Les coulisses du Social Hub d’Orange avec Lionel Fumado

Les entreprises ont cessé de pouvoir maitriser leur image ni leur réputation a partir du moment où elles ont perdu l’exclusivité de la prise de parole. Aujourd’hui plus une ne peut faire l’économie d’être à l’écoute de ce qui se dit sur les réseaux sociaux afin d’identifier les signaux faibles, anticiper les crises, et reprendre la main proactivement sur leur relation avec leurs clients et communautés.

Elles mettent en place des dispositifs d’écoute dédiés tant d’un point de vue technologique qu’organisationnels.

Aujourd’hui je vous propose de découvrir celui d’Orange, le Social Hub, au travers d’une interview avec Lionel Fumado qui en est le manager.

Bertrand Duperrin: Bonjour Lionel. Quelle a été l’idée de départ derrière la mise en place du Social Hub ?

Lionel Fumado
Lionel Fumado

        Lionel Fumado : L’idée était de faire rentrer la voix du public dans l’entreprise. Ca s’est traduit par deux projets. D’abord le social Hub qui est un lieu de communication digitale, d’écrans qui permettent de suivre et afficher les conversations sur les réseaux sociaux. Ensuite les Social Walls qui permettent de capitaliser sur la data captée par le Hub, transformée en data visualisable et partagée sur des écrans à travers l’entreprise à destination des salariés.

Mon commentaire : initiative indispensable aujourd’hui mais qui nous rappelle comment, ironiquement, nos entreprises ont été bâties pour être au départ imperméables à la voix du client.

BD : Les social walls ont une vocation d »intelligence » interne ou simplement de sensibiliation interne à certains sujets ?

LF : On a plusieurs types de social wall, à vocation de communication.

Sur un événement ou un sujet on peut remonter les top tweets et influenceurs de manière visuelle pour faire remonter les sujets « chauds » à des personnes qui n’ont pas forcément cette culture. On a aussi des écrans à vocation de monitoring avec des outils d’analyse. Cela nous permet de suivre notre actualité, les influenceurs ou les initiatives des concurrents. Je peux voir ce qui a le plus d’impact sur les 30 pays où est présent en France, de quoi parle notre environnement : clients, influenceurs, concurrents etc.

L ‘idée est aussi de partager cette data avec le marketing. On a des demandes de leur part et on va leur « livrer » des écrans mettant en forme en temps réel la data et les contenus qui les intéresse.

Il faut faire rentrer la voix du client dans l’entreprise

Côté CRM on a aussi des écrans avec des indicateurs  de type « taux de réponse », « temps moyen d’attente avant réponse » qui permet de nous benchmarker avec nos concurrents sur les réseaux sociaux. On voit bien d’ailleurs que ces chiffres varient beaucoup en fonction du marché pays et de sa maturité, notamment sur la volumétrie des questions posées. Bien sur c’est du temps réel, on a pas de notion de dashboard figée.

BD : Il y a donc une approche centralisée de la collecte de data au niveau groupe et ensuite elle est répartie selon les besoins de chacun ?

LF : Oui. Ici on gère de l’image et de l’influence. On est en veille sur l’influence, journalistes, blogueurs, élus, tout un ensemble de parties prenantes et on alimente les équipes de communication, affaires publiques, secrétariat général etc. On est en alerte sur un certain nombre de sujets sensibles pour anticiper les risques et les postures, identifier les influenceurs et agir de manière proactive. On est dans l’anticipation des risques et, si la crise arrive, on est dans le suivi et la remontée en temps réel des informations à la cellule de crise.

On a aussi un rôle de communication au travers des comptes @orange pour la marque où on est en coordination avec les équipes communication et marque sur le brand  content  et @orangegroupPR (anglais) et @presseorange en français sur les RP et news.

On a également un travail de gouvernance sur les guidelines et bonnes pratiques. On valide les conditions de création d’un compte officiel au nom de la marque orange. Il faut une cible, un public pas encore adressé, une ligne éditoriale, des ressources, un objectif défini etc. On veut projeter une image compréhensible par le public.

