Après avoir expliqué l’importance de l’expérience dans les business models digitaux et esquissé une ébauche de définition, nous allons essayer ici de déterminer quels sont les caractéristiques, les critères selon lesquels évaluer une expérience. Partant du principe qu’on ne gère bien que ce qu’on peut mesurer, il est important d’avoir quelques grands axes, des points de repères permettant de dire « a-t-on traité ce point » et « où en est on ».
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer par ailleurs, je ne traite pas de l’expérience client de manière spécifique car, de mon point de vue, il s’agit d’un concept beaucoup plus global. Créer une stratégie, un modèle fondé sur l’expérience et ne traiter que la dimension client revient à désaligner l’entreprise par rapport à stratégie et ça n’est pas bon.
De la même manière je ne me focaliserai pas sur l’expérience digitale. Si le digital a remis l’expérience au cœur du débat, l’expérience ne doit pas être que digitale au risque d’être perçue comme incomplète, incohérente et au final déceptive.
Vous trouverez sur internet une foule de billets sur le sujet. Celui-ci ne reflète que l’état actuel de mes propres réflexions, vous aurez donc certainement à gagner à picorer à droite et à gauche pour élaborer votre propre grille.
Les critères qui permettent d’évaluer, piloter, construire une expérience sont donc…
La non discrimination entre les canaux et les points de contacts et entre les gens
L’expérience doit être la même selon qu’on soit en ligne ou en « physique », qu’on s’adresse à un salarié de l’entreprise ou à un partenaire ou un sous traitant a qui on a confié des tâches front office.
Les contre exemples sont nombreux. Pour une compagnie aérienne ou ferroviaire on ne peut pas donner une excellent expérience en ligne et être compliqués et détestables à bord. Un site marchand ne peut proposer une expérience d’achat personnalisée en ligne et traiter le même client comme un quidam dans un magasin. Un salarié ne peut, selon qu’il s’adresse à une personne du département RH ou passe par un formulaire de l’intranet, faire face à deux process différents.
Il ne doit pas non plus y avoir de discrimination selon les sujets. Si vos clients ont droit à leur expérience, vos collaborateurs doivent vivre la même dans le cadre de leur travail.
L’authenticité
L’expérience c’est la confrontation entre la promesse et la réalité. La promesse dépend de l’ambition, de la culture, de l’histoire, de l’ADN, du projet d’entreprise etc. Bref il ne sert à rien de copier les éléments constitutifs de l’experience d’une autre entreprise, même pas si elle est de votre secteur et pas même s’il s’agit de votre plus grand concurrent. Cela semblera inopportun, vos collaborateurs auront l’air empruntés, le sens sera aux abonnés absents. Il importe de se demander qui on est et comment véhiculer son identité, ses valeurs et son ambition au travers de l’expérience.
Votre expérience c’est vous, prendre celle d’un autre c’est comme mettre des guêtres à un lapin.
Exemple : lorsque le patron de Mercedes USA dit que son expérience est sa marque et que l’expérience client suit l’expérience employé. Je n’ai pas réfléchi sur ce que peut être une « expérience Mercedes » mais une chose est sure : s’il adopte une expérience de constructeur low cost le système sa s’effondrer, s’il copie son plus gros concurrent il va se retrouver avec un problème de positionnement et d’identité.
La cohérence et la continuité tout au long long des cycles de vie
Toute partie prenante, salarié, client, partenaire, a un cycle de vie dans la relation avec l’entreprise. Il démarre moment où on se découvre, se poursuit en faisant connaissance, en se rapprochant, en discutant, en concluant un contrat tacite ou explicite et en l’exécutant. Il inclut d’ailleurs, le cas échéant la rupture et l’après rupture.
Combien de collaborateurs ont eu une excellente « expérience candidat » pour vivre un enfer une fois recruté ? Combien de clients ont été séduits par une approche commerciale et déçus par l’exécution ? A l’inverse je connais des entreprises qui éprouvent les pires difficultés à communiquer et vendre, proposent une expérience « amont » médiocre alors qu’une fois passé dans le « delivery » elles excellent. Mais peu on l’occasion de s’en rendre compte…
L’individualisation
L’expérience ça n’est pas que ce qu’on fait vivre au client ou au collaborateur : c’est la rencontre de ce qu’on projette et de ce qu’ils veulent recevoir. Qu’on parle de marketing, de marketing RH ou de relations interpersonnelles basiques on est à l’heure des « markets of one ». Un client n’est plus défini par sa profession, ses revenus, son sexe et le collaborateur par son niveau hiérarchique et son appartenance à un département. L’expérience ne se construit pas en fonction du plus petit dénominateur commun qui existe au sein d’un groupe, d’un segment, mais au contraire de la singularité de l’individu, la différence entre ce qu’il est est le plus petit dénominateur commun qu’il partage avec les autres.
