La plus grande inquiétude des dirigeants d’entreprise face au digital est la transformation de leur environnement concurrentiel qui rend leur impose de changer leurs pratiques sous peine d’être incapables de réagir face à des menaces qu’elles sont incapables de voir venir avec leurs approches traditionnelles.
C’est, en gros, la conclusion majeure de l’édition 2015 de la toujours très intéressante « IBM C-Suite Study » sortie il y a quelques semaines.
On n’identifie ses concurrents qu’une fois qu’il est trop tard
On est en train de sortir d’un monde de concurrence sectorielle pour rentrer dans un monde de concurrence intersectorielle. Avant il était simple de surveiller ses concurrents : ils étaient connus et on les « fréquentait » au quotidien. Aujourd’hui la concurrence peut venir d’un secteur d’activité voisin ou d’un pure player digital.
La convergence des secteurs est donc la grande tendance qu’identifient les dirigeants pour les années à venir.
Le digital permet à des concurrents nouveaux d’arriver avec des produits et services moins chers et une expérience améliorée mais également à des acteurs d’autres secteurs d’enrichir leur offre existante et ainsi de marcher sur les plate-bandes de secteurs « complémentaires ».
De mon point de vue on ne peut dissocier cette tendance de ce qu’on appelle l’avènement de l’économie de l’expérience. Auparavant le client se construisait son expérience en mettant bout à bout des produits et des services d’acteurs de différents secteurs, aujourd’hui un de ces acteurs peut intégrer facilement des services tiers dans son offre simplement en partageant et faisant circuler de la donnée. Résultat, ils ne se positionnent plus sur des verticales mais par rapport à des chaines d’expérience client globales.
Si vous n’êtes pas une expérience vous ne serez plus une marque…si vous n’êtes pas une plateforme vous ne serez pas une expérience.
Revenant à l’idée de convergence des secteurs, on entend souvent « quel que soit votre secteur, demain vous serez dans le business de la technologie ou de la donnée où vous serez morts ». Le digital permet de délivrer des expériences à grande échelle et à coût marginal quasi nul grâce à des logiques de plateformes…lesquelles reposent sur de la technologie et de la donnée, peu importe le produit ou service délivré.
Sur le sujet je vous invite à regarder ce Platform Manifesto ainsi que de lire le PWC CEO Survey 2015 qui faisait la part belle à la question de la concurrence inter sectorielle.
Mais les faits sont là quand les concurrents peuvent surgir de n’importe où et principalement d’ailleurs que dans leur radar il faut des approches nouvelles de la concurrence. Avec le digital vos clients sont partout…vos concurrents également.
Et la peur de l’ubérisation règne donc en maitre.
Il faut affronter les pure players digitaux sur le terrain de l’engagement et des écosystèmes
Plutôt que réagir il s’agit désormais d’anticiper et prendre les devants. Une des directions identifiées par les directions générales est celle de l’engagement client, terrain sur lequel les « disrupteurs » s’empressent de leur couper l’herbe sous le pied en priorité. L’étude cite d’ailleurs un chiffre intéressant : les entreprises disent être aujourd’hui capables de comprendre 90% de leur client. Un chiffre plutôt positif mais qui a une autre signification : on est loin de la compréhension individuelle des « markets of one », des segments d’une personne. Ce qui confirme que si la connaissance client est un facteur de réussite essentielle, la plupart des entreprises en sont encore loin (d’autant plus qu’elles surestiment systématiquement leur niveau de connaissance de leurs clients, loin des attentes de ces derniers).
Un autre axe de réponse est d’aller chercher l’innovation où elle est, notamment en dehors de l’entreprise. Les parteneriats et autres « joint-ventures » ont ainsi le vent en poupe. Mais cela ne suffit pas sans une structure de décision et d’exécution adaptée et, sur ce point, l’étude montre à quel point il est difficile pour les entreprises de sortir des sentiers battus.
