Les nouvelles formes de travail rendues possibles par internet, notamment en permettant de s’affranchir des contraintes de temps et de lieu ne sont pas sans engendrer certains questionnements dans les entreprises.
Ces questionnements sont principalement de deux ordres.
Tout d’abord sur l’angle des rapports humains. Va-t-on cesser de se rencontrer ? Les rencontres virtuelles vont elles totalement remplacer les rencontres physiques ? Et si oui, pour le meilleur ou pour le pire ?
Ensuite sous l’angle des temps de vie et de l’effacement progressif entre la vie privée et la vie professionnelle. Auparavant ont parlait de séparation entre les deux, puis d’équilibre et aujourd’hui on en est à l’intégration. Il n’y a plus de frontière mais il reste à savoir faire cohabiter les deux au long de la journée. Là également si les chiffres sont édifiants et qu’il semble bien qu’on soit trop avancés pour faire un jour machine arrière, on ne peut manquer de se demander quelles en seront les conséquences à long termes sur la vie, l’équilibre et la santé des salariés.
Si l’on écoute les gens s’exprimer sur le sujet les avis vont d’un extrême à l’autre. Fantastique pour les uns, un drame pour les autres. Le problème de l’évolution du travail, dans la mesure où on parle de l’avènement d’une nouvelle norme, est qu’une norme ne se négocie pas. On est dans un dispositif collectif qui s’appliquera a tous ou à personne.
On perçoit un mode de travail différemment selon qu’on le subit ou qu’on en profite.
Dans ce débat il y a un facteur qui me semble être généralement oublié. On parle du futur du travail, de son évolution aussi inéluctable que ne l’est celle des technologies collaboratives et du poste de travail. On parle flexibilité, facilité, contraintes. Mais on ne parle jamais de la nature du changement en fonction de son instigateur.
Pour ce qui est des questions liées à la virtualisation des relations on connait déjà la réponse. Le futur n’est ni physique ni virtuel mais un mélange des deux. Le virtuel a ses avantages et permet une nouvelle élasticité espace/temps, le physique permet d’aller au fonds des choses et résoudre les problèmes. Le directeur marketing d’un groupe international me disait encore dernièrement « faire les choses à distances c’est très pratique mais il y a des choses pour lesquelles on doit prendre l’avion et se voir face à face. Pour différentes raisons il y a des choses pour lesquelles le virtuel fait surtout perdre du temps et détruit la qualité de l’échange ».
A l’inverse le virtuel bonifie également les moments passés ensemble. Comme on peut le constater dans les entreprises qui le pratiquent et comme c’est fort bien expliqué dans cet ouvrage sur la digital workplace, cotoyer les autres en permanence peut également être facteur de heurts, énervements, de stress et au final conduire à situation de conflits qui ne tiennent qu’à des détails. A l’inverse lorsque les membres d’une équipe travaillant à distance décident de se voir, ces moments sont appréciés et infiniment plus productifs et qualitatifs. Non parasités par les aléas de la vie de groupe quotidienne ils amènent à se dire « super je vais voir untel » plutôt que « pfff…encore une journée au bureau à coté de lui ».
La différence entre les deux : un moment ensemble choisi plutôt qu’un moment subi.
Il en va de même sur l’équilibre des temps des vie.
Comme je l’ai déjà écrit l’invasion du travail dans la vie privée est principalement du à une mauvaise organisation. La nouvelle elasticité de l’espace-temps ainsi permise ne permet pas de gérer des événements exceptionnels mais de ne pas remettre en cause une organisation défaillante génératrice de retards et qui oblige à tout traiter dans l’urgence. Le plus grand reproche fait à ces situations nouvelles n’est pas leur existence, tout le monde convenant que c’est fort utile pour gérer les impondérables, les événements exceptionnels. Ce qu’on leur reproche c’est justement d’être devenues la norme, évitant au passage de se questionner sur ce qui fait d’une situation en théorie exceptionnelle une nouvelle norme.
Là encore on retrouve la différence entre connectivité subie ou choisie. Choisie pour celui qui est en retard, a un problème et se dit qu’il n’y a pas de problèmes car il arrivera à mobiliser les autres pendant leur diner, leur week end, leurs vacances. Subie pour celui qui n’y est pour rien et subit le manque d’organisation de l’autre. D’ailleurs lorsqu’on pose la question on a bien deux types de réponses : celui qui initie l’interaction trouve cela très pratique, celui qui la subit commence à trouver que « trop c’est trop ». Mêmes ceux qui trouvaient cela fort pratique à une époque où nous étions finalement une minorité à travailler comme cela commencent à en voir les limites maintenant que cela se généralise. Le problème d’un phénomène qui devient massif est la difficulté de trouver des normes de bonne conduite collective.
Choisir plutôt que subir la connectivité : une affaire de bonne conduite ?
Maintenant soyons honnêtes. Nous sommes pour la plupart tous tour à tour dans une position ou dans l’autre. Mais certains sont plus souvent dans l’une que dans l’autre.
Ce qui pose finalement la question de la transformation du travail autrement. Elle n’est pas de savoir si, dans l’absolu, quelque chose est bien ou mal, positif ou négatif à long terme. Elle est de savoir dans quelle mesure les situations sont choisies ou subies et comment instaurer un équilibre et le code de bonne conduite qui feront qu’elles seront choisies par la plus grande majorité.
Tenez. Certaines entreprises prennent la question d’une manière intéressante. J’ai entendu parler récemment d’une politique d’utilisation des outils de communication pour le moins originale. Plutôt que d’interdire ou proscrire, elle dit simplement qu’en dehors des heures de travail la sollicitation ne peut être qu’ascendante (du collaborateur vers le manager) et en aucun cas l’inverse. Il parait que cela a drastiquement réduit les situations à problèmes et qu’on ne sert de la nouvelles élasticité espace-temps que pour gérer de vraies situations exceptionnelles.
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