Côté client c’est comprendre le besoin et l’historique du client à un moment donné. Coté interne c’est comprendre le contexte professionnel (passé, tâches actuelles, besoins immédiats en termes d’exécution et de développement personnel etc) et personnel (contexte familial, projet de vie à long terme, leviers d’engagement) de l’individu.
Opérationnalité
L’expérience ça n’est pas qu’une posture, être gentil, ouvert, agréable. Ca n’est pas une surcouche destinée à rendre acceptable voire agréable un système qui ne l’est pas et qui est – à la limite – destructeur d’expérience. D’ailleurs comment fournir une expérience digne de ce nom si on en a pas les moyens et si on ne la vit pas soi même dans le cadre du travail ?
L’expérience n’est donc pas une mesure corrective qu’on met en place en bout de chaine pour adoucir l’existant mais le résultat d’un dispositif intégrant des processus, des compétences, des modes d’évaluation adhoc etc. Ca n’est pas que la manière dont on est perçu c’est la manière dont on travaille.
Symétrie et équilibre
Une fois de plus je le répète : il n’y a pas d’expérience client sans expérience employé. Et l’équilibre des deux est importante. Investir dans une expérience client de haut niveau et délaisser les employés est un facteur de désengagement, de démotivation et de perte de productivité pour ces derniers. A l’inverse, une expérience employée de haut niveau (ou perçue comme telle par le client) qui ne débouche pas sur une une expérience client du même niveau entraine un rejet de la part du client qui se sent méprisé et devient critique contre des salariés « divas », « trop gâtés » etc.
Nature Servicielle
L’expérience doit procurer un service, pas être un jeu à somme nulle à un point de contact quelconque. Cela peut sembler évident mais que ce soit pour un client ou un collaborateur, combien d’interactions tout au long de leur cycle de vie sont vécues comme des contraintes et non comme un service ? Un modèle de management de la relation client ou de la relation employé fondé sur l’expérience doit avoir dans ses premiers objectifs de transformer des choses vécues comme des contraintes en services et opportunités perçues. Si ça n’est pas possible il faut alors trouver un moyen de les supprimer. Souvenez vous de cette citation de Peter Drucker :
L’essentiel ce que l’on appelle le management consiste à rendre le travail des gens difficile à accomplir
C’est valable quelle que soit la catégorie de personnes, clients, partenaires, collaborateurs que l’on manage.
Autre dimension : la servicisation des objets. On a tendance à toujours traiter de manière différenciée les produits et les services. Aujourd’hui un objet doit devenir un prétexte à un service ou même incorporer le service (objets connectés par exemple).
Cognitivité
La dimension cognitive de l’expérience est double.
Elle doit donner l’occasion de connaitre et de comprendre. Connaitre et comprendre la marque, l’entreprise, l’employeur, le collègue. C’est essentiel à la construction et au renforcement d’une relation qu’elle soit de marque, commerciale, de travail. C’est un élément facilitateur pour résoudre des problèmes futurs : comprendre l’autre, le pourquoi des choses favorise la résilience voire l’anticipation des incidents.
Elle doit aussi être « reconnaissable ». Une expérience que l’on ne perçoit pas – même bonne – n’est pas valorisée et n’apporte rien à personne. Ni envie de dire bravo, ni envie de dire merci, aucun accroissement de l’engagement ou de la motivation. Comme je le lisais il y a des années dans le journal, venant d’un responsable service client « le client valorise davantage un service lorsqu’il y a eu un problème qui a été résolu que lorsque tout s’est déroulé sans problème ».
Je connais des entreprises dont le service informatique fait des miracles pour leurs utilisateurs, d’autres où les RH sont au petit soin et où le « well being » est impressionnant, d’autres qui proposent à leur client un produit « techniquement » supérieur à la concurrence (si l’on regarde les chiffres). Et pourtant personne ne le perçoit et, paradoxalement, ils sont même largement critiqués par les intéressés. Si vous délivrez une expérience de haut niveau mais que personne ne s’en rend compte ou qu’on s’en rend compte mais qu’on ne vous l’attribue pas, le bénéfice peut être réel pour les autres mais ne sera pas partagé par l’entreprise à qui on le doit. Dommage.
Et vous ? Vous voyez d’autres points ?
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