Si le numérique est le nouveau Graal de l’entreprise, qu’est ce qui permet de dire qu’une entreprise réussit ou est sur la bonne voie ?
Selon Altimeter, si 88% des entreprises ont entrepris leur processus de transformation digitale, seules 25% ont une idée claire de ce que cela signifie et de la route à emprunter. Cela ne peut qu’interpeler sur ce qu’on entend par transformation digitale car sans idée claire de l’objectif il sera bien difficile de savoir si on l’a atteint et de mesurer le chemin restant à parcourir.
A la fin de l’été le journal les Echos a publié son classement des champions numériques du CAC 40. Je ne reviendrai pas sur le classement en lui-même qui a déjà suscité son lot de commentaires et de discussions par ailleurs mais plutôt sur les chiffres obtenus et la méthodologie employée pour tenter d’identifier un framework d’évaluation de la maturité numérique des entreprises.
Je n’ai rien à dire à propos des résultats qui ne saute aux yeux. Les écarts entre les plus avancés et les autres sont abyssaux sans qu’on puisse vraiment trouver une justification propre à des critères comme le secteur d’activité ou la taille. Un œil averti notera les choix effectués en matière de pondération : présence en ligne et maitrise technologique sont notés sur 30, l’ouverture sur l’écosystème numérique et la culture étant notés sur 15. Je ne doute pas que certains spécialistes du sujet ont du s’étrangler en s’en apercevant car s’il est un point de consensus sur le sujet c’est bien la question de culture qui est identifiée par toutes les entreprises et toutes les études menées sur le sujet comme le facteur central, la condition sine qua non d’une transformation numérique réussie.
Peut on sous estimer la dimension culturelle du numérique quand seuls 21% des managers français croient au numérique ?
Quand on sait, par cette étude Cap Gemini Consulting, que le numérique n’est vu comme un facteur impactant positivement la performance de l’entreprise que par 21% des managers français (la norme étant de 55-60% ailleurs) il y certainement des questions à se poser sur l’importance relative de ce facteur dans la pondération.
Je n’ai pas refait les calculs mais je ne pense pas qu’une pondération supérieure de la dimension culturelle aurait radicalement changé le classement par contre, quand on regarde les chiffres dans cette colonne, une évidence apparait rapidement : elle aurait largement baissé la moyenne générale et on se rendrait compte que les plus avancés ne sont pas si « champions » que cela (sans même parler des autres).
Ou alors tout le monde fait fausse route depuis des années et on peut réussir dans le numérique sans culture adéquate, sachant que c’est le point le plus mal noté pour l’ensemble des entreprises. Mais on y reviendra plus tard…
La méthodologie donc. Les entreprises étaient évaluées en fonction de leur présence en ligne, de leur maitrise technologique, de leur ouverture dans l’écosystème numérique et de leur culture. Soit. Tout cela semble fort logique. Maintenant sont-ce les seuls points qui permettent de qualifier la maturité numérique d’une entreprise ?
Première chose qui saute aux yeux : la regrettable et habituelle disparation de la composante numérique interne. Répondre aux enjeux d’innovation, d’agilité, de flexibilité sans les dispositifs managériaux, collaboratifs et technologiques qui feront que l’entreprise est en mesure de tenir la promesse faite au marché n’est pas un challenge mais un rêve. A minima, un framework d’évaluation de la maturité digitale devrait prendre en compte les dimensions collaboration et process.
Il n’y a pas de maturité numérique sans management et process adéquats
Quant à ce qui est de la présence en ligne elle gagnerait à être complétée par la relation client. Voire l’expérience client. Etre présents c’est occuper l’espace, construire une relation client efficace c’est agir et se transformer réellement. Réussir l’un ne permet en rien de tenir l’autre pour acquis. La question de la relation/expérience client permettrait, de plus, de voir si le lien est fait entre digital et physique, preuve s’il en est de la maturité numérique d’une entreprise.
C’est peut être là l’explication du fait qu’on puisse avoir d’excellents résultats en présence en ligne et de faibles résultats en culture : pour avoir une bonne présence il suffit de quelques personnes avec une bonne culture, un ADN numérique. Pour construire une relation et une expérience client dignes de ce nom il faut une culture collective, largement répandue et un vrai socle de valeurs partagées. Il semble qu’on y soit bien loin.
Donc je récapitule. Présence en ligne, relation et expérience client, maitrise technologique, culture, ouverture sur l’écosystème, management, collaboration et process. Manque-t-il quelque chose ? Certainement quelque chose de relatif aux données, pas sur la dimension maitrise technologique mais sur la maitrise des « sciences de la donnée » et la capacité à l’implémenter dans les processus décisionnels.
Maturité et performance numérique sont deux choses différentes
Dernier point qu’il conviendrait de creuser pour un tel instrument de mesure. On parle de maturité numérique mais le fait d’être champion s’apprécie-t-il en fonction de la maturité ou de la performance. La seconde demande la première mais la première ne permet pas de présumer de la seconde. Dans la liste que je propose il y aurait certainement matière à distinguer deux niveaux : les éléments de maturité et de performance numérique.
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