Economie collaborative et du partage : abus de buzzword ?

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On le voit chaque jour autour de nous : les business models se transforment, des secteurs d’activité entiers sont bouleversés par des acteurs et des modèles nouveaux qui mettent à mal les leaders établis.

Ces modèles ont un nom : économie du partage, économie collaborative, consommation collaborative pour ne citer que les plus fréquents. A force cela a fini par m’amener à m’interroger sur un certain nombre de choses :

– vu qu’on a l’air d’employer indifféremment l’un ou l’autre terme, s’agit il de la même chose ou de modèles distincts même si souvent complémentaires ?

– on parle souvent des « business model de l’internet ». Quel est le lien entre internet, le digital et ses modèles nouveaux ?

– Au final quelle est la part de révolution et de buzzword, de fumée derrière tout cela ?

Si je m’en réfère à Wikipedia :

The sharing economy (sometimes also referred to as the peer-to-peer economy, mesh, collaborative economy, collaborative consumption) is a socio-economic system built around the sharing of human and physical resources. It includes the shared creation, production, distribution, trade and consumption of goods and services by different people and organisations.

Il s’agirait donc d’une seule et même chose. Ce qui me pose problème pour un certain nombre de raisons.

Commençons avec la notion de partage. J’ai quelque chose et je le partage avec d’autres. Jusque là tout va bien. Maintenant cela peut prendre différentes formes :

– j’ai une pizza, je la partage, il m’en reste nécessairement moins

– j’ai un appartement, je le partage, je le garde mais j’ai moins d’espace pour moi

– j’ai un appartement, je le partage, je le garde mais il est utilisé en mon absence.

Là tout dépend de savoir si vous pensez que le partage doit être est un acte à titre gratuit. Dans l’affirmative vous allez vous rendre compte que bien peu des services de cette « nouvelle économie » rentrent dans la catégorie économie du partage. Si, par contre, vous tolérez ou trouvez normal que le partage ait lieu à titre onéreux on se retrouve devant un paradoxe.

L’économie du partage n’est jamais désintéressée

Le plus souvent ces modèles sont « vendus » comme étant une alternative à un modèle marchand et capitaliste qu’elles vont mener à leur perte. Là je ne suis que partiellement d’accord car :

– si je partage mon appartement, ma voiture ou ma perceuse contre une redevance même minime je ne fais rien d’autre qu’optimiser le rendement de mon capital. Plutôt qu’avoir une voiture qui a couté 100 et ne me sers qu’un jour par semaine, autant la « partager » pour 0,1 par jour. Aucune perte de valeur d’usage mais amélioration du rendement du capital investi car j’ai à la fois valeur d’usage + revenus du partage lorsque que n’utilise pas.

– il n’y a pas de partage sans un achat au départ. Par contre au lieu de vendre 100 perceuses qui seront chacune utilisées 0,01% du temps, on n’en vendra qu’une qui sera utilisée à 100%. Bénéfice indéniable pour les acheteurs. Maintenant on peut se demander qui va continuer à fabriquer des perceuses dans un tel contexte, si la perte d’économie d’échelles ne va pas faire augmenter les prix à long terme et si les pertes d’emploi induites par l’effondrement du secteur (fabrication et distribution) ne vont pas faire que certains n’auront même plus de quoi s’offrir le partage.

D’ailleurs, et c’est le second point, on se rend bien compte que pour l’essentiel l’économie du partage concerne des biens qu’on ne perd pas en les partageant. Preuve s’il en est que derrière une expression pleine de bonnes intentions on est davantage dans une logique d’optimisation de l’investissement que d’acte social désintéressé.

Pour ce qui, est justement, de la consommation collaborative on trouve, selon Wkikipedia, les exemples les plus divers, de Ebay à Uberpool. Là encore deux logiques extrêmes qui n’ont rien à voir et qu’on met dans le même sac.

Pour moi Uberpool (ou encore Blablacar) relèvent de la consommation collaborative. On s’organise à plusieurs pour consommer un bien ou un service. Avec un distinguo intéressant : si Blablacar relève à la fois de l’économie du partage (quelqu’un partage sa voiture pour un trajet) et de la consommation collaborative (on partage les frais à la fois avec le conducteur et avec d’autres passagers), Uberpool ne relève que de la consommation collaborative : on partage les frais mais le chauffeur ne partage pas son véhicule. Il ne demande pas une participation aux frais mais la pleine rémunération d’un service.

Ebay, pour moi ne rentre pas dans la catégorie consommation collaborative. Cette dernière demande, à mon avis, un acte conjoint (on prend une voiture ensemble, on loue un appartement à plusieurs) alors que dans ce cas il est séquentiel. On organise le cycle de vie du produit en favorisant sa revente plutôt que le jeter ou le garder dans une armoire. Ca n’est ni plus ni moins que le marché de l’occasion, digitalisé au travers d’une place de marché, certes, mais ça reste le bon vieux marché de l’occasion qu’on connait depuis des lustres. Tout au plus pourrait on avancer que la notation des acteurs est collaborative mais c’est tout de même un peu juste pour y voir un nouveau modèle économique. Après tout les questions de confiance et de réputation comptaient aussi dans la « vieille » économie de l’occasion.

La consommation collaborative doit être conjointe et non pas séquentielle

La distinction sur la notion de partage est subtile et je la vois ainsi : il y économie du partage lorsqu’il n’y a pas usage d’un bien à titre professionnel. L’économie du partage demande une participation pour couvrir les coûts dans la recherche d’un complément de rentabilité alors que dans l’autre cas il y a facturation pleine de l’utilisation d’un produit/service dont cette utilisation est la raison d’être économique. Dans un cas c’est un complément pour une personne dont ça n’est pas l’activité, dans l’autre une activité principale pour un professionnel.

Bref, à utiliser les mêmes expressions pour tout on tombe dans l’abus de buzzword pour qualifier des activités qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et relèvent de logiques différentes.

Economie du partage : En tant que propriétaire je partage un bien ou un service contre faible rémunération, souvent pour couvrir les coûts, sans qu’il s’agisse de mon activité principale. Exemple : AirBnb, blablacar. On est davantage dans la logique d’optimisation d’un investissement réalisé que dans la recherche d’un gain.

Consommation collaborative : en tant que client je m’organise avec d’autres pour consommer ensemble un bien ou un service afin de partager les coûts liés au surdimensionnement du service (il y a quatre places dans un taxi, pourquoi payer pour 4 alors que je peux partager avec trois autres personnes si je les trouve). Cette consommation est conjointe (unité de temps et co-organisation entre les parties prenantes).

L’un est donc coté client, l’autre coté « fournisseur ». On peut consommer collaborativement hors économie du partage comme on peut mettre un bien dans l’économie du partage qui pourra être consommé collaborativement ou non.

Quoi qu’il en soit, et pour répondre à la première question, économie collaborative, économie du partage et consommation collaborative ne sont pas la même chose. On y voit des modèles radicalement disruptifs comme des modèles « anciens » qui ont profité d’une mode nouvelle et de la digitalisation de l’économie pour refaire leur marketing sans pour autant changer de modèle. On y voit aussi des modèles ultra capitalistes en profiter pour se refaire une virginité en revêtant des habits de bonne conscience dans l’air du temps…mais c’est un autre sujet.

Ce qui nous amène à la question traitée dans un prochain billet : quel est le lien entre le digital et ces nouveaux modèles économiques.

 

Crédit Image : Sharing by Thinglass via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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