Décembre est l’époque des prédictions de tous ordres. Certaines tombent juste, d’autres ont souvent 2 ou 3 ans d’avance et de temps en temps certaines sont totalement hors sujet car entre ce qu’on s’attend à voir et ce qu’on aimerait voir on peut avoir tendance à s’emballer un peu. L’exercice reste cependant intéressant car il permet de faire le point sur l’état de l’art et, sans prétendre détenir la vérité absolue, de proposer une ligne directrice crédible à moyen terme.
Les tendances de l’entreprise digitale en 2015 ? C’est parti !
Le digital est le nouveau social « social » mais pour des résultats inégaux
On a eu l’époque « 2.0 », puis l’ère « social », 2015 s’inscrit dans la lignée de 2014 et le grand buzzword sera « digital ». Mais est-ce que cela change vraiment quelque chose ou s’agit il d’un énième rebranding destiné à faire oublier un échec relatif ? Conceptuellement parlant cela montre une évolution de la compréhension du sujet. On quitte le « micro » (les technologies et leur utilisation) pour passer au « macro » (les business models et l’organisation). Le digital est plus qu’une technologie, il est une manière de penser, de faire, peu importe que la technologie soit impliquée ou pas. Alors oui, de ce coté, cela change les choses.
D’un autre coté je ne m’attend pas à ce que cela change les choses uniformément. Coté « digital client » il est clair qu’on passe sur des modèles relationnels nouveaux, que l’usage et l’expérience priment sur la technologie. Coté « digital employé » je pense qu’on va encore rester longtemps sur des approches techno-centrées et qu’on va continuer à faire adopter la technologie dans un modèle d’entreprise qui n’est pas fait pour elle en continuant à espérer que l’usage entraine une transformation profonde sans remise en cause du modèle managérial. Echec assuré. Le « digital interne » a clairement une longueur de retard sur l’externe et c’est parti pour durer.
L’ère de la participation passive, le déclin du collaboratif
On est déjà dedans sans le savoir mais ça va se renforcer d’année en année. Jusqu’à présent tout reposait sur l’équation web = social = ce que les gens font ensemble. Le digital c’est faire des choses pour les gens sans pour autant qu’ils aient à participer. Chacune de nos actions qu’elle soit en ligne ou dans le monde physique contribue désormais à une forme d’intelligence digitale qui sert à construire et apporter des services et des solutions, qu’on le fasse a dessein ou non.
Contrepartie de ces modèles plus « intelligents » ? Le déclin du collaboratif. Si on arrive à faire autant, voire mieux, avec les traces que nous laissons chaque jour qu’en tentant de faire collaborer les gens (ce qui échoue quasi systématiquement depuis 50 ans, peu importe la technologie) il va se passer un mouvement d’ampleur et le collaboratif risque de n’être plus qu’une tendance comme une autre du digital alors qu’il a été un pilier de la culture web depuis ses origines. Mais comme le digital s’émancipe du web, on va se focaliser sur l’innovation, l’expérience, la « découverte » (faute de mot français approprié pour discovery) en se rendant compte que la collaboration n’est plus le seul moyen d’y parvenir.
La prise de pouvoir de la DSI et du Marketing
Conséquence de ce que je disais un peu plus haut, DSI et Marketing vont renforcer leur leadership sur la question du digital, ne laissant que des miettes aux autres. Quant à savoir qui l’emportera…cela dépendra des entreprises. Rien de neuf sauf qu’avec le temps, le risque que l’inaction des autres se voient et qu’on commence à leur demander des comptes va devenir de plus en plus réel. A commencer par les RH.
Je ne dis pas que cette situation est souhaitable mais elle est réelle. Et je ne vois aucun signal me permettant de prédire son inversion.
