Je pensais qu’on en avait fini mais un certain nombre de discussions auxquelles j’ai participé ou assisté ces derniers mois ne m’ont pas rassuré. De quoi parle-t-on ? De l’emploi abusif du mot « communauté » à tire-larigot. Non que l’abus de buzzword me dérange (quoi que…si un peu quand même) mais que quand on nomme les choses de la mauvaise manière on leur applique des mauvaises recette ou on ne fait qu’un partie du travail.
Une audience ou un segment client n’est pas une communauté
Depuis quelques années j’ai l’impression que le community manager a remplacé le webmaster. A partir du moment ou des gens vous lisent, vous consultent, interagissent avec une marque en ligne ils sont une communauté. Ils sont la communauté de la marque.
Grave erreur.
C’est une audience. Ce sont des clients ou des prospects. Parmi eux, peut-être se niche une communauté. Et encore…cela n’a rien de certain.
Une communauté à pour centre d’intérêt la marque (là on est dans les fans) ou la catégorie de produits ou de service qu’elle produit. Dans ce cas la communauté peut même être préexistente à la marque, partagée avec ses concurrents (ex : une compagnie aérienne peut avoir des fans mais elle partage aussi la communauté des amateurs de voyages aériens avec ses concurrentes). Et puis il y a des gens qui vont acheter un produit sans passion ni intérêt particulier, simplement parce qu’ils en ont besoin. Ce sont de simples clients.
Tous les membres de la communauté ne sont pas des clients, tous les clients ne sont pas membres de la communauté.
Une communauté interagit en son sein. Que la marque l’anime ou pas elle vit. A la limite une vraie communauté ne se manage pas, elle a sa propre vie et c’est à la marque de se faire accepter par elle. A partir du moment ou l’interaction est verticale (marque vers communauté) et qu’aucune horizontalité n’existe (membres entre eux) vous n’avez pas une communauté mais une audience dont vous avez changé le nom pour faire moderne et peut être vous donner l’impression que les gens vous aiment. Et quand en plus l’animation en question n’est que descendante vous êtes vraiment dans de la communication à l’ancienne peu importe le nom que vous donnez à votre audience.
Sauf qu’on adresse pas un badaud venu faire un acte utilitaire et une vraie communauté de la même manière. Ils n’ont pas les mêmes attentes, pas les mêmes objectifs. On n’utilisera pas la même posture, le même ton, les mêmes outils ni même les mêmes KPIs (rappelez vous que le badaud est souvent un client potentiel, le membre de la communauté non…on peut acheter par besoin et sans passion alors que la passion ne mène pas toujours à l’achat…question de moyens et d’impossibilité d’accumuler certains produits ayant la même fonction).
Confondre communauté et masse est donc la pire des erreurs de segmentation qu’on puisse faire.
Communauté d’utilisateurs ? Pas pour le grand public !
Les communautés d’utilisateurs sont une réalité depuis longtemps. On les trouve historiquement dans le software, fonctionnant sur des échanges de bonnes pratiques, de uses cases ou d’entraide technique. On trouve aussi des communautés autour de certains produits mais moins nombreux qu’on ne veut le croire. Quant au fait de proclamer que les utilisateurs d’un service grand public forment une communauté c’est soit une manière de se rassurer soit une manière de prendre l’utilisateur dans le sens du poil et lui faire oublier que soit il paie soit il est le produit dont on monétise les données personnelles.
Je me souviens avoir vu dernièrement sur Facebook une personne se plaindre que le réseau social lui avait censuré une publication car elle contrevenait aux règles de la communauté Facebook. Là on se moque clairement du monde.
Facebook héberge des communautés mais n’est pas une communauté. Si la communauté Facebook existait elle aurait d’ailleurs édicté ses règles elle-même et à mon avis elles seraient fort différentes de celles en vigueur actuellement. Allez chiche… cher Facebook et si tu considérais vraiment tes utilisateurs comme une communauté et co-construisais les règles du jeu avec eux ? Ah non…ça ne te tente pas ? Alors au lieu de parler des règles de la communauté parles donc de conditions d’utilisation.
Quant à croire qu’un client, parce qu’il est client, fait partie de la communauté de la marque c’est encore du trompe l’oeil. Oui en partie pour des produits exclusifs, non pour des produits plus courants. Vous faites partie de la communauté Sony car vous avez un téléviseur ? De la communauté Unilever car vous achetez du papier toilette ?
Le community manager au centre de la gestion de crise ?
On me parlait dernièrement de l’impréparation d’un community manager dans une gestion de crise. Je ne vais pas m’attarder sur le fait qu’en matière de gestion de crise un plan doit exister et que le community manager n’en est que l’exécutant. S’il n’est pas préparé c’est une faute de l’entreprise. La gestion de crise est un sujet de direction, pas de community management.
Pour autant le CM est essentiel dans de tels circonstances. La communauté n’est pas le groupe qui a le plus besoin d’être rassuré, en tout cas pour partie. Les fans veulent qu’on leur donne les moyens de répandre la bonne parole, les arguments, mais la communauté « sectorielle », elle, aura envie d’explications solides. Mais les fans seront le meilleur relais d’opinion vers la masse.
Car en cas de crise c’est la masse qui est critique, pas les fans acquis. La masse s’adresse directement par une communication adaptée et indirectement par la communauté. Ne passer que par la communauté risque de laisser beaucoup de monde de coté.
Prétendre avoir une communauté est présomptueux
La vérité est que les communautés sont là, elles existent, sont nombreuses, actives et puissantes. Mais à part quelques marques fortes ou produits iconiques, l’essentiel voire la quasi totalité des gens avec qui parlent les marques est une masse informe, aux intérêts divergents et n’ayant aucun intérêt ou sentiment particulier par rapport à elles. Deux populations qui demandent deux approches totalement distinctes.