Si l’on en croit tous les experts, la digitalisation du monde et des relations de travail, l’économie à la demande, l’ubérisation… vont radicalement transformer le monde du travail. Nous allons vers une économie de freelancers où des contractants indépendants vont peu à peu se substituer à une plus ou moins grande partie des collaborateurs salariés.
Le sujet aujourd’hui n’est pas de discuter du fait que ce soit un « freelancing » choisi ou imposé, s’il s’agit d’un choix de vie ou d’une forme de précarisation (dans la réalité on trouve les deux extrémités, l’expert qui veut reprendre la main sur sa vie et la petite main qui, elle, la perd même si on utilise davantage l’image du premier pour expliquer le concept) mais de l’impact d’un phénomène qui ne peut être ignoré.
La sous-traitance a toujours été une question de production, pas de RH
Quelque part la notion de freelancing n’a rien de neuf et dans certaines entreprises/secteurs on a pas attendu l’avènement de l’économie digitale pour y avoir recours. On appelait cela de la sous-traitance.
Mais quelque chose de fondamental change aujourd’hui :
- la sous-traitance était un phénomène B2B : une entreprise contractait avec une autre qui mettait des ressources à disposition.
- elle concernait des tâches de production et d’exécution
- elle pouvait servir de variable d’ajustement en cas de pic de production.
- le sous traitant était souvent caché du client
Alors que maintenant :
• le freelancing est un phénomène « Business to individual ». On contracte avec un indépendant
• Il concerne toujours des tâches d’exécution mais de plus en plus aussi d’expertise, de conception, de conseil et remonte sur des fonctions d’encadrement, de gestion de projet, de management.
• Dans certains cas c’est toutes les opérations de l’entreprise qui est sous-traitée à des indépendants, seules les tâches de gestion restant internalisées (Uber..)
• Le freelance peut se retrouver en face du client, c’est peut être même le business model qui repose là dessus.
Le freelancer n’est pas un sous-employé
La sous-traitance a longtemps été un sujet davantage productif que RH car on se moquait le plus souvent du statut du travailleur sous-traitant. Peu importe qu’il n’ai pas les mêmes avantages et statuts que le collaborateur « normal » qu’il remplace ou supplée. C’est une ressource, pas une personne. On achète de la capacité de production, rien d’autre.
Un modèle qui peut ne pas survivre longtemps à l’heure du freelancing de masse.
D’abord pour des raisons de volume. Quand le ratio employé/sous traitant est de 90/10 on peut qualifier la sous-traitance d’exception au modèle et ne pas prêter grande attention à cette force de travail. Quand on se retrouve dans un modèle 10/90 le rapport de force s’inverse.
De la même manière lorsque vous mettez la conception et l’exécution de projets majeurs dans la main d’un freelance expert vous ne pouvez pas non plus le traiter avec dédain et considérer qu’il est une quantité négligeable.
Il n’y a pas d’expérience client sans expérience freelance
L’expérience client est clé dans l’économie digitale. J’ai déjà répété maintes fois sur ce blog qu’il n’y a pas d’expérience client sans expérience employé. J’ai également montré l’importance de l’expérience partenaires et identifié l’importance de l’expérience « prestataires » dans la survie des entreprises de la Uber Economie.
Quand vos clients ne rencontrent que des freelance que vous mettez sur le terrain, votre expérience client repose non plus sur l’expérience employé (vos collaborateurs) mais sur celle de ces indépendants. Que la relation se tende entre Uber et les chauffeurs, par exemple, où que l’effort d’outillage, de formation soit négligé et c’est tout le modèle qui s’effondre.
Quand vous demandez à un ou des brillants freelances de vous aider dans la conception de la roadmap digitale de votre entreprise, vous ne pouvez pas non plus les traiter comme des « sous employés » alors que le poids qui repose sur leurs épaules est énorme. Et vous le pouvez encore moins du fait qu’ils sont au coeur de vos équipes qui elles sont désemparées sur le sujet et les regardent parfois les mains dans les poches en attendant qu’ils fassent un miracle. Les écarts de traitements « humains » deviennent de moins en moins acceptables.
Le freelancing devient donc autant un sujet RH qu’un sujet opérationnel et de production.
Le DRH doit repenser sa stratégie pour l’entreprise digitale étendue.
Pour toutes les raisons qui précèdent il est logique de se questionner sur le rôle du DRH dans cet écosystème nouveau et se demander s’il n’a pas vocation à s’étendre au delà des murs de l’entreprise pour prendre en compte l’écosystème d’indépendants qui la fait avancer.
Cela correspondrait à une certaine forme de responsabilité sociale (sujet sur lequel on assiste à un concours de « celui qui en fait le plus »), d’éthique et, ne nous voilons pas la face, a un intérêt business quasi-immédiat. Au contraire ne rien faire peut avoir des effets dévastateurs à long terme.
Une logique évidente mais pas facile à mettre en œuvre pour autant. L’entreprise est prise entre deux feux : d’un coté contrôler son expérience client ce qui demande une « intégration » maximale de ses prestataires indépendants, de l’autre garder des coûts les plus bas et variables possibles. Or, et on l’a vu lors de la faillite de Homejoy aux Etats-Unis, trop s’occuper du freelance peut entrainer la requalification du contrat en contrat de travail avec toutes les conséquences qui s’en suivent dont la mort économique du modèle.
Dans le contexte actuel être bien intentionné à l’égard de ses freelance est légalement dangereux. Mais ne rien faire l’est tout autant à long terme.
Quand une économie repose sur les freelance, la marque « contracteur » remplace la marque employeur.
Crédit photo : Concentric Circles by Hanna J via Shutterstock