Ne nous voilons pas la face : on peut dire tout ce qu’on veut sur la transformation digitale, au moment d’engager les moyens nécessaires la question de « qu’est ce que ça rapporte ? » se pose toujours. Et elle n’est pas facile à traiter tant la valeur de la transformation numérique est un sujet encore largement en friches dans nombre d’organisations.
• La question du ROI est totalement illusoire quant à la dimension culturelle de l’entreprise. Plus simple sur une approche métier, opérationnelle, industrielle mais c’est rarement par là que l’on commence.
• Parfois j’ai envie de dire que la transformation numérique va juste vous donner le droit de continuer à vivre, à jouer contre vos concurrents.
• Ce qui m’amène à une dimension trop souvent négligée par les entreprises qui au lieu de se demander « combien ça rapporte si je fais » devraient aussi se demander « qu’est ce que je risque si je ne fais pas ». Le ROI c’est bien mais le RONI (return on non investment) peut aussi aider à ouvrir les yeux.
Une étude sérieuse et structurée sur le sujet vient enfin de voir le jour et est l’œuvre du CIGREF qui a fait travailler un groupe de travail sur le sujet.
La transformation numérique c’est quoi déjà ?
L’étude commence par poser une question trop souvent passée sous silence : comment qualifier un projet de transformation numérique ? Car si tout le monde parle et fait de la transformation numérique il est vrai que le périmètre et la profondeur des projets varie radicalement selon les personnes et les entreprises.
Pour le CIGREF un projet de transformation numérique est d’abord une stratégie d’entreprise (une stratégie business) et ensuite sa déclinaison en projets numériques. Halléluia. Non seulement ils ont mérite de reconnaitre le caractère secondaire de la technologie (grande lucidité pour un organisme à l’ADN IT à la base) mais en plus ils posent la primauté de la stratégie business. On voit encore trop souvent temps des projets de transformation devoir s’accommoder de la stratégie d’entreprise, cohabiter avec elle voire devoir supporter une stratégie mise en place préalablement. La transformation c’est la stratégie, le numérique c’est son exécution et c’est finalement dit avec une rare pertinence.
La transformation c’est la stratégie d’entreprise, le numérique sa déclinaison.
Le CIGREF introduit également une discussion nouvelle mais pas inutile sur la notion même de projet. Le numérique s’accompagne le plus souvent par l’abandon des approches projet traditionnelles (cycle en V) pour des approches en « continuous delivery » (agilité) qui met à mal l’idée du projet telle qu’on en a l’habitude, notamment dans les directions informatiques. Cela se rapproche à mon avis d’ailleurs de ce qui précède : si la transformation c’est la stratégie alors elle n’est plus un projet mais la norme et est donc une activité permanente.
Pour le CIGREF 7 critères permettent de qualifier un projet numérique :
1°) La vision : forcément stratégique et portée par le Comex
2°) La transformation du métier : avec une approche par les processus de l’entreprise et en prenant en compte les relations avec l’écosystème. Je vois tellement de projets de transformation ou les processus viennent en dernier voire où il est strictement défendu d’y toucher que je peux qu’applaudir.
3°) Les méthodes : test and learn, le droit à l’échec, initiatives jetables, expérimentation, agilité, collaboration entre les projets.
4°) Pilotage : avec notamment la mise en place d’un pilotage du risque adapté. Là encore , j’ai trop souvent constaté des discours ambitieux avec un pilotage à risque zéro similaire à celui mis en place pour les opérations « traditionnelles de l’entreprise ». Mais ici on parle d’innovation et d’acceptation du risque donc..
5°) Les données : elles doivent être valorisées par le projet
6°) Les technologies : le CIGREF énonce clairement qu’elles ne sont qu’un catalyseur du projet. Les grands axes sont sans surprise : social, mobile, cloud, analytics.
7°) L’appropriation par les utilisateurs : intuitivité des technologies et conduite du changement doivent être au programme.
Et comme souvent avec un beau schéma on comprend mieux.
La transformation numérique se caractérise enfin par des modes de fonctionnement alternatifs :
• au niveau des cycles avec des cycles de développement continus.
• au niveau du pilotage économique : on pense enveloppe globale et on en déduit les étapes intermédiaires en fonction du « burn rate » désiré au lieu de chiffrer par étape.
• au niveau du focus, désormais mis sur l’utilisateur final.
• au niveau RH avec des besoins nouveaux en compétences et assemblages de compétences, notamment en termes de transversalité.
• au niveau des approches projets elles mêmes avec l’agilité érigée en norme.
J’ai volontairement été un peu long sur cette partie mais avant de vouloir parler de la valeur de transformation numérique encore faut il la qualifier et en connaitre les leviers sans quoi on serait bien en peine de savoir où agir pour augmenter la-dite valeur.
