« Les RH doivent être orientés client ». Anne Boucher (SNCF)

Parmi mes thèmes favoris quand on parle de RH et de digital on trouve l’orientation client et la simplification. On voit dans les entreprises de plus en plus de pionniers aller dans cette direction. Aujourd’hui, rencontre avec Anne Boucher, International HR Manager à la SNCF au moment de notre échange.
On y parle de son métier, de l’approche client qu’elle met en œuvre et de sa vision de la digitalisation des RH.

Bertrand Duperrin : Bonjour Anne, quelle est votre mission à la SNCF

Anne Boucher : Jusqu’à fin 2015, je m’occupais des ressources humaines internationales. L’activité hors de France est un enjeu de plus en plus important pour SNCF et elle représente aujourd’hui 30% de notre chiffre d’affaire. Le département RH international a été créé en 2011, il y avait déjà des expatriés mais pas de politiques d’accompagnement. Au départ, nous avons donc structuré la gestion de la mobilite et créé des packages en fonction de la durée des missions. Notre mission s’est ensuite enrichie car nos commanditaires nous ont demandé de développer les actions et outils RH qui pouvaient permettent de soutenir la croissance du business à l’international.

BD : Et quelle a été votre ligne directrice pour construire tout cela ?

AB : J’ai pris les choses sous un angle très marketing. La première partie de ma carrière s’est déroulée dans les domaines du commercial/marketing où j’ai acquis une vraie orientation « client ». Je suis donc partie des problèmes et attentes des directeurs de projets. A l’international,  le premier besoin est la réactivité : il est nécessaire d’identifier rapidement les talents à qui proposer une mission. Au départ, nous savions que nous n’en connaissions qu’une partie car nous fonctionnions beaucoup par cooptation. Nous avions l’intuition qu’il était possible d’élargir notre cible de candidats.

BD : On parle de talents internes ou externes ?
AB : Internes principalement. Ce sont les filiales du groupe SNCF qui portent le business hors de France (Eurostar, Keolis, Systra, Thalys….) et elles ont besoin de gens qui ont des compétences dans le coeur de métier ferroviaire (ingénierie et travaux ferroviaire, maintenance du matériel roulant, exploitation, …). Ces compétences se développent à la SNCF ou ses chez concurrents internationaux, ce qui limite le terrain de sourcing.

BD : Et donc, quelles sont les spécificités de ces clients internes internationaux ?
AB : Les contextes internationaux et français sont différents. En France, il est possible d’anticiper les mobilités, les collaborateurs développent des compétences et cela s’inscrit dans un parcours.  A l’international, l’activité est rythmée par les appels d’offres. La date de leur publication est souvent remise en cause, ils peuvent être avancés, retardés, le client peut décider de reporter sa décision à une date ultérieure parfois de plusieurs mois. Et quand on remporte le marché, il faut staffer très rapidement les équipes.

Donc au départ, nous étions « en mode pompier », nous le sommes d’ailleurs toujours un peu car c’est inhérent à l’activité internationale.
Nous avons essayé de faire de la GPEC pour savoir où nous allions avoir des besoins, sur quels types de compétences et avec quel niveau d’expertise …. 4 mois après le premier exercice, les hypothèses fines se sont avérées fausses à 90%. Les méthodes classiques utilisées  en France ne fonctionnent pas dans le contexte international, il a donc fallu innover et trouver autre chose.

BD : Qu’avez vous fait alors ?
AB : Nous avons créé un vivier de candidats en interne. Tout le monde n’y croyait pas car ça avait déjà été tenté dans d’autres entreprises mais j’ai voulu essayer quand même en utilisant une approche centrée sur mes deux types de clients :
–          Les directeurs de projet à l’international d’une part et j’ai travaillé avec eux pour définir les compétences métiers dont ils avaient besoin.
–              Les candidats à l’international d’autre part et j’ai réfléchi au livrable à produire en tenant compte des compétences comportementales que j’avais envie de voir émerger car elles sont importantes à l’international (autonomie, curiosité, humilité, …) Partir en mobilité à l’international doit être une démarche volontaire, autonome car elle ne s’inscrit pas que dans un projet professionnel : que l’on parte seul ou en famille, tout le cercle personnel est modifié, il est donc important que les candidats pour les missions internationales soient volontaires. Nous n’inscrivons donc personne dans le vivier, ceux qui veulent le rejoindre doivent faire la démarche d’y déposer un dossier de candidature.

