Qu’est ce qui ne va pas avec la collaboration sociale ?

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Quoi qu’on on dise il y a quelque chose qui cloche au niveau de la collaboration sociale. Les projets se multiplient, ils réussissent de plus en plus mais il plane comme un air d’éternelle insatisfaction. Ca pourrait aller mieux, ça pourrait aller plus vite, on manque de résultats concrets, le sujet n’est plus à la mode donc c’est que ça ne marche pas… Essayons de comprendre ce qui se passe.

La collaboration sociale n’est fait voler la vedette par le marketing au royaume du digital

Depuis des décennies la collaboration et l’efficacité collective ont été des sujets majeurs et sérieux. On a beaucoup théorisé et philosophé sur le sujet et à juste titre : l’enjeu est de premier ordre pour l’entreprise. Et c’est logiquement qu’à chaque révolution technologique on a essayé avant tout de se servir du progrès pour améliorer la collaboration. Email, Workspaces, Knowledge Management, forums, réseaux sociaux…et j’en passe. Mais alors qu’on est passé de l’informatique « près web » à l’entreprise webisée, puis à l’entreprise 2.0 puis au social business pour en finir avec l’entreprise digitale, le collaboratif n’a cessé de voir sa pré-éminence décliner face à la relation client. Si l’entreprise 2.0 était collaborative, l’entreprise digitale sera ancrée dans l’expérience et la relation client. Le collaboratif suivra.

Pour autant cela ne veut pas dire que la collaboration est devenue un sujet mineur, tout au contraire. Elle a simplement trouvé plus important qu’elle. Plus important mais pas seulement :

– plus impactant : alors qu’on peine à prouver le ROI du collaboratif, celui de l’acquisition et de la rétention du client, de sa connaissance, sont eux bien connus.

– plus rémunérateur : ce qui touche au client fait rentrer de l’argent, ce qui touche à la collaboration est une dépense (enfin…dans une vision à court terme).

– mieux armé : au moment des arbitrages digitaux aller vendre un projet collaboratif face à un projet orienté relation client c’est, d’un poids de vue budgétaire, essayer d’aller envahir les Etats-Unis avec la marine du Luxembourg

– plus visible : inutile d’expliquer pourquoi

– moins conservateur : les uns ont pour mission de créer des opportunités, les autres de gérer les risques. Demandez vous quel coté est plus ouvert à l’innovation et à la prise de risque.

L’illusion technologique tue le collaboratif

Ca n’est pas nouveau mais ça dure depuis tellement longtemps que ça va commencer à être douloureux. Tout le monde a beau savoir que c’est une affaire de culture, de management, de process, rien n’y fait. On veut toujours croire qu’une technologie permettra en appuyant sur un bouton de transformer les Hommes, les attitudes, les postures, les relations hiérarchiques et collaboratives. En matière de collaboration cela fait 20 ans que la technologie déçoit et que malgré des rebrandings incessants et un peu de digitalisation l’état de la réflexion n’a pas ou peu évolué depuis Drucker. Qu’en conclure : l’état des lieux est connu, le chemin tout autant, maintenant il faut entreprendre les changements nécessaires. Et la meilleure technologie du monde n’y changera rien si on ne veut pas se salir un peu les mains et se mettre en danger. Et tant que ces changements là n’auront pas eu lieu, la technologie apportera des gains faible, voire sera peu utilisée par manque de sens. Ca n’est pas la fauted de la technology mais des gens.

Souvenons nous du remplacement de la vapeur par l’électricité dans les usines. Pendant 10 ou 20 ans elle n’a pas entrainé de gain significatif car les usines et les chaines de production sont restées les mêmes, conçues pour être organisées autour de l’énergie vapeur. Les machines étaient disposées non pas en fonction du flux de production mais en fonction de leur besoin en énergie : la transmission étant mécanique il fallait que celles qui consomment le plus soient le plus près du générateur. Ca n’est qu’après de longues années qu’on a changé l’organisation des usines en fonction de l’électricité et qu’on a fini par enregistrer des gains de productivité.

