On parle beaucoup de l’impact du Big Data sur le décisionnel, ce qui est à mon avis une vision biaisée du sujet. Le Big Data ne vous aidera jamais à prendre de meilleures décisions, les analytics, qui sont son produit oui. On regarde trop le moteur qui n’est finalement pas si neuf – depuis que l’informatique existe on a toujours fait du big data…ce qui a changé c’est la taille du big a un moment donné – alors que le vrai sujet est sur son produit.
Ceci dit je vois bien le reproche que beaucoup commencent à faire à ce recours de plus en plus massif aux données : à force de tout quantifier et rationaliser on en perd la compréhension de ce qui fait la nature même de l’humain. Son irrationalité, son émotivité. Car si on y réfléchit, nos émotions conditionnent un certain nombre de choses : une décision, un acte d’achat, l’impact d’une expérience sur nous, la manière dont on va la valoriser et les conséquences qu’on va en tirer.
Le Big Data est le moteur, les analytics le produit réellement nouveau
Il y a quelques semaines de cela j’assistais tranquillement à IBM Solutions Connect à Paris. Après quelques heures passées dans la salle dédiée au Social Business, à la dimension collaborative de la transformation numérique j’ai été par curiosité me dégourdir les jambes dans la salle dédiée au Big Data. Je ne vais pas vous parler de ce que conférencier présent sur scène à ce moment, Erick Brethenoux, m’a appris sur la manière dont un magasin pouvait utiliser mes données pour me pousser une offre sur mon mobile quand je passe a proximité, de manière à me proposer exactement ce que j’ai envie d’acheter à ce moment précis ni comment cibler les autobilistes qui circulent dans le coin pour leur donner l’irrémédiable envie d’aller acheter un poulet à emporter. Non, ce qui a spécialement attiré mon attention a été un sujet qu’il a brièvement partagé à la fin de son intervention.
Il faisait référence à son intervention lors du dernière événement TED@IBM…dont voilà la vidéo.
Il est donc possible aujourd’hui de quantifier les émotions. Ou, pour être plus précis, de découvrir ce qui conditionne la survenance de telle ou telle émotion et de comprendre l’impact de cette émotion sur une personne. L’objectif étant, bien sur, de recréer les conditions d’une émotion donnée pour une personne donnée afin qu’elle soit dans les meilleures dispositions pour, naturellement, prendre la décision ou faire l’action qu’on attend d’elle.
Les « emotional analytics », futur de la compréhension du contexte ?
Les applications sont nombreuses mais les plus intéressantes ne sont pas nécessairement les plus évidentes. Bien sur on va penser immédiatement au client et au déclenchement de l’acte d’achat…avec tous les débats que de telles pratiques vont susciter. Mais on peut avoir une approche plus qualitative au niveau de l’expérience de marque et de l’expérience client : identifier les leviers qui feront que, justement, en ligne comme hors ligne, le client aura le « ressenti » désiré au travers de l’expérience qui lui est proposée. Si personne ne nie que l’expérience est aujourd’hui au centre des modèles digitaux, le sujet reste encore difficile à appréhender par beaucoup qui le réduisent à quelque chose de qualitatif. Une telle approche pourrait permettre de quantifier, mettre en en équation ou en tout cas « formaliser » la définition d’une expérience. On peut également faire un parallèle avec l’engagement des collaborateurs afin de comprendre et recréer les émotions associées.
Mais des approches moins « mercantiles » sont également envisageables. Dans son intervention, par exemple Erick Brethenoux donne l’exemple de patients adultes qui récupéraient mieux d’une intervention chirurgicale s’ils étaient en salle de réveil avec des plus jeunes. On peut également réfléchir aux conditions émotionnelles d’une formation, d’un apprentissage réussi. Coté RH et management on parle beaucoup de l’importance des « soft rewards » aujourd’hui mais de manière encore très empirique. A quoi réagit une personne donnée, qu’est ce que cela lui procure ?
Il faut également bien différencier ici l’analyse de l’émotion de l’analyse de sentiment qui est, elle, un terrain plus ancien et connu. L’émotion est le déclencheur du sentiment (en tout cas c’est ce que j’en comprend) donc elle permet de remonter un cran plus haut dans le processus de déclenchement d’une action ou de prise d’une décision. De plus le sentiment est- à mon avis – davantage lié à la personne alors que l’émotion est liée à son contexte.
L’étude des émotions n’est pas l’étude des sentiments
Une matière encore à défricher mais qui apporte une contribution intéressante dans le sens de la compréhension des ressorts des individus et de choses qui, si on les percevait (ou croyait les percevoir) restaient mal comprises dans leur fonctionnement logique.
Un dernier point que j’ai particulièrement apprécié dans cette présentation. Erick Brethenoux s’il insiste sur le potentiel des « emotional analytics », nous rappelle aussi ce ces puissantes technologies peuvent être utilisées pour le meilleur..ou pour le pire. La technologie n’est ni bonne ni mauvaise en soi, c’est son usage qui l’est. D’où l’impérieuse nécessité de développer une vraie éthique de la donnée.
Crédit Image : Emotions via Shutterstock