Sale période pour Facebook. L’affaire Cambridge Analytica lui reste collée comme un chewing-gum à la semelle et d’aucuns s’inquiètent des conséquences à terme pour l’entreprise de Mark Zuckerberg. Derrière ce cas c’est tout un modèle qui serait en danger, celui du « User as a service » sur lequel nombre de géants du net ont construit leur succès.
Quand Facebook tombe de son piédestal
Je lisais à l’époque dans la presse que « Facebook tombe de son piédestal ». Un constat qui m’a interloqué. Qu’est ce que cela veut dire ?
Que Facebook venait de perdre son capital sympathie auprès de ces utilisateurs après cette utilisation pas tellement éthique de leur données personnelles ? Qu’une sorte de contrat de confiance aurait été rompu ? J’ai du mal à y croire.
A force de le répéter ça va finir par s’ancrer dans les têtes : « si c’est gratuit alors c’est vous qui êtes le produit ». C’est aussi simple que cela. Le business de Facebook est clair depuis le début et ne ce qui vient de passer devait arriver un jour, c’est dans la droite ligne de leur business. Zuckerberg a beau se confondre en excuses la vérité est qu’il s’agit de la part de Facebook d’un acte conscient, logique et assumé. Le reste n’est qu’une vague stratégie marketing de contrition qui ne change rien au fond du problème. La seule vraie leçon pour Zuckerberg est qu’à l’avenir il faudra être plus malin et éviter de se faire attraper par la patrouille.
Cela peut également signifier que Facebook tombait de son piédestal vis à vis de ses clients, lesquels, rappelons le, ne sont pas les utilisateurs mais les annonceurs. Et là c’est déjà un peu plus crédible. Si les utilisateurs se retirent, sont plus regardants sur ce qu’ils partagent, le produit (nous) perd de sa valeur et Facebook également. Ironiquement je retrouve un vieux billet de 2012 dans lequel je parlais de ces entreprises qui méprisent leur produit et me demandais si cela pouvait mener à l’explosion d’une bulle. Billet écrit trop tôt mais pas si à coté de la plaque que ça. Ceci dit je n’ai pas trop d’inquiétude à court/moyen terme pour Facebook. Il est trop central aujourd’hui pour ses utilisateurs le fuient et la campagne #deletefacebook n’est qu’un succès d’estime. Pour autant le danger existe : le pire danger pour un disrupteur est de croire qu’il ne peut être disrupté à son tour. Le jour viendra où une alternative crédible existera et si les planètes sont alignées (alternative + rejet des utilisateurs) Facebook pourra fort bien rejoindre le cimetière déjà bien peuplé des anciens rois déchus du net.
La confiance c’est comme le dentifrice
Facebook n’est pas en danger à terme donc mais peut l’être à plus longue échéance. L’affaire « Cambridge Analytica » est un révélateur qui a provoqué un début de prise de conscience. Seulement un début.
J’écrivais qu’il n’y aurait pas de business de la données sans éthique de la donnée. On a eu tort de croire que les gens se moquaient de tout cela tant qu’en contrepartie ils avaient accès gratuitement à un service. C’est faux. Il y a une relation de confiance qui fait croire qu’ils s’en moquent, c’est différent. Mais cette relation de confiance avec Facebook risque bien de s’étioler lentement mais surement avec le temps, avec l’accumulation prévisible d’affaires similaires, avec la maturité croissante des utilisateurs sur le sujet. Et Marc Zuckerberg pourra s’excuser autant qu’il veut : ça ne changera rien. « La confiance c’est comme le dentifrice : une fois sorti du tube on ne peut plus l’y remettre ». Le problème avec la confiance c’est que chaque fois qu’on en perd un peu on ne la regagne plus. Il reste toujours une trace ou un souvenir du coup de canif donné dans le contrat moral.
Tant qu’on parle de confiance et d’éthique, si je ne pense pas que Facebook tombe (pour l’instant) de son piédestal c’est bel et bien l’utilisateur qui tombe du haut de son ignorance ou de son aveuglement. Facebook et Google doivent être ce qui se fait de pire en termes d’éthique et de confiance mais beaucoup ont décidé de faire comme si de rien n’était et se réveillent un beau matin avec des airs de vierges effarouchées. Je ne sais si c’est de la mauvaise foi ou de la bêtise mais pour le coup on n’a qu’à s’en prendre à nous même.
Le « user-as-a-service » en danger ?
Mais si on part du principe que Facebook ne peut pas agir autrement car c’est son business model et qu’on parie sur une érosion lente mais certaines de la confiance des utilisateurs, on ne peut qu’évoquer la survie du modèle du « user as a service » sur lequel la plupart des géants (et des plus petits) du net ont assis leur réussite. Ce modèle où l’utilisateur est le produit qu’on vend, pas le client qu’on satisfait.
Et là c’est le modèle qui a servi à générer les revenus de toute une industrie qui est en danger. Crise de confiance plus GDPR, tout est en place pour qu’explose un jour la bulle du business de la donnée personnelle du client. Quand le troupeau ne se rend plus volontairement à l’abattoir, le boucher doit revoir son modèle.
Tout est en place mais…
Que la terre entière veuille quitter Facebook aujourd’hui, Google et d’autres demain est une chose. Qu’ils ne fassent en est une autre.
Il faut qu’un niveau critique de défiance soit atteint et on est loin d’y être.
Il faut des services de substitution crédibles et on est très loin de les avoir.
Il faut que les deux soient là en même temps et c’est loin d’être gagné. Créer le service c’est bien mais avec quels revenus en attendant que le point de bascule soit atteint.
Et tout cela ne répond pas à la vraie question : avec quel modèle économique ? Car si c’est pour quitter Facebook pour aller chez son jumeau, cela ne sert à rien.
Avec un autre modèle ? Il n’y en a pas dix, pas trois. C’est un modèle payant. Qui serait prêt à payer pour utiliser Facebook ? Personne. Et là c’est l’utilisateur qui se retrouve face à ses propres contradictions.
La fin (relative) du syndrome de Stockholm digital
La bulle du « user as a service » ne risque à mon avis pas d’exploser mais elle peut dégonfler sérieusement, ce qui me semble finalement préférable. Le business de la donnée client n’est pas mort mais :
• il ne peut fonctionner que sur la confiance et les entreprises qui en vivent vont devoir faire plus de plus de transparence et limiter l’utilisation qu’elles font des données client. Ca n »est pas parce qu’une chose est possible, que quelqu’un est prêt à acheter qu’il faut le faire. On parle ici de confiance et de durabilité du business et de la relation utilisateur.
• la loi, RGDP aujourd’hui en Europe mais demain ses équivalents futurs ailleurs, va aussi changer la taille du terrain de jeu et les règles du jeu.
Ce qui a sauvé ce business model dans son état actuel est une sorte de syndrome de Stockholm digital qui rendait les utilisateurs complices de leurs ravisseurs. Le charme tombe peu a peu mais ça n’est pas la fin d’un business model. Il va se contracter, pas disparaitre.
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