Une vision panoramique pour anticiper
Plus le monde extérieur change rapidement et de manière imprévisible plus il faut en avoir une vision large et profonde à la fois.
Aucune surprise dans les sujet technologiques identifiés même si je considère qu’une approche purement technologique de la prospective est dangereuse : c’est le cas d’usage qui compte, pas la technologie utilisée. Les grandes entreprises ont d’ailleurs une tendance récurrente à partir de la technologie pour lui trouver un besoin au lieu de faire l’inverse. Avec les sorties de route que l’on connait.
Je note avec intérêt que l’informatique cognitive commence à pointer le bout de nez dans le radar des décideurs. Il s’agit à mon sens d’un sujet qui sera porteur d’une vraie révolution, encore davantage que ceux qui le précèdent dans la liste.
Quoiqu’il en soit les entreprises semblent prises entre deux feux. Elles savent qu’elle doivent anticiper et donc « essayer », « tester » tout en étant conscientes qu’elles ont du mal de distinguer l’effet de mode de la tendance de fonds. Le tout en connaissant l’impact business d’une mauvaise orientation stratégique à un moment donné…ou de l’attentisme. Je suis convaincu que – et les faits le prouvent – la solution passe par des modèles d’innovation permettant de vite partir d’un besoin, tester et faire évoluer la solution, décider d’industrialiser ou non en fonction de l’impact constaté. La tendance forte que l’on constate dans le design thinking, le fast prototyting, les méthodes agiles et le recours à un écosystème de partenaires s’inscrit clairement dans ce sens.
Soyez les premiers, les meilleurs ou nulle part
Tendance confirmée plus loin dans l’étude. Pour se mouvoir dans un tel contexte, les directions générales voient une ouverture intéressante dans des « laboratoires vivants » (ou living laboratories) qui leurs permettent de rapidement tester des initiatives. Une approche indispensable de mon point de vue mais qui a une limite dont il faut avoir conscience.
En effet si les directions générales sont consciences qu’elles vont devoir réinventer leurs business model, leur portfolio produit, leurs modes opératoires etc un tel laboratoire remplit totalement cette fonction…sauf qu’il ne permet en rien de présumer de l’impact d’une industrialisation sur les Hommes et l’organisation. C’est le seul domaine où on ne peut expérimenter à une échelle significative mais il faut le prendre en compte.
Aucune surprise, l’étude recommande aux entreprises d’innover hors des sentiers battus et des terrains connus, de se donner le temps et les moyens d’expérimenter l’impact et l’acceptation par les gens et de se préparer à faire grandir l’initiative très vite en cas de succès pour saisir un moment dont on ne sait combien de temps il va durer.
Une étude relativement en phase avec tout ce qu’on peut lire et observer sur le terrain et qui pose (chiffres, insights et verbatims à l’appui) une excellente base de réflexion pour les directions générales.
J’aimerais toutefois y ajouter encore un point issu de ma propre réflexion.
Dans la concurrence digitale, l’ennemi est autant à l’intérieur qu’à l’extérieur
Il y a déjà deux ans je constatais que les entreprises avaient tendance à beaucoup mettre leurs difficultés sur le compte de l’externe, du marché et de la concurrence. On voit chaque jour, et cette étude le confirme, que le sujet est réel. Pour autant, se contenter de cette approche serait à mon avis aller un peu vite en besogne.
Comme je le disais à l’époque, le vrai probème n’est pas tant externe qu’interne. Peu importe la vitesse à laquelle bouge l’externe, tout va bien tant que l’interne n’est pas rigidifié à l’extrême et incapable d’agilité. Je vous renvoie également au plus récent propos d’Yves Morieux sur le sujet. Il est à mon avis illusoire de croire qu’une vision nouvelle et une meilleure appropriation des technologies régleront le problème tant que l’entreprise ne fera pas un effort de simplification interne. Tant qu’on ne parlera pas organisation, management, reporting…la technologie ne sera jamais un facteur d’accélération mais permettra seulement de limiter le ralentissement.