Une fois ce travail réalisé à partir des attentes de nos « clients », nous avons ensuite créé un outil permettant aux candidats à l’international de se faire connaître et aux acteurs RH d’effectuer des requêtes sur les compétences.
L’outil a été créé en mars 2013, il continue à vivre et marche très bien. Nous avons environ 3000 CV dans la base et une architecture de l’outil qui permet de faire rapidement des requêtes. Pour le candidat, rien n’est obligatoire à part donner son CV et son téléphone portable. L’inscription prend moins de cinq minutes, c’était un objectif car les gens n’ont pas envie de passer des heures à remplir un dossier. Comme il m’est arrivé d’avoir des demandes un vendredi pour identifier un profil le lundi, avoir les téléphones portables permet d’être réactif. Certes, cela peut être considéré comme une incursion dans la vie privée mais d’expérience, nos collaborateurs sont généralement contents lorsqu’on pense à eux pour une mission hors de France.

BD : Ce vivier a-t-il évolué depuis dans son mode de fonctionnement ?
AB : Oui…j’ai commencé de plus en plus à m’en servir comme d’un réseau un peu comme la DRH de Michel et Augustin lorsqu’elle est descendue dans le métro pour trouver des candidats.
Je contacte souvent des candidats du vivier pour leur demander s’ils ne connaissent pas quelqu’un qui pourrait être intéressé par une offre à pourvoir et cela fonctionne très bien. Le message passe en interne et parce qu’il est relayé par des gens qui se connaissent entre eux, il passe vite.
Cet outil qui était au départ développé pour des besoins business est donc devenu un réseau.
Par exemple j’anime spécifiquement certains segments du vivier comme des profils qui n’ont pas encore l’expérience requise pour partir mais ont un profil intéressant et peuvent être des candidats de qualité demain. Nous les aidons, les conseillons dans l’optique de les aider à être des candidats crédibles à l’international dans quelques années, nous leur faisons aussi rencontrer des acteurs du business dans le groupe pour les aider à développer leur réseau … je crois beaucoup à la force des réseaux !
BD : Une approche très pragmatique et orientée « besoin client » donc…
AB : Tout ce que je fais, je le fais en fonction des besoins de mes clients : de quoi ont-ils besoin ? Est-ce que ce que je développe va leur faciliter la vie ? …

« Les RH ont deux clients : le business et les salariés »

BD : C’est très atypique une approche client en RH…
AB : Au début ça a eu un peu de mal à passer. Dire « client » en RH, ça ne se faisait pas. Aujourd’hui tout le monde trouve que ça marche bien. En plus l’international est un laboratoire pour développer des choses innovantes qui peuvent ensuite être reproduites en France.

BD : Il n’y a pas trop de rigidités à déployer en France ce que vous avez fait à l’international avec une approche plutôt « startup » ?
AB : Pour le moment, nous avons pas mal de retours d’expérience, cela inspire la France, c’est donc une petite graine qui germe !

BD : Alors revenons à l’approche client…comment se traduit elle ?
AB : Commençons par les salariés.
L’approche client c’est déjà ne pas mentir à votre interlocuteur. Pas de fausse promesse : quand on voit que quelqu’un ne satisfait pas aux besoins de l’international, on ne le laisse pas espérer. La frustration est très mauvaise pour l’engagement donc il ne sert à rien de laisser les gens croire à des possibilités de mobilité qu’ils n’auront jamais. Il y a des profils métier dont nous n’avons pas besoin à l’international, un expatrié coûte cher et les entreprises expatrient seulement les personnes possédant des compétences qu’elles ne trouvent pas sur le marché local. Les règles en matière d’immigration vont aussi dans ce sens car elles tendent de plus en plus à préserver l’emploi local.

Ensuite pour les candidats qui rentrent dans le scope, l’orientation client c’est entretenir la relation. L’opportunité peut ne pas venir de suite, elle peut arriver à un moment où ils ne sont pas en recherche de mission. Avec les candidats à l’expatriation, nous construisons donc une relation sur le long terme. Comme nous avons aussi la responsabilité de les accompagner sur le plan contractuel et logistique, de définir leur package, de les suivre pendant leur mission et de nous préoccuper de leur retour, l’approche relationnelle dans la durée est essentielle.
C’est la différence fondamentale entre recrutement et staffing à l’international. Un recruteur recrute, passe le relai à un manager et à un gestionnaire de carrière. A l’international, même si nous n’avons ni la responsabilité managériale, ni celle de la gestion de carrière, nous sommes l’interlocuteur privilégié des salariés car ils nous connaissent depuis le moment où ils ont été candidats et nous devons assumer nous même la promesse qui a été faite. En plus, lorsque toute la famille d’un expatrié est concernés, la relation va au-delà du professionnel et nous  avons une responsabilité renforcée sur le plan humain.
L’international c’est plus qu’un job, c’est une expérience.

