Comment, au travers d’un seul dispositif, gamifier le travail, renforcer l’engagement des collaborateurs, favoriser l’acquisition de nouvelles connaissances et doper son marketing RH ? On parle ici d’enjeux de productivité, d’engagement et de marque employeur auxquels les entreprises tentent de s’attaquer de manière parfois désordonnée et, finalement, on voit bien que peu ont encore réussi à mettre en place un dispositif intégré et unifié.
A la fin mon entretien avec Manuel Diaz sur l’importance de l’expérience dans les modèles digitaux je l’ai interrogé sur un sujet qui m’intriguais depuis longtemps. Je vois fréquemment passer des tweets ou des posts Facebook de ses équipes à propos de badges et de rewards et me demandais à quoi cela correspondait. Et Manuel Diaz de se lancer dans un long discours sur la manière dont il traite les sujets d’engagement et de marketing RH chez Emakina.
Bertrand Duperrin : Je vois souvent sur Twitter des messages de collaborateurs de ton entreprise signalant qu’ils avaient gagné tel ou tel badge sur une plateforme nommée Hero…avec un lien qui m’amène sur le site de recrutement de Emakina. A quoi cela correspond il ?
Manuel Diaz : Chez Emakina nous considérons que la connaissance et l’apprentissage sont un travail permanent. Dans un monde où la connaissance est disponible en quantité et de manière immédiate, ce qu’on sait a une valeur finalement limité par rapport à qui on est, comment on mobilise la connaissance et pourquoi.
On s’est posé la question de savoir comment stimuler de manière ludique l’auto-apprentissage, le contrôle de connaissance, comment rendre agréable le fait de challenger ses connaissances. Au final on a mixé la notion d’intranet, de knowledge management et de gamification. Pour le grand public la gamification est souvent incarnée par Foursquare, ses badges, le fait de devenir « mayor » d’un lieux, mais elle peut avoir des applications très pratiques en entreprise.
Quand on mélange toutes ces notions on arrive donc à quelque chose d’assez entrainant pour les collaborateurs qui peuvent se challenger ou se lancer des défis.
B.D. : Alors comment cela fonctionne concrètement dans le quotidien des collaborateurs ?
M.D.: Hero, c’est le nom de notre plateforme, a été entièrement inventé, créé, développé en interne. Brice [NDLR : Le Blevenec, Co-CEO de Emakina Group] en a été l’inspirateur. C’est notre entité France qui a servi de pilote pour cette plateforme. Et Hero est le cœur de notre intranet.
Quand tu travailles chez Emakina, le portail d’accueil qui regroupe toutes les fonctionnalités essentielles pour la vie et l’expérience du collaborateur (notes de frais, congés, welcome packs pour les nouveaux arrivants, annuaire d’entreprise, autres outils de travail) est intégré à Hero. Donc au milieu de toutes ces choses dont le collaborateur a besoin au quotidien tu as une plateforme de « knowledge and gamification management ».
Quand tu arrives chez Emakina la plateforme te dis « tu es nouveau, tu es ‘cheerleader' »…et tu vas pouvoir challenger tes compétences pour monter en grade. Tu as des quizz personnalisés en fonction de ton profil métier, car un intégrateur, un développeur, un graphiste ou un consultant n’ont pas les mêmes besoins. Tu peux spontanément aller passer ces quizz et voir où tu en es. Bien sur, quand tu réponds correctement tu débloques des badges.
Mais le manager de ton équipe peut également t’assigner des quizz ! A la fin on voit qui les a passé ou non, quels sont les résultats etc.
Au fur et à mesure que tu débloques des badges tu peux les partager sur les réseaux sociaux comme Twitter, Facebook etc.
B.D. : Ca devient donc un outil de recrutement et de marque employeur…
M.D.: Exactement ! Les collaborateurs partagent leurs badges avec leurs proches, leurs amis, leurs communautés et quand tu cliques sur le lien qui va avec le badge tu arrives sur notre plateforme de recrutement qui dit « Nous cherchons nos futurs héros ! Si vous êtes un héros du digital, rejoignez nous! ».
B.D. : J’ai toujours été un peu sceptique par rapport à la gamification car elle peut détourner les gens de leur travail, de leurs objectifs…Quels est la pertinence des résultats en interne ?
M.D.: Il n’y a pas de surprise. On a une corrélation forte entre les quizz, les badges et le niveau d’expertise constaté d’un collaborateur.
B.D. : Tu ne regardes que les connaissances ou les badges peuvent être liés à de la production ou du livrable ?
M.D.: Il y a également des badges contextuels. Ton manager peut te donner un badge en fonction d’une de tes réalisations. Là c’est plus lié à un quizz : c’est ton manager qui décide que ce que tu as fait mérite reconnaissance. Ca peut être en fonction de tes résultats, parce que tu as été solidaire d’un collègue, parce que tu as fait un effort particulier… Là c’est la bonne surprise : ton badge arrive en dehors de tout quizz !
Et là où c’est le plus intéressant c’est que lors des évaluations semestrielles, le manager va pouvoir, lorsqu’il remplit la scorecard du collaborateur, objectiver son scoring en fonction de badges. Ainsi on évite les notes à la tête du client et des initiatives que le manager n’aurait peut être pas vues, des efforts pas nécessairement visibles sont portés à sa connaissance.
Cela crée de consensus sur le scoring. Tu ne peux pas dire à un collaborateur qu’il n’est pas impliqué s’il a passé tous ses quizz, s’il a obtenu des badges d’engagement, si ses collègues ont proposé qu’on lui remette des badges à titre spécial pour ses efforts et son aide envers eux.
B.D. : Un outil contre le biais cognitif du manager qui au moment de l’évaluation peut ne pas tout avoir vu ou ne pas vouloir tout voir car il a sa propre idée de son collaborateur donc… Et en termes de recrutement ? Tu as mesuré l’impact ?
M.D.: On a toujours été obsédés par la cooptation dans le recrutement. Le meilleur des recrutements c’est quand un collaborateur épanoui dans l’entreprise, dont on connait les valeurs, recommande une personne de son réseau.
Aujourd’hui 20% des candidatures que nous recevons ont une origine virale, souvent par le partage des badges mais il y a plus important. Ces 20% sont ultra qualifiés ! Ils correspondent souvent mieux aux postes à pourvoir que les candidatures plus « traditionnelles ».
B.D. : Dans notre interview précédente on parlait d’expérience client, là on serait dans l’expérience employé ?
M.D.: Exactement !
B.D. : Hero est donc une plateforme interne, développée par Emakina pour Emakina. Tu n’as jamais pensé à en faire un produit et à le commercialiser ? Aucun de tes clients ne t’as encore dit « mais je veux ce truc ? »
M.D.: On l’a pensé comme un produit car c’était le meilleur moyen de le livrer bien et vite et, d’ailleurs, mes équipes ont fait un super boulot à cette occasion. La première version est sortie en moins de 10 semaines ! C’est codé dans un framework, ultra standardisé, pas du coding en mode « bricolage » pour voir ce que ça donne donc ce serait possible si on m’en faisait la demande.
On sort d’ailleurs des releases régulières avec de nouvelles fonctionnalités. Là on vient d’intégrer Passbook pour que les collaborateurs aient leurs cartes de récompenses dans leur téléphone et voient où ils en sont dans leur progression. Demain le QR code des cartes te permettra peut être d’avoir des cafés gratuits dans les bureaux…qui sait.
[NDRL : pour les spécialistes la gamification des processus de développement personnels est le prochain enjeu de la gamification des technologies RH]