Le tour de table digital reste incomplet
Le digital c’est donc un projet transverse, tout le monde en a conscience. Un projet d’entreprise. Soit. Mais comme je le disais précédemment il manque du monde autour de la table et je ne vois malheureusement pas la tendance s’inverser à court terme ce qui risque d’avoir un prix à moyen terme. Le digital notamment pencher du coté du marketing au niveau de l’entreprise mais sa composante interne restera souvent une guerre de clochers : « moi j’ai la transfo digitale », « ah oui mais moi j’ai les programmes de leadership », « et moi j’ai l’intranet », « heu….et moi la communication interne ». « Et qu’en dit le CEO ? « . « Rien, il s’en moque tant que le marketing ramène des clients ». Cela ne peut fonctionner ainsi. Certains attelages fonctionnent ainsi depuis des années mais dans certaines entreprises 2015 commencera à être l’année de la rupture. Les autres attendront 2016.
Les entreprises qui avanceront le mieux et le plus vite seront celles qui auront réussi à mettre tout le monde autour de la table, autour d’un projet commun dont chacun est dépositaire d’une partie qu’un ne peut mener à terme sans et surtout pas contre les autres. Les entreprises qui avanceront le mieux dans le digital en 2015 seront celles qui sont digitales par leur état d’esprit, leurs procédés et leur collaboration…au sommet de l’entreprise.
Le chief digital officer : une tendance forte mais provisoire
Pour régler la question des guerres de clocher, certaines entreprises instaurent un Chief Digital Officer. C’est soit le vainqueur de la guerre DSI/Marketing soit une tierce personne venue régler le débat une fois pour toutes. Comme en 2014 les CDOs vont être à la mode en 2015 mais je pense que ça sera leur apogée. La transformation digitale c’est l’affaire de tous et en entreprise comme au gouvernement le meilleur moyen d’enterrer un dossier c’est de nommer un secrétaire d’état ou une commission adhoc. A terme le digital va redevenir une compétence distribuée (ce qui n’empêche pas qu’elle ait un leader) car en créant une direction adhoc on prend le risque de ne récréer qu’un silo de plus et d’ajouter un participant aux guerres de chapelles existantes.
Certaines entreprises n’ont pas de chief digital officer mais, par contre, un chief tranformation officer. Je pense que cela va s’imposer à terme.
La stagnation des réseaux sociaux d’entreprise
Il y a un problème avec le collaboratif et les réseaux sociaux d’entreprise et il n’est pas prêt de s’arranger. La proposition de valeur est claire et ne fait pas de doute mais la mise en œuvre commence à devenir inquiétante. La force d’un réseau social d’entreprise c’est de croiser la dimension sociale et la dimension business…ce qui est rarement le cas. Le virage de l’outil métier socialisé est pour l’instant raté, c’est donc au collaborateur de faire le lien entre les deux dimensions, ce qui pose un vrai problème. Pourquoi ce virage a-t-il été raté ? Soit on a des outils métiers socialisés et on rompt l’unité de l’espace social, soit on a un RSE intégré avec les outils métiers et le chantier fait peur. En attendant on navigue dans une zone grise pas nécessairement productive et les entreprises se posent des questions.
Vu le temps nécessaire au changement interne (et le peu d’entrain par rapport aux initiatives profonde et structurantes auxquelles on préfère les approches de façade) on peut s’attendre à un certain attentisme sur le sujet à l’avenir.
D’autant plus que se pose la question du business model des RSE. Comme je l’ai écrit (et on en reparlera d’ici peu) la valeur intrinsèque du RSE est faible si on ne lui ajoute pas soit des connections avec les outils métier soit de l' »intelligence machine« . La question qui se pose ici est de payer pour la valeur, pas pour la technologie. D’ici à ce que l’attentisme du marché ne cesse qu’avec l’adoption de nouveaux modèles de la part des éditeurs qui feront du RSE une offre de démarrage gratuite renforcée par des options payantes à forte valeur ajoutée… Réfléchissez à qui doit vraiment gagner de l’argent uniquement sur l’activité RSE chez les éditeurs…et vous avez la réponse à la nécessité de changer les choses de ce coté.
Mais la dimension sociale du travail reste, elle un sujet. En 2015 elle va se déplacer vers…le client mail. Mais on en reparlera bientôt.