BD : Et l’approche client par rapport au business ?
AB : C’est simple : le business doit se faire et c’est à nous de trouver les gens pour intégrer des équipes de réponse à appel d’offre , puis pour mener le projet s’il est gagné. Nous devons aussi maîtriser les coûts des mobilités pour préserver la marge, notre accompagnement doit donc être jugé correctement pour le salarié et par le business.

BD : Et comment cette approche client se traduit en termes d’initiatives et d’approches.
AB : Par exemple pour la mobilité interne, nous avons bien sur des solutions RH telles que les bourses de l’emploi, la communication sur les offres par les conseillers carrière mais cela ne convient pas toujours à nos besoins en réactivité. Pour essayer d’améliorer cette réactivité, début 2015s j’ai créé un compte twitter sur lequel je publie les offres de missions à l’international et cela permet d’aller beaucoup plus vite. Avec Twitter, mon record c’est deux candidats en deux heures. Le tweet part, le réseau le retweeete et on trouve des gens à une vitesse folle. C’est assez disruptif pour des process de mobilité.

BD : Vous faites donc transiter par l’extérieur des offres à vocation interne ?
AB : Les outils externes permettent de passer un certain nombre de barrages liés aux process et de nous donner une agilité que nous n’aurions pas avec les outils internes. Les outils qui permettent d’aller vite sont souvent externes.
J’utilise aussi beaucoup les SMS pour demander aux gens de mon réseau de m’aider à trouver quelqu’un pour un poste. En fait, j’ai transformé mes salariés et candidats en partenaires qui m’aident eux-mêmes à trouver des candidats, cela me permet d’animer le réseau, de donner des informations sur l’activité internationale, de nourrir la relation.
Je fais aussi beaucoup de réseautage. J’ai mis en place des vidéoconférences régulières avec les expatriés (qui sont aussi mes clients) car ils sont loin, peuvent se sentir seuls, perdent le lien avec la maison mère. Nous organisons des rencontres en visio entre homologues d’un même métier qui sont dans différents pays et en France juste pour qu’ils se rencontrent, se présentent et discutent comme on le ferait dans un dîner.
Le métier des RH : résoudre les problèmes de ses clients

Qu’ils soient business ou salariés, mes clients ont un problème. Mon métier c’est de le résoudre et finalement c’est aussi simple que ça.

Autre exemple : beaucoup de gens à la SNCF ont les compétences mais pas de diplôme d’ingénieur car ils ont appris leur métier en interne. Or, nos clients étrangers demandent souvent des diplômes d’ingénieurs. La démarche de validation des acquis pour obtenir un diplôme est une très bonne chose mais elle dure de 18 mois à 2 ans ce qui est trop long pour moi. J’ai donc créé une démarche spécifique avec une école pour y parvenir en 4 à 6 mois ce qui résout un gros problème de mes deux types de client.

BD : Changeons de sujet. On parle beaucoup de digitalisation des RH. Pour vous cela signifie quoi ?
AB : Ce que j’ai essayé de faire jusqu’à présent, c’est de prouver au travers de petits exemples concrets que ça aidait à faire simple, plus convivial et plus vite.

La digitalisation des RH : faire plus simple et plus rapide

J’ai aujourd’hui des doutes sur une gestion de carrière qui consisterait à planifier le parcours des collaborateurs en disant « ils va faire ci, il va faire ça ». Les gens vivent dans un monde où  tout est accessible, en libre-service et la demande va bientôt être la même dans l’entreprise.
J’ai beau ne pas rentrer dans les critères, je me reconnais beaucoup dans ce qu’on dit sur la génération Y car à mon avis c’est davantage une histoire d’époque que d’âge. Les gens vont de plus en plus vouloir que les choses soient en libre service.

Les outils RH doivent faciliter la vie des salariés, pas seulement des RH

Aujourd’hui les outils RH sont inventés pour faciliter la vie des RH et moi je crois que la digitalisation des RH c’est développer des actions, inventer des outils qui facilitent la vie des salariés.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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