Economie collaborative : ce que ratent les gouvernements

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L’économie collaborative est en train de chambouler un grand nombre de secteurs et les gouvernements sont bien en peine de gérer cette transition.

Inutile de se voiler la face, tous les secteurs économiques sont peu à peu impactés par une transformation profonde de l’économie. Economie digitale pour les uns, économie collaborative pour d’autres, peu importe le nom qu’on donne aux choses, la réalité s’impose avec force. Les nouveaux entrants révolutionnent un marché, les acteurs installés se protègent et, au milieu, les gouvernements essaient de gérer la transition. Mais pour gérer efficacement et productivement les choses, encore faut il comprendre à quoi on fait face, ce qui n’est que rarement le cas. Exemple avec, à l’appui, la gestion du cas Uber et des VTC en France.

Bref rappel historique des faits :

1°) Deux mondes coexistent : celui de la grande masse des particuliers qui n’ont que le taxi comme mode de déplacement hors transport en commun et une petite part de la population qui a accès à des chauffeurs privés et un service plus haut de gamme. La grande masse n’est pas par définition exclue de l’accès à ces services mais elle ne sait pas nécessairement qu’elle peut y avoir recours et encore moins comment y avoir recours.

2°) Uber des autres lancent des places de marché visant à mettre en relation le plus grand nombre et des chauffeurs privés en recherche de clients à un moment donnée.

3°) Attaqués dans ce qu’ils perçoivent comme un quasi monopole les taxis contre attaquent et obtiennent gain de cause au travers d’un projet de loin stupéfiant qui  interdit aux chauffeurs privés  de bénéficier des avantages proposés par Uber et autres (géolocalisation permettant ce qu’on appelle la maraude électronique pour l’essentiel) et, en contrepartie, obligation pour les taxis de proposer à l’avenir ce service (plus quelques autres). Situation paradoxale : on interdit aux véhicules de tourisme avec chauffeur (ou  VTC) de se servir de certaines armes et on impose à leurs concurrents qui ont raté le train de les adopter. Ironiquement, les deux parties sont mécontentes, l’une de perdre une arme de choix, l’autre de devoir l’utiliser. Ironiquement également, la France invente l’assurance contre le manque de vision numérique en permettant à des acteurs nouveaux de transformer un secteur de l’économie puis en les éjectant de ce marché et obligeant leurs concurrents dépassés à utiliser les solutions qu’ils avaient pris le risque d’éprouver à leur place.

4°) Certaines municipalités comme Paris vont plus loin en proposant de créer elles-mêmes des plateformes de géolocalisation au service des taxis, créant de fait la première pierre de nouvelles places de marché.

5°) Conclusion logique tout le monde en tire la conclusion que les taxis ont gagné contre les VTC. Ou contre Uber. Enfin on ne sait pas trop car une chose semble évidente : il y avait une bagarre contre quelque chose ou quelqu’un sans qu’on sache trop qui. Uber/VTC, VTC/Uber, on tapait sur les deux, sur l’un, sans qu’on sache trop si les deux étaient visés ou si beaucoup s’imaginaient qu’il s’agissait de la même chose.

6°) Conclusion personnelle : personne, des taxis ou du gouvernement (voire des observateurs) n’a compris ce qui se passait.

Uber n’est pas une entreprise de transport mais une place de marché

Reprenons point par point.

Un marché quasi monopolistique a été « disrupté » et les anciens bénéficiaires du monopole ont donc tenté de bloquer l’accès au nouvel entrant. Mais quel était il ? Uber ? Les chauffeurs privés  ? Je ne suis pas convaincu que tout le monde visait le même adversaire mais au final c’est le VTC qui a perdu et été sanctionné puisqu’il ne peut plus – en théorie – utiliser certains éléments du service que Uber mettait à se disposition.

Les taxis ont-ils gagné pour autant ? Non. Uber a-t-il perdu pour autant ? Non plus.

Contrairement à une idée encore trop ancrée chez certains, Uber n’est pas un service de VTC. C’est une place de marché, un service d’intermédiation. Le transport par VTC est un « business case », sans plus. Alors on dira que si le VTC ne peut se servir d’Uber, Uber a perdu. Erreur. Faire tomber un utilisateur d’une plateforme (ou une catégorie d’utilisateurs) ne fait pas tomber la  plateforme et, en tout cas, ne remet en rien en cause la disruption qui est en train de se passer sur ce marché.

On peut expliquer la chose d’une manière assez radicale : dans 10 ou 15 ans (ou avant…) les véhicules automatiques, qui se conduisent seuls, à l’exemple de la Google Car auront envahi les rues. Un acteur de plus qui pourra donc se reposer sur une place de marché comme Uber. Rebelote pour les taxis donc, à une différence près. Non seulement ils auront un concurrent nouveau qui pourra utiliser la même place de marché que les VTC par le passé mais, pire encore, je ne doute pas que les compagnies de taxi elles-mêmes penseront à ces voitures sans chauffeur comme alternative aux chauffeurs.

En attendant d’autres acteurs pourront se servir de Uber pour développer leur business. Et pourquoi pas des taxis par exemple, qui pourraient ainsi s’affranchir du joug des compagnies et centrales et ainsi ne plus avoir à choisir entre l’indépendance et l’appartenance à un réseau. On pourrait également utiliser la même plateforme pour faire du covoiturage.

Dans l’économie du partage la plateforme gagne toujours

En fait Uber, ceux qui l’ont copié jusqu’à aujourd’hui, ceux qui le concurrenceront voire le dépasseront demain, ne sont pas un service de transport mais une plateforme qui permet la disruption du transport. Peu importe qui transporte, peu importe qui ou quoi est transporté. Et croire qu’on peut protéger le status quo sur un marché en s’en prenant uniquement à la partie visible (les VTC en l’occurrence) c’est montrer qu’on a un train de retard dans la compréhension des nouveaux modèles économiques : ni l’économie de la plateforme ni l’économie du partage ne sont affecté par une loi qui ne fait finalement que repousser l’inéluctable.

Dernière preuve que nos édiles sont pour la plupart à coté du sujet. La Mairie de Paris, par exemple, a décidé développer un service de géolocalisation permettant aux taxis de profiter de la « maraude électronique » désormais interdite aux VTC. Réinventer la  roue avec des fonds publics est un choix…mais Uber pourrait fort bien proposer sa plateforme en marque blanche à toutes les municipalités.

Dans l’économie du partage ou dans l’économie collaborative c’est toujours la plateforme qui gagne à la fin. En attendant que tout le monde s’en rende compte on risque encore de beaucoup gesticuler chez le législateur et dépenser de l’argent public en vain.

 

Crédit Image : Collaborative Economy via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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