J’ai livré il y a peu ma vision des tendances 2015 en matière de collaboratif. Je voudrais compléter mes propos par cette excellente analyse faite par Alan Lepofsky de Constellation Research. Pas mal de directions communes mais j’aime assez la manière dont il les organise et les présente.
En résumé :
Pas plus d’outils mais des outils qui font plus
Le paysage est déjà encombré par une foule d’outils qui font tous pleins de choses ou quelque chose de spécifique, qui se recouvrent ou pas. Nous n’avons pas besoin de plus d’outils mais d’outils plus efficaces, plus intégrés, plus simple, plus cohérents entre eux. Il faut que l’ensemble des outils dont nous disposons se complètent et s’articulent mieux pour, simplement, nous aider à faire notre travail.
Mon avis : à l’heure où Facebook se lance sur le marché déjà encombré du réseau social d’entreprise je dis en effet « STOP ! ». Le problème n’est pas la qualité intrinsèque de telle ou telle solution, ce qu’elles nous permettent de faire ou non, mais la manière dont elles nous permettent de le faire ensemble, en étant cohérentes les unes avec les autres. Une expérience cohérente et transverse sur le poste de travail. Et ne pas perdre de vue l’objectif qui n’est pas de collaborer mais faire son travail. Sur ce point je suis un adepte inconditionnel du concept de « purposeful collaboration » maintes fois présenté et défendu par Alan Lepofsky. La collaboration doit partir des outils « cœur de métier » et pas d’outils tiers qui divisent le travail en silos.
Se concentrer sur ce qui compte
On est à l’intersection de la collaboration et des analytics. Contrairement aux promesses des éditeurs les différentes générations et types d’outils collaboratifs ne nous ont pas rendus plus productifs. Les analytics vont nous aider à comprendre la manière dont fonctionne notre environnement, ce qui se passe, ce qui compte. Ce qu’il faut prioriser et ce qu’il faut ignorer, toujours dans perspective de faire son travail.
Mon avis : comme j’ai pu le dire à maintes reprises ces derniers temps la collaboration n’est pas le premier besoin dans la pyramide de Maslow du collaborateur qui doit d’abord refaire surface, respirer, et reprendre le contrôle de son environnement informationnel. Tant que les collaborateurs seront perdus dans leurs flux et stocks d’information il n’est nul besoin de leur demander de collaborer ou faire quoi que ce soit ensemble de manière coordonnée et intelligente. La priorisation est essentielle car le temps est la seule ressource rare.
L’avènement des outils de collaboration « légers »
On va voir l’émergence d’outils plus légers que ce que nous connaissons, plutôt comme des tchats, largement intégrés avec des fonctionnalités plus traditionnelles de partage de fichier, de VOIP etc.
Mon avis : oui mais non. Ces outils doivent permettre des intégrations nouvelles, des choses plus simples mais ne pas aller contre le point #1 qui est de cesser d’ajouter de nouveaux outils pour mieux faire cohabiter les existants. Sur ce point on peut voir arriver des plateformes nouvelles comme celles des éditeurs cités par Alan Lepofsky mais – à mon avis – également les acteurs traditionnels proposer des approches plus minimalistes à leurs interfaces actuelles. Je reviens sur récent lancement de Facebook at Work : cet outil pourrait rentrer dans cette case à condition de s »intégrer avec l’existant plutôt qu’apporter son propre tchat, son propre partage de fichier etc. Chose qui disqualifie Facebook at Work de mon point de vue. Plus qu’une autre forme de collaboration je vois ici une expérience plus « lean » qui peut passer par les outils actuels si les éditeurs saisissent la tendance assez vite.
L’email reste un outil professionnel critique
En dépit des progrès réalisés en matière de collaboration sociale, 2014 a vu des annonces d’acteurs majeurs comme IBM, Microsoft et Google dans le domaine de l’email. Des produits avec des avancées majeures en termes d’intégration, de présentation de l’information et de gestion de l’information. Ca n’est pas tant la revanche de l’email qu’une tendance lourde et nouvelle : l’intégration poussée de l’email avec tous les autres outils dont nous disposons.
Mon avis : On en revient à mon billet sur les tendances collaboratives en 2015 et je n’ai rien a ajouter.
Des réseaux de niche pour améliorer le contexte
Jusqu’à présent on a beaucoup travaillé sur le partage et la transparence qui nous ont conduit, paradoxalement, une surcharge d’information et de nouveaux silos. En 2015 on va voir des réseaux se former sur des micros sujets, très spécifiques, une tâche ou un problème à résoudre. Les gens vont pouvoir se concentrer sur un sujet spécifique au lieu de naviguer dans un écosystème plus vaste au risque de s’y perdre avant de trouver ce qu’ils cherchent ou avoir une expérience dégradée.
Mon avis : oui mais il reste à voir quelle forme cela peut prendre. Déjà il faut savoir si nous parlons de réseaux en tant que plateformes ou en tant que groupes de personnes. Cela peut aller dans le sens des outils légers évoqués plus haut à condition d’être pleinement intéropérables avec le reste du SI collaboratif ou être le résultat d’une utilisation poussée des analytics pour proposer des environnements centrés sur un sujet. C’est aussi le graal du « social orienté métier » ou « activity specific social software » qui tarde tellement à percer depuis des années qu’on se demande s’il deviendra populaire un jour pour l’utilisateur lambda.