Quand le digital est partout il cesse d’être quelque chose à part

On a enfin un travail de datavisualisation pour accompagner l’utilisation des data sociales par toutes les équipes de communication. On est passé d’une époque où on avait une direction digitale  à une cellule qui va être en accompagnement des équipes.

BD : Aujourd’hui votre rattachement est « Presse et médias » …

LF : Effectivement. Et on travaille avec les  équipes de la marque, du sponsoring, des relations actionnaires, de la communication interne. On est passés d’un rôle « spécialistes » à un rôle d’accompagnants. Les autres équipes viennent ici travailler avec nous et on leur donne les clés pour réussir, intégrer le digital en amont et en réflexion.

Mon commentaire : preuve par l’exemple que quand le digital est partout il cesse d’être quelque chose à part mais doit innerver toute l’organisation. L’équipe opère ses compétences pour son propre compte et devient un centre d' »enablement » pour les autres au lieu de confisquer et centraliser la compétence.

BD : le Digital n’est plus un outil ni une finalité mais un levier pour tout le reste…

LF : Effectivement. Le digital fait partie de la communication et quand on prépare un événement il faut penser le digital en amont et on aide les autres équipes à penser leurs objectifs, leurs KPIs, les prérequis, éventuellement les former et leur apprendre à mieux travailler avec nous. Et c’est en train de porter ses fruits.

L’idée du Social Hub, grâce aux écrans, est de mieux faire passer le discours en interne sur le retour client. Avant on avait le même discours mais le fait qu’aujourd’hui on puisse montrer les choses change tout. Ca crée des synergies et des automatismes qui n’existaient pas avant. Je vois que mes interlocuteurs sont plus sensibles à ce que je dis dès lors que je dispose d’un endroit où faire la preuve des choses.

BD : En matière de veille tu me disais ne pas regarder que ce qu’on dit à propos de Orange mais surtout ce qu’on dit sur les sujets qui comptent pour Orange.

LF : On veille effectivement sur des sujets précis qui sont ce qu’on appelle « les essentiels de nos clients ». A savoir : la maison, le travail, le divertissement, le bien être, la famille et le paiement. Derrière il y a des focus précis sur par exemple les objets connectés, le paiement mobile, la protection des données personnelles etc. Typiquement la protection des données peut concerne le travail, la famille (les enfants) etc.

La veille alimente la réflexion éditoriale

Cette veille vient en alimentation de l’éditorial. On en retire des « insights », des enseignements qu’on partage avec les équipes éditoriales. Cela nous permet de créer des contenus spécifiques car on réalise qu’il y a une demande sur un sujet (interviews, dossiers, vidéos, tweets), de collecter de la data pour en faire des infographies qui sont d’autant plus reprises qu’elles correspondent à un vrai intérêt. Cette veille permet donc d’alimenter les équipes éditoriales. Ensuite on suit la performance des contenus, ce qui fonctionne ou non, pour créer un cercle vertueux pour coller de mieux en mieux aux attentes et intérêts du public..

Mon commentaire :  bonne leçon mais pas forcément intuitive en termes de communication et réputation. Ne regarder que soi n’apporte qu’une valeur limitée, on apporte plus de valeur en se positionnant à l’intersection de ses thématiques propres et des attentes de son public. Cela permet d’anticiper au lieu de constater a posteriori qu’on a été à côté du sujet.

BD : Cette donnée tu disais que tu la mettais également à disposition des autres départements. Elle n’est pas « confisquée » ici.

LF : Nos dashboards sont partagés en interne. Traiter la donnée est une expertise que tout le monde n’a pas, tout le monde ne sait pas passer de la data collectée à l’information utilisable et il faut donc  une équipe capable de faire ce travail pour tous.

BD : Mais, contrairement à ce qu’on peut voir par ailleurs, il n’y a pas de silotage de la donnée ou de guerre de la donnée. Il y a encore des endroits ou le collecteur garde jalousement la donnée car la donnée c’est le pouvoir et d’autres ou chacun fait son travail dans son coin en dehors de toute logique de synergie. Voire les deux en même temps.

