Conscientes que la déconnexion entre elles et leurs collaborateurs et leurs collaborateurs et leur travail ne les sert pas à long terme, les entreprises se préoccupent de plus en plus de ce que Marylène Delbourg-Delphis nomme l’infrastructure humaine
Reste à savoir comment on mesure et répare la-dite infrastructure humaine. Et là les approches et les idées ne manquent pas.
Le bonheur au travail où l’art de la surpromesse
Pour commencer, le marronnier du moment : le bonheur au travail. Qui peut être contre ? Bien sur qu’on préfère tous des collaborateurs heureux, là n’est pas la question. Mais comme le le disais plus tôt cette année le bonheur au travail est une promesse ambitieuse et risquée.
Ambitieuse car tout le monde n’a pas la même définition du bonheur. Pour certains c’est juste avoir la paix, pour d’autres c’est être challengé, certains trouveront le bonheur dans leur réussite peu importe à quel prix, d’autres dans une relation pacifiée avec l’entreprise, avec les autres. Et j’en passe. Pas facile de faire du bonheur à la carte car ce qui rendra les uns heureux rendra les autres malheureux. Et j’ajoute pour que chacun la définition du bonheur évolue dans le temps : une fois qu’on croit quelque chose acquis on en demandera plus pour être heureux. Ou à l’inverse, avec le temps, on changera l’ordre de priorité de ce qu’il nous faut pour être heureux.
Irréaliste car la notion même de « bonheur au travail » introduit les germes de l’échec. Peut on être heureux « au travail » ? Je veux dire au travail uniquement ? Alors oui, pour certains, tant que le travail va bien le reste importe peu. Mais ça n’est qu’une partie de la population, une partie pas assez importante pour généraliser. Pour la grande majorité on est heureux ou on ne l’est pas et cela englobe le travail comme la vie privée. Bien sur il peut y avoir des moments où le simple fait d’être heureux au travail rendra heureux tout court mais c’est une situation de déséquilibre souvent provisoire. Et puis il y ceux pour qui le bonheur au travail importe peu, pourvu qu’ils soient heureux ailleurs et qui ne sacrifieront pas cet ailleurs pour des motifs professionnels.
Donc l’entreprise n’a pas les moyens de promettre le bonheur. Il implique trop de choses sur lesquelles elle ne peut pas ou peu agir. Qu’elle se contente d’éviter de rendre malheureux ce sera déjà ça.
Tout s’achète, même le bien-être
Autre approche, plus ancienne déjà, celle du bien-être au travail. Elle a fait ses preuves dans certains cas, a échoué dans d’autres.
Il y a deux manières de prendre le bien-être au travail.
La première est holistique et va mobiliser un grand nombre de facteurs. Il y a des choses à la périphérie du travail qui vont toucher au confort, aux temps « off », et des choses en rapport avec le modèle managérial et les obligations des managers. Si en plus on prenait en compte la manière dont le travail est organisé, les process et outils métiers on serait en plein dans la ligne de l’expérience employé.
La seconde est vraiment orientée « bien-être » voire cocooning et se rapproche de ce que j’appelle « construire un spa à côté de la salle de torture ». On touche à tout…sauf au travail et au cadre dans lequel il se passe. Consoles de jeu, salles de sport, spa, restaurant d’entreprise, baby foot. Dès qu’on n’est pas en situation productive on a de quoi se refaire une santé. Mais on ne touche pas aux activités productives ni au management.
Et le plus souvent c’est justement la dimension externe au travail proprement dit qui est favorisée. Par manque de moyens, de leadership, parce qu’on explique à la personne responsable qu’elle peut faire tout ce qu’elle veut tant qu’elle ne rentre pas dans le management et le métier.
Bref le bien être s’achète à coup de salles de sport et de Playstations, pas sûr que ça change grand chose. Prendre des anti-douleurs réduit la souffrance mais ne soigne pas le mal.
La satisfaction des salariés : une approche objective qui demande des moyens et du courage.
Troisième voie : la satisfaction. Moins ambitieuse et vendeuse de rêves que le bonheur, plus ancrée dans la réalité du travail que le bien-être. Peut être plus objective aussi.
Et certainement plus simple à évaluer. On peut demander à quelqu’un « est-tu satisfait dans ton travail et pourquoi ? » et on aura un résultat non seulement objectif mais « actionnable » dans la mesure où il est facile d’en déduire les pistes d’amélioration pour l’organisation.
Répondre à la question es-tu satisfait revient en fait à répondre à deux questions.
– As-tu ce dont tu as besoin ?
– As-tu ce que tu mérites ?
Mais avant de répondre à ces deux questions il y a un biais à éviter. Lorsqu’un salarié rejoint une entreprise il le fait en fonction de la promesse de celle-ci. Cette promesse a deux dimensions.
La première est explicite : ce que l’entreprise promet formellement, peu importe le sujet. Ca peut être sur les conditions de travail, le type de projets et de missions, la typologie de clients, les évolutions de carrière etc.
La seconde est implicite : ce que le collaborateur croit comprendre et ce qu’il trouve normal d’attendre de l’entreprise. Celle-ci n’est pas formulée, n’existe parfois que dans la tête du collaborateur. Parfois elle tombe « juste », parfois totalement à côté du sujet. Si l’entreprise n’est pas responsable de ce que collaborateur s’imagine, elle l’est par contre lorsqu’elle laisse des zones d’ombres sur sa promesse en se disant « laissons les rêver, l’important c’est qu’ils signent ».
Qu’il existe la moindre incompréhension sur la promesse et on produit un ou plusieurs motifs d’insatisfaction durables voire irrémédiables car dès le départ la signature du collaborateur repose sur un malentendu. Et dans la tête du collaborateur ce malentendu deviendra le plus un mensonge et il aura l’impression d’avoir été sciemment trompé depuis le début.
Il est donc important pour une entreprise d’être claire sur sa promesse, son « contrat d’expérience », terme que je préfère à l’EVP car moins unilatéral. L’EVP est une proposition, une promesse et on sait tous ce qu’il en est des promesses. Un contrat d’expérience engage. L’un peut se limiter à un discours de marque employeur, l’autre engage l’organisation et doit avoir une réalité managériale, une réalité métier.
Revenons donc à nos deux questions.
Quand on demande au collaborateur s’il a ce dont il a besoin il s’exprimera le plus souvent sur la réalité du travail, son contenu, son organisation et les moyens mis à sa disposition pour accomplir sa mission. On parlera organisation, management, outils, process métier, formation, moyens, ressources, qualité des rapports humains dans l’entreprise.
Quand on demande s’il a ce qu’il mérite on parlera bien sur salaire mais également reconnaissance, encore une fois formation, promotion, évolution de carrière.
La réponse à ces deux questions permet à mon avis de dresser un état des lieux relativement objectif et dépassionné de l’état de cette fameuse infrastructure humaine.
Le problème avec la satisfaction c’est que si elle se mesure très concrètement elle demande des actions correctives tout aussi concrètes. Contrairement au bonheur qui est une notion vague, au bien-être qu’on peut en partie acheter, la satisfaction du collaborateur se mérite et demande souvent un travail en profondeur et de longue haleine.
Elle ne permet pas de botter en touche, se cacher derrière des notions « soft » et des écrans de fumée qui cachent la réalité de la manière dont se passe la vie en entreprise et dont le collaborateur, finalement, vit son expérience dans l’entreprise.
Photo : Satisfaction des employés De creativetan via Shutterstock