Plus d’emploi mais des activités. Et les revenus ?

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Une chose semble certaine : nous nous préparons à un futur sans emploi. Ou, en tout cas avec beaucoup moins d’emplois tels que nous les connaissons aujourd’hui. Les causes sont à la fois connues et nombreuses.

A commencer par les robots et autres machines intelligentes qui vont demain remplir un nombre croissant d’emplois aujourd’hui tenus par des humains. L’autre dimension vient des nouveaux modèles économiques et nouveaux modèles de travail qu’on qualifie aujourd’hui de digital labor.  Ce dernier prend un grand nombre de formes, du chauffeur Uber au Mechanical Turk d’Amazon, certaines plus enviables que d’autres, mais qui partagent un trait commun : une création massive de richesse d’un coté et une insécurité économique croissante de l’autre. Une « seconde économie » se forme, invisible, digitalisée et avale des emplois que, contrairement aux révolutions précédentes, nous ne verrons plus réapparaitre dans un secteur nouveau remplaçant l’ancien. Quant à l’économie du partage ses impacts en termes d’emploi, d’insécurité et de paupérisation sont relativement « prometteurs » dans certains secteurs.

L’enjeu est la distribution de la prospérité

A l’heure ou le travail devient à la demande, contingent, notre problème – comme dit dans l’article de McKinsey sur la seconde économie – n’est plus de produire de la prospérité mais de la distribuer. Autrement dit à défaut d’emplois nous allons tous avoir des activités contribuant à cette prospérité mais pour autant en toucher nécessairement les fruits.

Partant de là on voit trois attitudes possibles : l’engouement (c’est digital donc c’est le futur et c’est super), la résignation (on y échappera pas) ou la lucidité (ce qui remplacer le capitalisme tel que nous l’avons connu c’est le capitalisme en pire). Certains trouveront amusant que ce qu’on vend très bien sous le terme d’économie du partage, enrobé de bons sentiments, s’avère pire que le modèle qu’il remplace, d’autres beaucoup moins.

Bref la question aujourd’hui est de trouver le bon modèle qui permette d’être en phase avec les nouveaux modes de création de valeur, plus liés à l’activité et au travail qu’à l’emploi. Et si nous ne sommes pas encore prêts à faire face à la déferlante des robots nous sommes encore moins prêts à faire face à l’impact sociétal de ces nouveaux modèles que beaucoup poussent la fleur au fusil.

Le revenu de base ou la forfaitisation de la participation à la création de valeur

Le moindre de nos comportements est exploité et monétisé. Chacune de nos actions en et hors ligne génère de la donnée (et en générera encore plus chaque jour), ces données sont utilisées pour prendre de meilleures décisions, nous proposer de meilleurs services etc et in fine vont générer une valeur folle pour ceux qui les exploitent.

Ce constat a permis de remettre au goût du jour une vieille idée, celle du revenu de base. L’idée, rapidement résumée, est que si chacun contribue à la création de richesse mais que certains sont exclus du processus de partage de cette dernière car ne participent pas au flux financier, il suffit de forfaitiser leur contrepartie et leur retourner sous forme d’un revenu universel. Une idée qui n’a rien de neuf mais s’applique à des situations qui sont de plus en plus dans l’air du temps.

En effet si on reprend objectivement le business model de l’économie des données on trouve celui qui produit la donnée, celui qui la traite, celui qui fait business avec et seul le premier est exclu de l’équation financière finale. Un peu comme si vous aviez une nappe de pétrole sous votre jardin, que certains le forent, d’autres le raffinent et d’autres le vendent (à vous entre autres) et vous soyez le seul à ne pas toucher un centime sur l’opération. La chaine de valeur de la donnée exclut celui qui produit la matière première et si la solution est tout sauf évidente on ne peut s’imaginer que la situation puisse perdurer.

Cette idée peut nous amener à une autre : la valorisation du « patrimoine données ».

Valoriser les données individuelles comme un patrimoine

Après vient l’étape suivante. Si je génère de plus en plus de données et qu’elles servent à générer de plus en plus de valeur pour d’autres, si je pars du principe que j’en génère vraiment beaucoup plus que d’autres – peu importe la raison – ou que j’estime qu’elles ont une valeur particulière – reste à savoir pourquoi – je peux décider de les monétiser directement.

Cher Facebook maintenant j’en ai marre d’être un produit. Je deviens un fournisseur de données et tu paies en fonction.

On voit bien les limites du modèle : le système serait une vraie usine à gaz et il ne faut pas perdre que nos données personnelles ont peu de valeur sans les données des autres. Si on voit certaines entreprises s’aventurer sur cette route encore peu carrossable et à la destination hasardeuse, peut être qu’on verra un un jour des data brokers centraliser les opérations et faire l’intermédiaire entre les particuliers et les grands acteurs.