Valeur de la transformation numérique : une question de parties prenantes
Jusqu’à présent la valeur d’un projet IT se mesurait à l’aune des bénéfices observés sur l’exécution d’un process. Aux utilisateurs finaux de rentrer dans le moule : comme la machine ou le logiciel ils étaient là pour servir le process et s’adapter.
Ici les choses changent radicalement avec une nouvelle orientation utilisateur (interne ou externe) et la nécessité de créer de la valeur pour lui et non plus seulement pour l’organisation. Au final, derrière la notion d’expérience utilisateur on en revient à la nécessité de créer de la valeur pour l’organisation, le collaborateur, le client et le cas échéant les partenaires.
Le Cigref arrive à cette conclusion au terme d’une analyse essentiellement économique à laquelle j’ajouterai une dimension conduite du changement et bon sens. Cela ne fait que traduire quelque chose de largement observé depuis des lustres : lorsque, pour une partie prenante donnée, le changement ne n’a pas une proposition de valeur significative et claire, voire en détruit au profit d’autres parties prenantes, soit le changement est refusé soit on essaie de contourner, tricher. Au final ça ne fonctionne pas et ça n’est pas une affaire de technologie mais de simple bon sens. Une problématique au cœur de la transformation des outils et process métier dans le cadre de l’expérience employé que j’ai déjà eu largement le cas d’évoquer dans d’autres billets.
Autre remarque : le Cigref compare les projets de transformation numérique aux projets IT classiques ce qui est un biais peut être pas dangereux mais à prendre en compte. Dire cela signifie qu’on parle de projets IT « non conventionnels », ce qui est une erreur : ce sont des projets d’entreprises « motorisés » par l’IT. A la limite cela va à l’encontre de ce que cette même étude dit plus tôt. Mais c’est compréhensible : le Cigref ne peut renier son ADN IT, parle historiquement principalement à l’IT et pour emmener son lectorat cible dans un changement de paradigme encore faut il qu’il parte d’un point de départ connu et partagé par tous. Ce qui est confirmé quelques lignes plus bas par une phrase à afficher non seulement dans nombre de DSI mais également dans des directions générales trop enclines à passer la patate chaude à l’informatique en espérant que la technologie sauve le monde (ce qui n’arrive jamais).
« On notera que la valeur n’est alors pas créée par la technologie, qui ne joue que le role de « catalyseur de valeur ».
La valeur de la transformation numérique se mesure par les usages et business cases
Le Cigref estime que la valeur de la transformation numérique se mesure à :
- Proposer un parcours client permettant la fidélisation en créant un lien de confiance
- Mieux connaître et personnaliser l’expérience client
- Proposer des services connexes au-delà de l’offre cœur de l’entreprise
- Améliorer la vitesse de mise à disposition des offres.
On voit bien là la primauté donnée aux usages et business cases sur la technologie. Mais permettez moi d’émettre une grande réserve majeure : je trouve le collaborateur totalement absent de l’équation. Alors pour une fois qu’une approche IT pense au client je dis bravo mais il ne faut pas oublier de servir le client interne qui lui sert le client externe. Quand on dit qu’il n’y a pas d’expérience client sans expérience employé ça ne sont pas des mots en l’air mais une vérité qui s’impose durement chaque jour à ceux qui l’oublient. On comprend bien que le Cigref s’intéresse ici à la finalité, l’interne n’étant qu’un moyen (voir plus bas), mais mentionner l’alignement de l’interne ici aurait eu du sens.
S’il apporte aussi une réflexion sur une nouvelle manière de piloter les coûts adaptée aux projets de transformation numérique, le Cigref insiste également sur le fait que la valeur de ces derniers se mesure également au travers d’indicateurs non économiques.
La valeur de la transformation numérique peut être non financière
Il propose ainsi une série d’indicateurs organisés autour de quatre grands thèmes (données, marketing, opérations, ressources humaines), déclinés en sous thèmes porteurs et illustrés de manière concrète.
Qui dit valeur dit retour sur investissement et qui dit investissement dit risque. Le rapport propose également une grille de lecture et d’évaluation des risques liés à la transformation numérique avec, et saluons cette approche, la prise en compte du « risque à ne pas faire ».
S’en suit la proposition d’un cadre d’analyse prenant en compte la valeur non financière des projets projets et les risques associés.
Ceux qui s’attendaient à une approche purement économique seront peut-être déçus. Mais il me semble que l’approche du Cigref qui, si elle n’élude pas la question des coûts et de la capitalisation financière, permet en se focalisant sur la valeur intrinsèque du projet et de se doter d’un outil de décision et de pilotage plus fiable que celui du pur ROI financier. Car dès lors que la technologie ne sert qu’à motoriser des projets où la dimension plus importante est le changement de business model, d’organisation, et l’humain, on sait tous que les projections ROIstes, aussi rassurantes soient-elles, ne se vérifient que rarement dans les faits.
Un rapport digeste, bien conçu, pédagogique, dont la lecture est donc fortement recommandée.