Il en va de même pour le collaboratif : une technologie hautement collaborative plaquée sur une organisation et des process qui ne le sont pas n’apporte pas grand chose. Et ça n’est ni la faute de la technologie ni celle des collaborateurs. Tant que l’entreprise ne change pas, la collaboration sociale et les réseaux sociaux d’entreprise n’apportent pas grand chose aux collaborateurs.

Le temps de l’entreprise n’est pas le temps du web

On a également voulu aller trop vite. On déploie en janvier et on a un feu d’artifice en mars. L’expérience prouve que cela prend des années et que les entreprises qui vont le plus vite s’appuient – parfois sans le savoir – sur un terreau fertile, sur une culture adaptée. Pour les autre cela prendra 5 ans, 10 ans, 20 ans. Des attentes trop hautes sont sources de déception, mais cela ne veut pas dire que cela ne fonctionne pas. Cela veut juste dire qu’il faut du temps et que l’homme sera toujours le facteur lent du changement, surtout quand ce changement doit être synchrone et collectif.

Je garde toujours en tête cette phrase que m’a souvent soufflée l’ami Jon Husband :

« Il faut du temps pour que les choses se passent rapidement ».

Il est important que les entreprises prennent davantage en compte le paramètre « temps » dans leurs efforts et restent raisonnables de ce coté.

Les employés livrés à eux-mêmes dans le collaboratif

« Je vous demande de mieux collaborer et de partager davantage ». Même si ça n’est jamais dit ainsi, l’entreprise n’est jamais loin de ce genre d’exhortation. Mais vu collaborateur l’effet est catastrophique. Collaborer ? Pourquoi ? Quand ? Comment ? Collaborer pour collaborer et partager pour partager n’ont pas de sens en dehors d’une application claire et précise à leurs activités quotidiennes. Et c’est là que le bât blesse le plus souvent : on ne descend pas assez profond en termes de granularité, chose d’autant plus difficile qu’on n’a pas vraiment envie de changer les process et routines de manière « officielle », on préfère attendre que cela se passe tout seul.

Comme le notait Dion Hinchcliffe :

Ironiquement, sachant que les collaborateurs sont souvent le plus gros investissement de l’entreprise, les investissements réalisés sur les outils de collaboration restent aussi irréguliers, les entreprises dépensant des millions dans la gestion de document et la communication unifiée pendant qu’ils ne dépensent que de manière limitée dans le partage de fichier ou les réseaux sociaux d’entreprises. Encore plus provocant, la collaboration est souvent considérée sous l’angle du « débrouillez vous », avec peu de planification et de formation sur les meilleures manière de collaborer ou sur les technologues elles-mêmes.

La collaboration a besoin d’un but

Je parlais de la prise de pouvoir de la relation client tout à l’heure. Mais collaboration interne et relation client sont les deux facettes d’une même pièce. La collaboration est d’autant plus simple à mettre en place et mobilise davantage dirigeants, managers et employés que son impact est visible. Quel meilleur impact que celui sur le client, le résultat, les opérations ? Mais pour cela il faudrait que les projets à vocation interne et externe soient menés conjointement et en cohérence, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Lorsqu’on mène un projet de collaboration sociale indépendamment des projets en lien avec le client il échoue souvent. Et lorsqu’on mène un projet orienté client…on oublie totalement le collaborateur et les équipes qui, pourtant, doivent être mis en capacité de délivrer cette promesse nouvelle.

Le facteur humain et ses contradictions

La force de l’entreprise c’est ses hommes, et c’est pour cela qu’il importe d’améliorer les dynamiques collectives. Mais , comme on l’a vu, les individus, facteurs de variabilité, d’inconstance, de complications, sont également le pire frein aux dynamiques collaboratives. De là à ranger le sujet du collaboratif dans un tiroir en se disant que d’ici peu des robot logiciels, des agents intelligents pallieront aux limites, au manque d’engagement voire à la mauvaise volonté des collaborateurs il n’y a qu’un pas…que je ne franchira pas, ou pas encore.

