Le code : compétence d’avenir ou miroir aux alouettes ?

L’apprentissage du code par tous est il, comme on le lit partout, une condition sine qua non de réussite de nos entreprises dans l’économie digitale ? Est-il également une compétence indispensable pour éviter aux générations futures (voire actuelles) le déclassement professionnel ?

On lit partout que le code doit devenir une des compétences de bases qu’on doit apprendre à l’école, comme lire, écrire ou compter. Pour certains c’est même la première – voire seule – « langue étrangère » à maitriser sachant que dans un avenir proche ce sont des machines qui s’occuperont de la traduction instantanée – écrire ou orale – entre deux personnes ne parlant pas la même langue.

Coder est le nouveau bricolage

Il semble a peu près certain que savoir coder va devenir très important dans notre vie quotidienne avant même d’envisager la dimension professionnelle. Au fur et à mesure que le digital prend une part croissante dans nos vies, dans nos échanges avec les autres, dans notre quotidien de par les objets connectés et les services qu’ils apportent, il sera de plus en plus difficile de s’en sortir dans des notions de code.

Je ne parle pas là d’être un codeur ou un développeur émérite mais simplement de connaitre le strict minimum pour : réparer une fonction qui ne fonctionne pas, adapter un service à ses besoins propres, ajouter une fonctionnalité, enrichir les services proposés par un objet connecté. Au fur et à mesure que beaucoup de choses reposeront sur les échanges entre des services et entre de ses services et des objets, on devra apprendre à les adapter à nos besoins, à les réparer, les améliorer, à « mettre les mains dans les APIs » sans forcément avoir recours à l’aide d’un professionnel.

Maintenant il importe de démystifier la chose. Si je devais faire un parallèle je comparerais cette évolution au bricolage. Aujourd’hui nous sommes (presque) tous capables de réaliser des actes relativement simples à la maison comme changer une ampoule, un robinet, poser une tringle à rideaux, monter des étagères ou changer les pneus de sa voiture. Dans cette perspective coder ne sera ni plus ni moins que le nouveau bricolage afin d’assurer à moindres frais la maintenance et la personnalisation de notre environnement quotidien. Cela fait un certain temps que j’ai en tête un projet d’article intitulé « demain tous DSI » pour montrer que nous aurons tous besoins d’un minimum de connaissances pour gérer notre « système d’information personnel » tant en matière de soft, de hard et d’infrastructure réseau. On est ici exactement dans cette ligne.

Et comme pour ces menus travaux on verra apparaitre deux niveaux de pratiques. Comme on a le bricoleur du dimanche d’un coté et le plombier, le peintre ou l’électricien professionnel de l’autre, on aura le codeur du dimanche et le codeur professionnel.

Les entreprises ont besoin de codeurs…mais pour combien de temps encore ?

Le mouvement « tous codeurs » a aussi un objectif économique : donner à nos entreprises la main d’œuvre et les compétences dont elles ont besoin à l’heure de l’économie digitale. En fait il y a deux volets ici.

Le premier purement orienté main d’œuvre. On a besoin de personnes sachant coder à la fois pour soutenir la croissance des entreprises du digital mais également pour contribuer aux projets de transition des entreprises plus classiques car l’économie n’est pas « brick and mortar » ou « digitale ». Elle est les deux à la fois et le sera de plus en plus. Quel que soit le secteur d’activité le succès ne sera donc pas possible sans compétences digitales.

Le second est plus entrepreneurial. On s’attend à ce qu’une « culture du code » stimule la création d’entreprises dans l’économie digitale. A tort ou à raison ? De mon point de vue il n’est pas nécessaire d’avoir la moindre compétence en la matière pour avoir une idée, lancer une entreprise et recruter pour développer son produit. Pour autant il n’est pas non plus stupide de croire qu’une personne ayant les compétences minimales aura plus de facilité à voir ce qu’il est possible de faire, comprendre et faire travailler ses équipes de développement , réaliser seul un « produit minimum viable » avant de passer à l’étape suivante. Bill Gates, Steve Jobs ou Mark Zuckerberg n’étaient surement des codeurs de premier ordre mais ils en savaient assez pour démarrer quelque chose et ensuite faire travailler des spécialistes.

Maintenant cette tendance est-elle pérenne ? On nous promet que dans un avenir proche des machines seront elles-mêmes capables de produire des programmes alors quelle place pour l’humain à terme ?

Ceci dit il y a pour l’instant un double intérêt à former des armées de codeurs : à la fois aider les entreprises et orienter les jeunes vers un marché où les débouchés sont – pour l’instant – réels. Quand on voit le taux de chômage dans de nombreux pays et le nombre de jobs de développeurs non pourvus l’équation semble assez évidente.

Mais est-ce pourtant l’eldorado ?

Le codeur est le nouvel ouvrier ou le nouvel artisan

Il ne faudrait pas pour autant croire que cette filière est une voie royale professionnelle, épanouissante, durable et susceptible de lancer de nouvelles carrières. Ce qu’on voit dès aujourd’hui nous amène à prendre quelques précautions.

Jusqu’à une époque encore proche développeur rimait sinon avec ingénieur en tout cas avec un niveau d’études certain. On commençait développeur en espérant un jour devenir manager, chef de produit etc. Cette filière existera toujours pour les diplômés de grandes écoles pour qui l’étape développement ne sera qu’une expérience terrain avant de progresser hiérarchiquement,  de la même manière que de futurs chefs de produit dans d’autres domaines commencent par écumer les supermarchés avant de trouver rapidement un bureau au siège.

Aujourd’hui le code et le développement ne sont plus considérés – comme l’informatique en général – comme l’apanage de gens spécialement formés mais comme une compétence basique. Et à compétence basique, travail et carrière basique (ce qui vaut mieux que pas de travail du tout et c’est peut être justement une des clés du problème). Le « codeur » que l’on demande aujourd’hui est un codeur sachant coder mais, surtout, ne sachant que coder. Pourquoi, en effet, payer pour un surplus de compétences qu’on utilisera finalement pas sachant que ceux qui ont vocation à progresser seront recrutés dans d’autres viviers ? Logique économique irréfutable.

Le code sera certainement pourvoyeur d’emplois mais beaucoup plus rarement un point de départ pour une carrière telle qu’on pouvait l’entendre jusqu’à présent. Comme dans les usines au début du siècle précédent où il y avait d’un coté les ouvriers, d’un autre les contremaitres, directeurs de bureaux d’études etc et le passage de l’un à l’autre était on ne peut plus rare. Au fur et à mesure que l’informatique, que le digital se banalise, on assiste à la création d’une classe ouvrière du digitale. C’est une juste logique à laquelle je ne trouve rien à redire pour peu qu’on ne survende pas la chose. Des « Mc jobs » peu pérennes, à gros turnover, sans espoir de progrès avec une énorme pression des foules de jeunes codeurs qui arriveront sans cesse sur le marché.

Le code une nécessité ? Sans aucun doute ? Un avenir ? A court terme oui, à long terme on verra.

 

Crédit Image : Coding by scyther5 via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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