LF : En fait plutôt que centralisé on a dédoublonné tout cela. Chacun s’occupe de son périmètre, par exemple c’est Orange France qui va suivre les retours sur la Livebox, nous plutôt l’image de l’entreprise. On est également en train de faire converger les outils qu’on utilise. Depuis 4 ans on a beaucoup rationalisé la collecte de données et on en arrive à la phase ultime : le partage de tous les dashboards entre toutes les directions de la communication et toutes les directions marketing. Ce qui veut donc dire qu’on est dans une logique de mutualisation de la donnée au niveau de l’entreprise.

BD : Comment vous y êtes vous pris au début quand il a fallu se lancer ? Vous aviez des références, des benchmarks ? Comment avez vous passé le cap de la page blanche

LF : On était devant une feuille blanche il y a à peu près un an. On avait donc un objectif qui était de faire rentrer la voix du public dans l’entreprise et accompagner la transformation digitale des équipes de communication. On s’est rendu compte rapidement qu’on pouvait afficher et suivre de la data sociale en temps réel et que ça avait de la valeur. On avait déjà testé des choses en interne sur de petits périmètres, ça avait été plébiscité et on voyait bien toutes les synergies possibles.

On s’est dit que le point central du dispositif allait être un endroit où on allait pouvoir voir les choses en permanence. On a eu l’opportunité d’aller visiter ce que Nestlé à fait sur leur site de Vevey. Ils étaient partis en 2012 dont avaient deux ans d’avance. On a vu pleins de choses très inspirantes mais on s’est aussi rendu compte que tout n’était pas adapté à notre besoin : ils ont construit un espace d’accélération digitale qui fait du monitoring mais aussi beaucoup de formation. On a donc réfléchi à un modèle qui nous serait propre.

Orange Social HubOrange Social HubOrange Social Hub
Dispositif de monitoring

Le plus long a été de conceptualiser l’espace. L’idée de visualisation étant centrale il fallait des écrans. Mais combien ? Où ? Qui est dans la salle ? Qui est en face de chaque écran ? Qu’est ce qu’on va voir sur chaque écran, à quoi cela sert et quelle valeur ajoutée on va pouvoir en extraire ?

On a donc abouti à un espace divisé en deux. Un plateau de 4 personnes avec 6 écrans pour la veille et le community management. En fait ces écrans font une surface unique donc on peut la découper et l’utiliser comme on veut en fonction du besoin du moment.(comparez la photo qui suit à la précédente pour voir les possibilités offerte par l' »écran unique »)

Orange Social Hub
Dispositif de monitoring

L’autre espace est davantage un espace de supervision avec par exemple des social wall, monitoring pays…On a aussi un espace de convivialité pour recevoir, faire des démos, des formations.

Orange Social Hub
Dispositif de supervision

 

La conception a vraiment été le temps le plus long. On est parti de situations réelles (crise, monitoring, lancement de produit), on a scénarisé ce qui peut se passer et la manière dont on doit y répondre et donc les data et outils nécessaires. Et bien sur les compétences à mettre devant les écrans. On a imaginé les workflows qui allaient avec etc.

La donnée ne sert à rien si on ne peut la visualiser, la partager et l’actionner

Ensuite on a travaillé avec la marque sur la partie purement physique : le lieu, le mobilier, les couleurs, l’intégration de la technologie dans le mobilier pour que tout soit propre, lumineux et surtout ne ressemble pas à un endroit de technologie. On voulait éviter le syndrome de la navette spatiale, du « command center ». On ne voulait pas que la technologie devienne étouffante.

Orange Social Hub
Orange Social Hub

Une société nous a aidé sur la partie écrans et supervision. Il fallait des bords fins pour créer l’illusion d’un écran unique et et surtout des écrans qui chauffent peu et soient faits pour tourner en permanence. C’est du matériel de centre de supervision. Tout ce qui dégage de la chaleur est peut être source d’inconfort a été mis dans un local technique.

Ensuite on s’est intéressé aux outils en capitalisant au maximum sur ceux qu’on utilisait déjà. On les a également challengé  sur leur capacité à nous aider à alimenter nos social walls en intégrant les APIs les uns des autres.