Aussi folle que cette idée soit, je vous laisse juste imaginer qu’un jour on assiste à une grève générale du « like », du « share » et de toute forme de contribution en ligne, que tout le monde navigue de manière privée…. Je vous laisse juste imaginer l’impact sur certains business models et les cours de bourse.

Mais pourquoi pas à long terme. De manière générale c’est la valorisation par chacun de son capital savoir et données…après tout on ne peut pas dire d’un coté qu’on est dans l’économie du savoir et des données et refuser à ceux qui les détiennent et les produisent en premier lieu de les valoriser et les monétiser pour réserver ce droit à des intermédiaire. Aujourd’hui le partage gratuit du savoir est devenu un instrument de valorisation de la marque personnelle dans un monde où il existe encore des emplois, qu’en sera-t-il lorsque l’emploi sera rare et qu’on aura plus un travail rémunérateur à coté de nos activités (gratuites) en ligne ?

Désintermédier et remplacer l’économie du partage par l’économie coopérative

Il y a un paradoxe dans l’économie du partage, proposée comme une alternative humaine – voire humaniste – non forcément au capitalisme en général mais au capitalisme financiarisé comme on l’entend aujourd’hui. Soit disant portée par les valeurs du web, on met en avant son coté désintermédié alors que le plus souvent elle ne l’est pas. Les vieux monopoles ont été remplacés par de nouveaux monopoles qui ont compris qu’il y avait plus fort que la désintermédiation : l’effet de levier. La différence entre G7 et Uber n’est pas flagrante sauf que le second a sorti sa plateforme avant l’autre et utilise le digital pour avoir un effet de levier plus important : plus de volume, moins de coûts. Avec toutes les critiques qu’on peut entendre sur le modèle en termes d’emploi.

Certains voient une alternative plus respectueuse des individus que cette forme d’économie du partage : les plateformes coopératives. De l’extérieur rien ne change, de l’intérieur tout est différent puisque la promesse de désintermediation faite par le web est enfin tenue. L’utilisation des leviers digitaux au service d’un vrai modèle desintermédié où la disparition de l’intermédiaire accroit la valeur partagée entre le client et les acteurs.

Parlant de ça, je vous invite à réfléchir deux minutes au caractère inéluctable et insurmontable du succès des Ubers and co. Par définition un intermédiaire est fragile et remplacer un intermédiaire par un autre ne change pas la nature du modèle. On est pas au bout du vrai changement, de la vraie économie collaborative, et les choses vont encore bouger de ce coté. L’option présentée ici est une option parmi d’autres mais elle n’est pas moins crédible qu’une autre.

 

Travailler moins pour faire face à la pénurie d’emplois

C’est une autre option proposée par de plus en plus en monde. Si les résultats de la dernière expérience de partage du travail mise en œuvre en France avec les 35h ressemble davantage à une énorme farce, l’idée revient et pas portée par n’importe qui puisqu’un des derniers à l’avoir évoqué est Larry Page de Google. Mais d’autres l’avaient déjà dit avant.

Là je suis plus sceptique. Si on a besoin de moins travailler individuellement pour produire autant cela ne signifie pas pour autant que le partage du travail va remettre du monde au travail. Il y a en effet le double enjeu de l’emploi et du revenu. Travailler moins pour moins de revenu ne fonctionne pas et maintenir le revenu est suicidaire vu de l’entreprise. Ce que vous dit Page c’est qu’on va pouvoir moins travailler, pas comment adresser les conséquences du fait qu’on travaille moins.

Et tous les remplois ne sont pas partageable. Les tâches routinières oui, les travaux intellectuels et créatifs beaucoup moins.

Mettre en place un modèle social de partage de risques

Les nouveaux modèles économiques partagent l’activité (beaucoup), le revenu (peu) et pas du tout les risques leur étant liés. Pour certains ces modèles n’arriveront à maturité que lorsqu’on y arrivera. Si l’entreprise abdique une partie de son rôle social en tant que partie prenante c’est à la société d’imposer de nouvelles règles.

Bref on a trois sujets à adresser conjointement :

• L’emploi : il y aura moins d’emplois et ils seront de plus en plus fragile

• Le risque économique et social : sera réparti sur la partie la plus fragile de la population

• Le revenu : va exclure une grande partie de ceux qui contribuent à le créer.

Je ne pense pas qu’on y arrive en prenant en compte un seul facteur à la fois, on risque de finir avec un système aussi bancal que celui qu’on veut remplacer.

Pleins de choses se disent et s’écrivent sur le sujet et je n’ai fait qu’en survoler une partie. Qu’est ce qui va fonctionner ? Je n’en ai pas la moindre idée. Mais il y a urgence à avancer vite.

On peut aussi dire « tant pis, c’est la victoire des entrepreneurs et de l’économie digitale ». Mais quand personne ne pourra plus acheter leur produits et services le serpent se mordra la queue.

Crédit Image : Work Revenue par  Dooder via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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