On est à peine en train de revenir du Chief Digital Officer qu’une nouvelle question majeure se pose dans l’entreprise : faut il un Chief Happiness Officer ?
Avant d’y répondre, demandons nous d’abord pourquoi la question se pose. L’engagement des collaborateurs est globalement au plus bas, la relation de confiance entre l’entreprise et ses salariés tourne de plus en plus à la défiance, les générations nouvelles cherchent un sens nouveau à leur engagement, sont demandeuses de nouvelles valeurs, s’intéressent moins (nous dit on) à l’argent qu’à avoir un impact positif sur le monde et la société. Inventaire rapide, soit, mais qui explique qu’avec un mélange de pragmatisme, de bon sens, de bonne conscience et un zest d’enrobage marketing on se soit demandé si la solution n’était pas le bonheur au travail.
Rendre les gens malheureux n’est pas le meilleur moyen de tirer le meilleur d’eux
Pas bête. Comme si on avait pu croire que rendre les gens malheureux était un moyen efficace de tirer le meilleur d’eux. Un peu de bon sens suffit à se dire que des salariés heureux font nécessairement une entreprise plus engagée et performante même s’il y a la aussi des limites.
Bonheur et engagement ne sont pas synonymes. On peut être engagé et malheureux. Cela ne dure pas, cela s’appelle du gâchis, mais cela arrive (trop) souvent. On peut être désengagé et heureux. Je peux vous faire une liste incroyablement longue de personnes qui ont fini par se plaire dans le placard où on les a fait atterrir car ils étaient parfois trop « disruptifs » pour l’organisation. Au début c’est compliqué mais ils ont appris à s’épanouir autrement et trouver un modus vivendi satisfaisant. Surtout lorsque la fin de carrière est proche ou qu’ils ne croient plus du tout en l’entreprise en général.
Quant à savoir si un salarié heureux s’implique davantage ou si un salarié est heureux parce qu’il peut s’impliquer…la frontière n’est pas aussi binaire qu’on voudrait bien le dire.
Heureux au travail ou heureux dans le travail ?
Se pose également la question des leviers à actionner pour rendre les gens heureux, un sujet qu’on retrouve souvent dans le « well being » et plus récemment dans l’expérience employé lorsque ces concepts sont dévoyés.
Veut on que le travail rende les gens heureux, qu’ils s’épanouissent en travaillant ? Ou veut on qu’ils engrangent une dose suffisante de bonheur à coté du travail pour supporter un travail qui leur amène tout sauf du bonheur ?
Ou, pour poser la chose concrètement : veut on transformer le contenu du travail ou simplement faire des calins pendant les pauses ? On a assez vu d’entreprises proposer des conditions de travail pénibles et stressantes et le compenser par une table de ping-pong, une salle de sport, une cantine agréable et un CE généreux pour bien comprendre la différence entre les deux. Entre ce qui est pérenne et ce qui n’est pas. Ce qui est « structurel » et ce qui relève du trompe l’œil.
Tout ceci dit, il n’en reste pas moins que peu importe la motivation et la raison, il est quand même mieux et plus profitable de préférer le bonheur des collaborateurs à leur malheur.
Il est où le bonheur ?
La question du bonheur au travail peut donc s’adresser de différentes manières, au travers de différents prismes.
• l’environnement « extérieur » au travail : avantages divers, confort, installations de confort.
• le contenu du travail : simplification des tâches et process, suppression des irritants, caractère « challengeant » des tâches et missions.
• les rapports interpersonnels : collaboration, bienveillance, disponibilité.
• les politiques RH : capacité à se développer et donc à se projeter, dispositifs de reconnaissance et gestion des carrières, équilibre pro-perso, épanouissement personnel.
• l’outillage : disposer des bons outils (technologiques, organisationnels, managériaux) contribue non seulement à améliorer le contenu du travail mais est une preuve d’attention.
• la culture d’entreprise : conflictuelle ou pacifiée, promouvant le collectif ou l’individualisme, bienveillante ou non.
Tout cela pour dire que le bonheur est quelque chose de très diffus. Il ne loge pas à un seul endroit et se construit donc en utilisant une foule de petits leviers et pas un gros levier unique.
D’où la question suivante. Pour maitriser l’ensemble, où doit on positionner le Chief Happiness Officer ? Et quelles doivent être ses compétences. A part envisager un mouton à pattes omniscient j’ai un peu de mal à voir comment faire autrement que de mener des politiques parcellaires. Ce qui peut expliquer que dans beaucoup de cas on voit le Chief Happiness Officer comme quelqu’un en charge des programmes « soft » autour du travail et de la pacification de l’entreprise, et non pas comme quelqu’un qui fait du travail une source de réalisation et d’épanouissement, faute de pouvoir influencer sur son organisation et son contenu.
Et le recouvrement avec des fonctions existantes serait tellement important qu’il me parait difficilement tenable dans la durée.
Du bonheur à l’expérience
De plus je ne pense pas que la définition du bonheur au travail soit la même pour tous, chacun ayant des attentes spécifiques qui ne sont pas celles de son voisin. Chacun ne recherche pas la même chose au travail.
Ce qui me ramène à l’exemple du Chief Employee Experience Officer d’AirBnB. Lui aussi dispose d’un périmètre très large mais ne vient pas en concurrence avec des fonctions existantes puisqu’il reprend le rôle de DRH avec un spectre élargi, charge à lui de mettre en cohérence les actions de personnes qui avant travaillaient chacune dans son coin, sur sa spécialité.
Travailler à une expérience employé cohérente me semble un objectif plus facile à atteindre et plus tangible. Ca n’est pas le bonheur, peut être que cela y contribue, mais en tout cas cela a vocation à créer de l’engagement et de l’efficacité et c’est déjà un grand pas en avant.
Sans parler du côté « gadget » que peut revêtir un discours orienté « bonheur » dans une culture française. Mais ça c’est un autre sujet.
Alors vous faut il un Chief Happiness Officer ? Oui, si vous aimez les gadgets et préférez les câlins à la transformation du travail. Sinon je crois beaucoup plus à une réinvention de la fonction RH dans le sens de l’expérience employé.