On a pas voulu avoir un outil qui fait tout mais on a capitalisé sur ce qu’on connaissait en fonction des points forts de chacun en jouant sur les APIs pour développer des synergies. On a évité la course en avant sur les outils, autant essayer de tirer le maximum de ce qu’on a et qu’on connait. Ce qui compte c’est la  valeur ajoutée qu’on en sort, pas les fonctionnalités nombreuses mais pas maitrisées.

Mon commentaire : l’approche par les scénarios fait très « design thinking », pertinente et dans l’air du temps. Par contre l’approche par l’espace est plus originale. Le lieu est souvent une conséquence plus ou moins bien gérée et ne vient pas à l’esprit comme une hypothèse de départ à partir de laquelle on échafaude le reste. On voit là l’importance des leçons apprises lors d’événements internes. En pointillés cela me permet de dégager deux critères de réussite d’un tel dispositif : la visualisation et le partage qui ne doivent pas seulement exister dans les outils mais se retrouver dans l’espace de vie et de travail physique.

L’attention prêtée au « physique » (lieu et matériel) est une leçon à retenir.

BD : Et pour ce qui est de l’analyse des data ? Ces compétences ont également été « intégrées » ou externalisées ?

LF : Les deux. On attend justement des différents prestataires avec qui nous travaillons qu’ils nous fassent bénéficier de leurs compétences et qu’ils soient également en mesure de nous envoyer des livrables. Lorsqu’on est en sous-effectif pour une raison ou une autre ou lorsqu’on a une situation de crise on a moins de temps pour l’analyse donc on attend de nos prestataires qu’ils puissent prendre le relais sur certaines périodes sur la partie analyse afin que nous consacrions nos ressources aux plans d’action.

Il faut des humains pour interpréter les données

La dimension humaine est essentielle dans la data. On a beau avoir un outil qui collecte il faut des gens pour interpréter et transformer la donnée en information exploitable.

Mon commentaire : bonne pratique à garder en tête sur des sujets émergents où le bon niveau de staffing n’est pas évident à déterminer et peut être variable en fonction de l’actualité. Internaliser la compétence et ajuster au fil de l’eau avec des partenaires impliqués dans le projet à long terme.

BD : Le chantier a été initié il y a plus d’un an, c’est opérationnel depuis mars. A ce stade peux-tu me dire ce que tu as appris durant ces quelques mois ? Ou quelles sont les idées reçues qui n’ont pas été validées par ton expérience ?

LF : La première chose que j’ai appris c’est qu’on a encore beaucoup à apprendre. C’est en pratiquant qu’on apprend et du coup on défriche beaucoup de choses. L’avance qu’on a nous donne le luxe de prendre le temps d’explorer des choses nouvelles.

On avait pressenti que cet espace allait nous permettre de travailler plus facilement avec d’autres équipes qui ne sont pas forcément digitales dans leur manière de travailler et cette intuition a été confirmée. On a régulièrement des gens d’autres services qui viennent nous voir et ce dispositif les aide à s’impliquer.

Deuxième enseignement….on est déjà presque à l’étroit. On a été ambitieux en créant un espace de travail qui sert également d’espace de démo. Cela peut être compliqué car on a beaucoup de demandes de visite internes et externes et il faut faire cohabiter cela avec un fonctionnement normal du service. On est un peu victimes de notre succès mais on au moins on montre « la vraie vie ».  En tout cas ce travail de défrichage inspire beaucoup de gens.

On reçoit des visites de personnes qui vont au delà de nos métiers de communication, comme des DRH par exemple. Et d’entreprises qui ne sont pas de notre secteur. S’ils viennent ici pour apprendre des choses ça nous permet également d’apprendre à leur contact et la dimension « échange » de notre dispositif est vraiment un point positif, que ce soit avec des équipes digitales ou non digitales.

BD : As-tu encore quelque chose à ajouter ?

LF : Non..Mais ce serait intéressant de faire un update dans six mois…

Merci à Lionel pour cette visite du Social Hub. Et donc à dans 6 mois pour voir ce que les choses sont devenues !

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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