Mobilité
Il ne faut pas voir ici la mobilité comme une technologie mais comme une manière de travailler. C’est la transformation des organisations et des process afin de prendre en compte une foule de choses des GPS aux capteurs inclus dans les outils ou les vêtements.
Mon avis : les objets connectés vont effectivement devenir des acteurs majeurs des process et une nouvelle interface de la collaboration entre individus dans une logique human-to-machine-to-human.
Structurer les choses grâce à la gestion de tâches
Plus on reçoit d’information par un nombre de canaux sans cesse croissant plus on a besoin de mettre de l’ordre dans la perspective du travail à effectuer. Qu’on appelle les choses gestion de projet, gestion de projet sociale, social task management, cela permet à l’utilisateur d’organiser son information et son environnement par rapport à ses tâches à accomplir. Certains de ces outils fonctionneront seuls (en « standalone ») d’autres seront plus largement intégrés avec le reste du SI collaboratif.
Mon avis : le virage « social » avait un potentiel énorme pour le collaboratif mais a été dévoyé car on a poussé exclusivement le non structuré ce qui fait qu’on a fini par s’y perdre. Un silo imaginaire s’est créé entre le « vieux » collaboratif structurant et le « nouveau » totalement déstructuré alors que l’enjeu est d’organiser les deux. Il est donc essentiel de remettre de la structure et d’aller au delà du tout conversationnel coté social. Mais c’est comme l' »activity specific » : c’est prometteur, ça marche à tous les coups, mais trop peu osent car ont une vision faussée du renouveau du collaboratif qui ne serait que communautaire et conversationnel. A titre personnel je pense qu’à des échelles radicalement différentes des solutions comme Azendoo ou Projexec ont totalement compris le truc. Maintenant quant à savoir si c’est en 2015 que les clients vont vraiment franchir ce qui est davantage une barrière psychologique qu’autre chose… Quoi qu’il en soit je partage depuis longtemps l’idée de Lepofsky selon laquelle nous avons besoin de restructurer la collaboration sociale autour des tâches pour vraiment en faire un sujet « pour tous ».
https://www.youtube.com/watch?v=5D8b-LwgCPU
La guerre des fournisseurs stockage de fichiers dans le cloud
On a vu ce type de solution proliférer récemment, de Google à Box, mais ce qui compte n’est pas le nombre de fichier stockés mais la manière dont on les utilise. Après une adoption massive mais souvent chaotique va venir l’heure des questions liées à la sécurité, à la précision des use case en fonction des secteurs d’activité, aux environnements de développement.
Mon avis : je ne vais pas refaire une fois de plus mon show « anticonversationnel » mais on a trop dit que les conversations allaient remplacer process et documents alors qu’elles ne font que les enrichir. Pas de surprises si tâches et documents reviennent en force. J’ai eu la chance d’un peu creuser le sujet l’an dernier notamment grâce à deux collègues qui se sont longuement penchés sur le sujet et je confirme qu’ici le vrai sujet n’est pas technologique. Le document a un nouveau cycle de vie, est géré de manières nouvelles qui demandent de réinventer tout ce qu’on prenait pour acquis en termes de gestion documentaire. Notamment en termes de gouvernance. C’est la capacité des acteurs à accompagner leurs clients dans ces nouveaux usages, à leur permettre de mettre en place et manager des formes de gouvernances nouvelles qui feront qu’ils passeront à l’étape suivante ou non, du stockage de fichier en ligne à l’outil d’entreprise de gestion documents.
Suites vs « best of breed »
On va voir la suite de la bataille entre deux approches que nous connaissons déjà : l’achat de grosses suites collaboratives intégrées ou de plusieurs outils spécifiques excellant chacun dans un domaine. Jusqu’à présent les premières étaient cohérentes avec, souvent, quelques manques, les secondes moins cohérentes mais plus simple à intégrer, notamment dans le cloud et avec, par définition, moins de manques. Aujourd’hui les suites comblent leur retard et vont redevenir le choix préféré des entreprises.
Mon avis : on a souvent arbitré pour l’excellence fonctionnelle au détriment de l’expérience globale. Pleins de solutions excellant dans leur domaine plutôt qu’une à peu près bien partout mais parfois moins performantes sur un sujet donné. Des environnements intégrés mais à l’expérience incohérente plutôt qu’une expérience cohérente. Je ne pense pas qu’il faille choisir : l’entreprise a besoin des deux à la fois. La prédiction de Lepofsky est pleine de sens mais se heurte à mon avis à un problème qui est plus psychologique qu’autre chose : le goût de certaines directions informatiques pour le bricolage et l’assemblage fait maison qui permet, en plus, de faire croire à chaque partie prenante qu’elle a été écoutée puisque dans l’offre finale on trouve le ou un des produits produit qu’elle désirait. Mais au fur et à mesure que les grosses suites se « cloudifient » le « best of breed » souvent en cloud et standalone va effectivement perdre de son intérêt.
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