème. En effet pour que ces business models nouveaux fondés sur la participation d’un grand nombre de parties prenantes (individus compris) fonctionne, tout le monde doit y trouver son compte. La question du partage et de la redistribution de la valeur est ainsi posée ainsi, ajouterai-je, que pour les acteurs non économiques (individus impliqués sans contrepartie monétaire jusqu’ici).
Un modèle de maturité digitale est ainsi proposé, montrant l’évolution entre les différentes phases de l’ère digitale.
Dans l’économie de personne à personne, les modèles seront donc plus orchestrés, symbiotiques, contextuels et cognitifs.
Des écosystèmes connectés et collaboratifs
Tout part donc d’écosystèmes connectés et collaboratifs. Collaboratifs on connait déjà, c’est l’effet réseau et communautés. Par contre l’étude montre une dimension nouvelle et intéressante : l’automatisation et la transparence de la chaine de production. En d’autres termes il n’y a pas que les individus dans un modèle digital : les données sont des acteurs comme les autres et on gagne beaucoup à optimiser leur exploitation sans attendre que les individus n’arrivent à leur donner du sens par eux-même.
Preuve s’il en est que le chaos social et la sagesse des foules ne fait pas tout et qu’un peu de structure et d’automatisation sont essentiels pour faire tourner le modèle.
Une interactivité intégrée
A l’inverse d’une économie centrée sur l’organisation ou l’interactivité est accessoire, n’intervient que quand elle est nécessaire à la transaction, l’interactivité est intégrée au modèle d’économie de personne à personne. A terme le modèle deviendra symbiotique avec une interdépendance totale de tous les acteurs. L’avènement des objets connectés doit aussi – à mon avis – nous amener à nous interroger sur la notion d’acteurs. Si symbiose il y a elle ne sera pas, à mon sens, qu’entre individus mais entre individus et objets…et entre objets pour fluidifier de manière transparente les interactions entre individus.
Une connaissance du client personnalisée
On en revient à l’individualisation de la relation et donc de la connaissance du client. On ne parle pas ici que la connaissance relationnelle développée au fil des interactions en ligne. Importance accrue des données et des systèmes cognitifs qui permettront de prendre des décisions fondées non pas sur l’appartenance du client à un segment mais à ce qu’il est en tant que personne. Les fameux marchés d’une personne ou « markets of one » rendus possibles par une utilisation accrue des données.
Au final l’organisation digitale se caractérise
par une connectivité orchestrée, une interactivité symbiotique, une connaissance contextuelle et une intelligence cognitive.
Pour finir l’étude recommande aux entreprises de bien choisir leurs priorités non en fonction des possibilités actuelles que permet la technologie mais des opportunités les plus rentables. Sous entendu : « ne vous inquiétez pas, la technologie est secondaire et suivra toujours. Le facteur lent c’est l’homme et l’organisation ».
Un bref avis. Une étude qui a quelque chose de nouveau car se reposant quasi essentiellement sur les business models et la chaine de valeur mais qui confirme une tendance forte : la transformation digitale sera menée par la relation client. Et, autre tendance forte : la transformation interne est totalement passée sous silence. Ce qui tend à confirmer un message désormais commun : l’organisation digitale « interne » ce sera celle qui fera fonctionner l’externe. Point final. N’essayez pas de transformer l’interne indépendamment du reste, cela ne fonctionne pas. Pas faux quand on regarde la réalité du terrain mais c’est peut être quand même négliger des facteurs qui, un jour ou l’autre, s’imposeront dans le débat et qu’il faut peut être mieux anticiper avant qu’ils ne se manifestent d’eux mêmes.