On entend déjà çà et là que puisque, quoi qu’on demande, les individus ne veulent pas partager l’information, les machines se chargeront de le faire à leur place. A partir du moment où une information est présente sous format numérique quelque part un système peut être autorisé à s’en emparer et la traiter ou la redistribuer peu importe que son propriétaire veuille la garder pour lui ou pas. De manière générale on sait qu’une grande partie de l’activité qu’on aimerait plus collaborative de recherche d’information, de discovery et de préparation à la prise de décision sera bientôt gérée à 90% par des machines, que ces mêmes machines vont faciliter les réunions entre décideurs. De là à ce qu’on se laisse prendre au rêve d’une collaboration gérée par des machines pour rendre les humains plus efficaces… Une idée stupide ? Visiblement les humains sont plus heureux de travailler avec des robots et recevoir des ordres d’eux que de le faire avec leurs homologues.

Hypothèses à prendre avec des pincettes mais je ne doute pas que certains prospectivistes soient déjà en train de se demander si la collaboration entre humains est vraiment le Graal attendu et si il n’y a pas mieux à faire.

La politique cède toujours face à l’économique

L’humain parlons en. La complexité des changements internes engendrée remet tant de chose en causes qu’elle génère des craintes, des peurs liés à des pertes de pouvoir, de statut, des remises en causes individuelles. Ce qui faisait dire récemment à un de mes interlocuteurs « en matière de collaboration on a tout théorisé depuis 50 ans mais on a rien fait….le discours reste le même, la technologie change mais dans les faits ça n’a bougé que marginalement ». Est-ce suffisant pour expliquer que les regards se portent désormais ailleurs ? Car de l' »autre coté » la réinvention de la relation client n’est pas non plus exempte de heurts et de remises en cause.

Réponse de la même personne : « oui mais d’un coté il y a un ROI indémontrable et de l’autre il y a les revenus de l’entreprise. Cela se passe de commentaire. » Les enjeux politiques et les craintes ont cantonné la transformation interne à des joutes théoriques tandis que de l’autre coté l’enjeu a permis la prise de risque et le passage à l’action. Le collaboratif n’est pas moins important, ne fonctionne pas plus mal qu’avant mais y surement perdu en importance relative.

Le problème de la collaboration sociale c’est…nous

Alors, finalement, qu’est ce qui cloche avec la collaboration sociale ? Rien. Le problème n’est pas elle mais nous, notre regard, nos attentes et notre propension à vouloir nous convaincre que la technologie réalisera ce que nous n’avons pas le courage d’entreprendre.

La collaboration sociale fonctionne, à son rythme, et en fonction des nombreuses barrières que nous mettons sur son chemin. On lui a simplement demandé d’aller trop vite, trop haut, trop loin sans nécessairement mettre les moyens et le courage nécessaire en face. Cela fonctionne, parfois bien, parfois moins et cela fonctionnera de mieux en mieux. Mais il faut être prêts à attendre…ou à oser davantage.

Maintenant ne nous voilons pas la face. Alors que le collaboratif a pu bénéficier pendant longtemps d’une sorte de primauté sur beaucoup d’initiatives en entreprise il s’est fait voler la place et n’est plus, dans la transformation digitale qu’une dimension secondaire. Il devra se battre plus qu’avant pour obtenir les moyens, les ressources et l’attention nécessaire. Par manque de résultats propres il est désormais le wagon qu’il faut essayer de raccrocher à une autre locomotive, celle de la relation client. Une locomotive qui – à tort – s’imagine souvent qu’elle n’a pas besoin du wagon collaboratif derrière elle. En attendant les projecteurs sont braqués désormais ailleurs. Pour le meilleur (moins d’attentes, de pression, plus de temps ?) et le pire (perte de crédibilité, moins de moyens, initiative moins prioritaire).

Crédit Image : Fail via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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