L’expérience, le nouveau Graal
Je ne vais pas m’étendre sur le sujet car j’ai une série de posts en préparation sur le sujet mais le grand mot de 2015 sera l’expérience. C’est aujourd’hui, à mon sens, le seul moyen de créer une démarche unifiée interne/externe, de réconcilier le soft (les valeurs, les gens, la culture…) et le hard (process et technologies). On en reparle vite.
Les données partout et quand la cognitisation remplace la digitalisation
Le web est user-centric, le digital sera data-centric. Cela revient au même (c’est les hommes qui produisent les données) mais cela va quand même permettre d’adresser, mobiliser et servir le plus grand nombre en s’affranchissant des questions de participation et d’engagement. Plus besoin de participer pour faire tourner la machine.
De manière générale je pense que la « digitalisation » de l’économie et de l’entreprise est une tendance à qui il reste 1 à 2 ans maximum à vivre. La suite sera la « cognitisation ».
Objet connecté cherche service associé
L’explosion de l’internet des objets ne fait aucun doute à terme. Entre temps on va rentrer dans une phase intermédiaire. Les gens ne vont pas acheter des objets connectés pour le plaisir d’avoir des objets connectés mais pour les services associés. Si certains sont simples à envisager dès aujourd’hui il faudra attendre une révolution des business model fondée sur la création d’expériences nouvelles pour donner du sens et de la valeur aux objets. En attendant on restera sur un marché de pionniers encore un an (ce qui ne veut surrout pas dire qu’il est négligeable).
Machines vs pouvoirs publics
Les machines sont et seront de plus en plus partout. Aucune question à se poser sur le sujet. Par contre derrière le positivisme béat qui va avec les transformations en cours on commence à voir poindre les vraies questions liées aux enjeux de société. Un débat qui ne peut qu’enfler dans les mois et les années à venir. S’il ne remettra pas en cause une tendance inévitable, pas même qu’il ne la ralentira, il est nécessaire à l’émergence d’un modèle de société en phase avec ce que nous sommes en train de construire, sinon explosion garantie. Mais sur ce point le logiciel des pouvoirs publics est resté bloqué en 1980 et je ne vois vraiment aucun leader avoir conscience du sujet et encore moins tenir une position crédible.
Le début de la fin du web
Le digital est partout, les mobiles sont partout, data et machines sont au coeur des modèles de demain. Nous sommes en train de construire la fin du web. J’ai bien dit du web, pas de l’internet. La capacité à connecter va rester – en termes d’infrastructure – mais la manière dont on y accède va radicalement changer à tel point qu’on aura plus besoin d’une interface entre l’homme et le réseau, l’intelligence du « système » s’occupant du reste. Une tendance déjà lancée mais qui ne peut que s’accélérer.
Les premiers décrochages
Le propre de l’économie digitale, notamment dans les services, c’est que c’est une économie qui donne tout au leader et ne laisse que des miettes aux poursuivants. Au fur et à mesure que les efforts de certains dans l’évolution digitale de leur business model et de leur organisation vont porter leurs fruits, les retardataires vont commencer à dangereusement décrocher. Je ne parle pas là de retard dans la course au digital mais de vie ou mort. Premières victimes dès 2015 ? Certainement.
L’émergence de l’éthique digitale
Il n’y aura a mon avis pas d’économie digitale sans économie de l’expérience, pas d’économie de l’expérience sans économie de la donnée et pas d’économie de la donnée sans éthique. Et là nous sommes loin du compte.
2015 verra la question de l’éthique commencer à s’imposer comme une question de fonds au fur et à mesure que la population prend conscience de phénomènes déjà à l’œuvre mais dont elle ne percevait pas l’ampleur.. Au niveau économique et social.
Conclusion ? Finalement rien de neuf en 2015. Seulement l’amplification et l’accélération de choses que beaucoup connaissent et perçoivent depuis des mois voire quelques années. La question du web et notamment du web social qui servi d’écran de fumée pendant des années commence à sortir de radars et on voit la profondeur des changements en cours.
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